Dans le bandeau de BFMTV qui accompagnait l’allocution du ministre de la Justice, on pouvait lire, au sujet de l’agresseur de la policière municipale de La Chapelle-sur-Erdre : « suspect schizophrène et radicalisé ». L’ordre des qualificatifs, repris tel quel également par Le Monde et Libération entre autres, n’est pas anodin, surtout lorsqu’on sait que le ministre de l’Intérieur, dans son allocution, avait d’abord présenté le caractère radicalisé (inscrit au fichier FSPRT) de N’diaga Dieye, avant d’évoquer sa schizophrénie.
Une telle inversion des priorités aurait-elle un autre objectif, idéologique, que celui de transformer cet islamiste multirécidiviste en une victime en proie à une détresse psychiatrique, en un affligé, un homme malade, non responsable de ses actes ? Si le parquet antiterroriste n’était pas saisi au moment où Eric Dupond-Moretti s’exprimait dans les médias ; s’il ne l’est toujours pas au moment où s’écrivent ces lignes, n’est-ce pas pour les mêmes raisons ?
En introduction de son ouvrage Surveiller et Punir, Michel Foucault situe autour de 1760 un basculement majeur dans la manière de concevoir la pénalité, laquelle portait jusque-là sur le corps, et dont Gabriel de Mably, abbé mais néanmoins homme des Lumières, souhaitait qu’elle « frappe l’âme plutôt que le corps ». Foucault explique qu’avant ce moment charnière où a émergé la psychiatrisation du jugement pénal, juger « c’était établir la vérité d’un crime, c’était déterminer son auteur, c’était lui appliquer une sanction légale. Connaissance de l’infraction, connaissance du responsable, connaissance de la loi, trois conditions qui permettaient de fonder en vérité un jugement. » Or, une nouvelle question s’est trouvée inscrite dans le cours du jugement à cette époque, et elle n’a cessé de prendre de l’ampleur jusqu’à aujourd’hui : « Fantasme, réaction psychotique, épisode délirant, perversité ? » On ne se demandait plus simplement : Qui est l’auteur du crime ? Mais : « Comment assigner le processus causal qui l’a produit ? » C’est-à-dire : « Où en est, dans l’auteur lui-même, l’origine ? Instinct, inconscient, milieu, hérédité ? Non plus simplement : Quelle loi sanctionne cette infraction ? Mais : Quelle mesure prendre qui soit la plus appropriée ? » Dès que la folie est apparue dans la pratique pénale, elle en a bouleversé les codes, jusqu’au Code de 1810 lui-même, en son article 64, suivant lequel il devenait désormais impossible de déclarer quelqu’un à la fois coupable et fou. C’est ainsi, analyse Foucault, que « le crime lui-même disparaissait. » Bingo !
La disparition du crime est la clef qui permet à la fois de comprendre la frilosité du système pénal français et de déconstruire l’idéologique humanitariste des médias et d’une partie de la classe politique.
Car en effet, quelles autres intentions ont secrètement nourri BFMTV, Libération, Le Monde, ainsi que plusieurs responsables politiques, Jean-Luc Mélenchon en tête, en mettant en avant le caractère schizophrène du djihadiste Dieye, si ce n’est : Faire disparaître son crime ? La « folie » caractérisée « scientifiquement » est devenue l’outil le plus puissant des amoureux du genre humain, tous désireux de sacraliser la vie du criminel, de l’ennemi même dont l’unique objet est pourtant la destruction de la nation. Pourquoi ?
Ceux que Foucault appelle les « juges parallèles » – experts psychiatres ou psychologues, mais aussi éducateurs ou magistrats de l’application des peines – sont devenus co-détenteurs des « mécanismes de punition légale ». La raison de ce partage de la responsabilité de la pénalité ? « Disculper le juge d’être purement et simplement celui qui châtie. » Le hic, c’est que ni les experts psychiatres, ni les juges des libertés, ni aucun autre maillon de la chaîne pénale ne souhaite désormais être « purement et simplement celui qui châtie ». Et la classe politico-médiatique le souhaite moins qu’aucun autre encore. Alors ? Quel recours ? La folie ! En déclarant la folie partout, plus personne n’est coupable. Sur l’ensemble du territoire, des policiers sont attaqués, des français sont assassinés, des femmes sont violées, et partout, néanmoins, on cherche obsessionnellement les clauses d’irresponsabilité pénale. Partout on s’attache à reconnaître, ainsi que l’affirmait Robert Badinter dans une interview à l’Express en 1973, que « la vie doit être sacrée même en la personne du sacrilège ». Même en la personne d’Abdoullakh Anzorov… Et tant pis pour Samuel Paty. Même en la personne de Mohamed Lahouaiej-Bouhlel… Et tant pis pour les 90 personnes décédées sur la Promenade des Anglais. Même en la personne de N’diaga Dieye… Et tant pis pour la policière, Katell L. De toute façon, le risque zéro n’existe pas…
Frédéric Saint Clair
Ecrivain, politologue