Une chaîne de télévision a eu la bonne idée de rediffuser « Deux jours à tuer » du non moins excellent Jean Becker, servi par une distribution de haute qualité, au premier rang de laquelle Albert Dupontel incarne un publicitaire revenu de tout et de tous. En deux jours il brise les cadres de sa vie professionnelle, familiale, amoureuse, sociale ; assénant la vérité autour de lui sans ménagement, il brûle tous ses vaisseaux. Comme ses proches, on peine à comprendre pourquoi et comment il en est arrivé à cette extrémité, pour s’engager dans une voie manifestement sans issue. Et pourtant, on apprend à la fin que, lui, la connaissait puisqu’il s’agissait de sa propre mort.
Pourquoi ce beau récit, traité avec l’humanité qui est la marque de fabrique de Jean Becker, résonne-t-il avec les deux élections qui viennent de se tenir si mal en France ?
Simplement parce que le cours de la vie politique et sociale française présente les mêmes caractéristiques que celles d’une route dont on ne devine plus aucune issue, sinon funeste. On aura beau faire défiler des « toutologues » distingués sur les plateaux de télévision pour débattre à n’en plus finir, au gré des « questions » des internautes ; on pourra argumenter, décortiquer, refaire le match à l’infini, les faits sont têtus : le système démocratique de notre pays ne fonctionne plus puisque 57,3 % des électeurs inscrits n’ont pas voté ou l’on fait avec des bulletins blancs ou nuls, au deuxième tour des législatives. C’était prévisible depuis plus de vingt ans et certain depuis 2017 : tant les institutions nationales que locales, que les mécanismes électoraux et les principes essentiels de notre société ne suffisent plus à assurer un fonctionnement apaisé de notre pays.
Aucun parti ne peut se targuer de représenter, à l’Assemblée nationale, ne serait-ce que de 16,5 % (macronistes) à 13,5 % (mélenchonistes) des inscrits. Il en a été de même pour les élections locales de 2020 et 2021. Bref, le système est défaillant, pour le moins !
Quand une vérité similaire s’afficha aux yeux de tous à la fin du printemps de 1940, ce fut dans la brusquerie et le fracas d’une défaite militaire, alors que maintenant, il s’agit d’une lente et continue dégradation ; d’un mouvement imperceptible dans l’immédiat mais flagrant quant à son résultat, comme la mer qui se retire. Bien sûr, il reste de beaux rochers sur la plage qui font oublier le vide qui les entourent…et le fait, qu’eux aussi, disparaîtront lentement. Une infime minorité profite à plein des reliefs du repas tandis que la majorité quitte le champ clos de la politique et se réfugie dans le vain et intermittent babillement des réseaux dits « sociaux ».
Mais, ainsi que dans le film de Becker, il est malvenu de proclamer les vérités les plus évidentes, comme les plus dérangeantes. Pour s’en tenir aux principales, tout prouve que la « mondialisation » prônée depuis l’époque Thatcher comme la seule solution, a certes enrichi une frange étroite de la population mais elle est incapable d’assurer l’approvisionnement en lait des bébés américains, quand elle ne favorise pas les spéculations les plus scandaleuses sur les marchés du pétrole ou du blé…A l’autre extrémité de l’hémicycle, on rêve d’une Europe réduite aux acquêts, incapable de se défendre face aux menaces historiques, tant en Europe, qu’en mer de Chine, au nom d’une « souveraineté nationale » dérisoire dans le monde tel qu’il est devenu…Il existe même des rêveurs pour croire que l’on peut compter sur l’amour universel des hommes pour palier les imperfections de la société. Peut-être ont-ils raison, à condition de s’assurer que des Poutine, Xi Jinping et consorts, ne viendront pas contredire violemment ces illusions.
Comme pour le personnage joué par Dupontel, il est malvenu et très inconvenant d’asséner ces vérités à qui ne veut pas les entendre. À l’heure du politiquement correct et du wokisme débile, il est devenu malvenu de dire les choses telles qu’elles sont. Cela rappelle les conversations des salons bourgeois du XIXème siècle, entre gens « comme il faut », alors que le maître de maison rentrait tout juste de son escapade hebdomadaire au lupanar du coin… On sait vers quels abîmes mortels a conduit cet aveuglement collectif : des dictatures inhumaines et deux guerres mondiales.
Doit-on taire que, s’il faut 51 623 voix pour élire un député de la coalition de « gauche », il en suffit de 23 735 pour faire gagner un candidat LR, et que les autres « principaux » partis peuvent se contenter d’en réunir de 30 à 40 000 ?
Justement, après la seconde des deux guerres mondiales, un auteur allemand, Hans Hellmut Kirst, chercha une issue en participant à la création de la « Ligue d’action contre la renaissance du nazisme », lequel il avait trop bien connu lui-même. Dans ses plus fameux romans, La nuit des généraux ou La fabrique des officiers par exemple, il a décrit les mécanismes qui avaient conduit au désastre et contre le renouvellement duquel il s’était résolu à agir. Comme aujourd’hui et dans la complexité d’une Allemagne renaissante, il cherchait difficilement la Voie ; seulement, il le faisait en s’aidant de quelques principes élémentaires qui lui permettaient de se définir comme « individualiste par conviction, réaliste par expérience, socialiste sans romantisme. » Voici de quoi inspirer ceux qui auraient l’envie, sinon le courage, de rechercher une solution pour notre pauvre pays…à moins qu’ils ne préfèrent toujours attendre…mais quoi ?
Hugues Clepkens