L’appui de la France au candidat de l’axe syro-iranien et du Hezbollah, Soleiman Frangié, chef clanique de la commune de Zghorta au nord du Liban a fait couler beaucoup d’encre et a suscité de nombreuses controverses.
Sans que cet appui ne soit « officialisé » par le Quai d’Orsay, il a été à la base d’un déploiement d’efforts ubuesques pour convaincre les parties du sommet de Paris pour le Liban, regroupant : l’Arabie saoudite, l’Egypte, le Qatar, les Etats-Unis et la France de l’ « avantage » d’élire Frangié à la présidence de la République libanaise. Supplice de Tantale pour un peuple libanais exsangue et en quête d’un Président depuis plus de huit mois. Au moment où les Libanais attendaient une solution-miracle de la part du Président français promettant monts et merveilles au lendemain de l’explosion du port de Beyrouth en août 2020, ils restèrent sur leur faim en constatant l’approche surannée et obsolète employée par la diplomatie française tentant de résoudre le conflit libanais aujourd’hui en adoptant l’approche du XIIIe et XIXe siècle visant à contenter les clans féodaux influents. Ce secret de Polichinelle a eu du mal à être dissimulé.
Des sources proches du Quai d’Orsay nous ont confié que le Président français tenait à cette candidature en raison de sa proximité avec Gilbert Chaghouri, principal actionnaire de Total Energis et bailleur de fonds de Soleiman Frangié.
Chaghouri, homme d’affaires redoutable en Afrique aurait fait la connaissance d’Emmanuel Macron lors du stage de ce dernier à l’ambassade française du Nigeria ; l’Eldorado du milliardaire nigérien d’origine libanaise. Ces collusions avec le parrain de Frangié reçu plusieurs fois à l’Elysée, font du Président français un piètre médiateur au Liban et un perpétuateur de la crise actuelle qui privilégie les corrompus et les mafieux au détriment des plus faibles.
Frangié : chef clanique plutôt que leader maronite
L’histoire de la famille Frangié, considérée comme « seul poids lourd historique du camp chrétien » par un diplomate français[1], devrait suffire pour dissuader la diplomatie française du choix irrationnel du candidat Soleiman Frangié. Ancré dans une tradition de violence au nord du Liban, le clan Frangié incarne cette féodalité désuète qui est à la base des injustices actuelles au Liban. Se considérant au-dessus de la mêlée, le grand-père du même nom était un féru d’armes qui ne supportait pas la contradiction ou l’avis adverse. En 1957, courroucé par une réunion d’opposants politiques proches des deux leaders chrétiens Camille Chamoun et Pierre Gémayel dans l’église de Miziara, le grand-père Frangié tua avec ses acolytes et en se servant de son arme personnelle plus de trente fidèles rassemblés dans le lieu de culte. Ayant des liens amicaux et familiaux forts avec le dictateur de Damas Hafez el Assad, Soleiman Frangié prend la fuite et ne rentre au Liban qu’après une loi d’amnistie promulguée par le Président Fouad Chéhab. Elu Président en 1970, son sexennat témoigna du déchirement communautaire du Liban jusqu’à la guerre civile en 1975 et de la fameuse demande d’intervention militaire syrienne au pays du Cèdre ; une intervention qui ne prit fin qu’en 2005 après des années d’occupation et d’instauration d’un régime liberticide stalinien qui voua aux gémonies toute voix souveraine au Liban. Il est donc d’une absurdité désolante, cet appui français au petit-fils d’un président failli et homme politique au bilan peu rutilant. Ministre de l’intérieur en 2005, il refusa de coopérer avec les enquêteurs du Tribunal Spécial pour le Liban sur l’assassinat de l’ex-Premier ministre Rafic Hariri. Et il « s’illustra » dans sa phrase mythique énoncée à l’occasion de la sortie du premier acte d’accusation contre des proches du Hezbollah : « Nous sommes avec le régime syrien, la résistance islamique [le Hezbollah] et nous verrons qui gagnera ». Ce « poids lourd historique » est aussi lourdement représenté au dernier Parlement libanais avec un seul député chrétien sur un total de 128. La France connaît très bien le consensus libanais qui puise sa légitimité dans la représentativité démocratique d’un parti chrétien.
Or, suivant cette logique, la France commet une erreur diplomatique majeure en privilégiant le clan à la démocratie, l’histoire féodale à la véritable volonté chrétienne qui a accordé le plus grand nombre de voix au Bloc de la « République forte » rassemblant essentiellement les députés des Forces Libanaises et quelques figures indépendantes.
Les contradictions qui décrédibilisent
Au-delà de l’irrationalité du choix de Frangié, il conviendrait de s’attarder sur les contradictions qui ternissent l’aura de la diplomatie française au Liban. Comment prétendre avoir la volonté de sanctionner les responsables de l’explosion du port de Beyrouth et accepter un candidat dont le bras droit et ministre des Transports en 2020, refuse de comparaître devant la justice et d’être interrogé par le juge d’instruction chargé d’enquêter sur cette explosion apocalyptique à la lourde facture humaine ? Comment accepter le candidat officiel du Hezbollah, milice islamiste accusée d’être responsable de l’attentat du Drakkar contre les parachutistes français ? Comment croire à ses promesses quand les gages venant du camp syro-iranien dont le Hezbollah et Frangié sont les parangons au Liban, ne sont jamais tenues ? Le Hezbollah n’avait-il pas promis un été tranquille en 2006 avant d’envoyer ses missiles sur Israël dans une guerre destructrice de 33 jours ? N’avait-il pas promis de collaborer avec la justice internationale pour établir la vérité sur l’attentat de Rafic Hariri en 2008 avant de lâcher ses miliciens dans Beyrouth en mai de la même année pour mieux asseoir sa force militaire ? N’avait-il pas approuvé le document de Baabda sur la neutralité du Liban avant de le torpiller en s’engageant militairement dans la guerre syrienne ? De surcroît, à l’issue des dernières législatives le Hezbollah et ses alliés dont Frangié ont perdu la majorité parlementaire.
Leur seule arme c’est le blocage institutionnel jusqu’à l’essoufflement de l’opposition.
Nabih Berri, le chef de la Chambre des députés et pilier de l’alliance Hezbollah-Amal appelée plus communément le « tandem chiite », n’appelle guère à la tenue de séances d’élection présidentielle. Frangié s’en réjouit et joue la carte de l’intimidation, fort de son alliance avec la milice islamiste et de l’incohérence de la diplomatie française. Mais l’administration Macron, après des mois de statu-quo au Liban, choisira-t-elle toujours la vacance présidentielle en risquant le déshonneur et peut-être, la perte de son rôle historique au Levant ?
Maya Khadra
[1] Hélène SALLON, « Sleiman Frangié, candidat controversé de la France à la Présidence libanaise », Le Monde, 11 mai 2023.