Pour la Revue Politique et Parlementaire, Raphael Piastra, maitre de Conférences en droit public des Universités aborde la situation tendue à Mayotte, critiquant la décision de Gérald Darmanin de supprimer le droit du sol par le biais d’une révision constitutionnelle. Il souligne les difficultés socio-économiques de l’île et remet en question la légalité et l’efficacité de cette mesure.
À Mayotte la situation est explosive depuis quelques mois. Gérald Darmanin vient d’annoncer la suppression du droit du sol avec une révision constitutionnelle. Avant que de montrer que c’est une aberration, nous allons quand même faire un rappel. S’il y a cette crise mahoraise, à qui la faute originelle ? À Nicolas Sarkozy qui, au prétexte fallacieux de maitriser l’immigration endémique qui y régnait, a fait de cette île le 101è département français le 31 mars 2011. Rappelons que c’était une de ses promesses de campagne. En effet en mars 2007, il écrivit une « lettre aux Mahorais » (citée par plusieurs documents sénatoriaux) promettant après son élection : « si le conseil général de Mayotte me le demande, comme la loi l’y autorise à partir de 2008, je vous consulterai sur la départementalisation de votre île.» Ce qui fut annoncé fut fait. Il faut préciser que l’île a toujours été l’objet d’un traitement différent de l’Hexagone, et même des autres départements d’Outre-mer. On pourrait même dire un traitement préférentiel.
Par exemple il y existe des règles dérogatoires, des régimes exceptionnels qui viennent limiter les droits des migrants.
On peut même rajouter plus que dans tous les autres territoires ultramarins.
De quoi hérite-t-on en 2011 ? D’un territoire à la dérive. Malgré une croissance de 9 % par an, le taux de chômage atteint 35 % : l’INSEE dénombre, début 2019, 51 400 personnes « sans emploi mais qui souhaitent travailler » (?!), ce qui est de très loin le record de France tous territoires confondus (et alors que l’emploi informel est comptabilisé comme travail (?!)).
Le SMIC à Mayotte est de 25 % inférieur au SMIC national.
45 % des emplois sont dans le tertiaire administratif. Mayotte est le département le plus pauvre de l’hexagone. Surtout le petit territoire de l’océan Indien est confronté à une forte pression migratoire, venue essentiellement des Comores, mais aussi des pays des Grands Lacs africains (Burundi, République démocratique du Congo, Ouganda, Rwanda) qui accentue les difficultés économiques et sociales du plus pauvre des départements français. Quelques chiffres. Trois mères sur quatre sont étrangères, un père sur deux est étranger, 60 % des nouveau-nés ont un des deux parents étrangers. Le taux de fécondité se rapproche des cinq enfants par femme (www.insee.fr/fr/statistiques).
Rappelons aussi que les mahorais subissent deux jours sur trois des coupures d’eau. Et ce n’est pas uniquement la faute à la sécheresse. La majorité des installations sont hors d’usage.
Que viennent chercher les migrants des Comores comme ceux des Grands Lacs à Mayotte ? L’assistance sociale si généreuse de la France ! Notamment le fameux droit du sol (cf notre analyse dans ces colonnes, novembre 23). La nationalité par attribution automatique. Selon le Code Civil tout enfant né en France dont au moins un des parents est également né en France. C’est ce qui s’appelle même le « double droit du sol ». Les chiffres que nous livrons ci-dessus sont imparables. La plupart des étrangers viennent « coloniser » le territoire mahorais et, pour la grande majorité d’entre eux, y alimenter la délinquance et la criminalité. Mais ne le dites pas trop fort car il y a encore des âmes simples qui disent qu’il ne faut pas faire le lien ! Qu’on le veuille ou non, et on ne pourra que le déplorer, Mayotte est depuis sa départementalisation en 2011 le département français avec le plus fort taux de délinquance (Outre-mer : le bilan de la délinquance 2016 fait l’impasse sur les homicides », sur la1ere.francetvinfo.fr, 19 janvier 2017). Dans une note publiée en 2021, l’Insee évoque à propos du département une « délinquance hors norme » (INSEE, « Une délinquance hors norme – Cadre de vie et sécurité à Mayotte). Un rapport sénatorial fait état d’ « une très forte augmentation, depuis 2008, du nombre de faits de délinquance commis à Mayotte ».
Nous posons une question. Au vu de tout cela, avait-on vraiment besoin de transformer ainsi Mayotte en département ? …
Alors en ce dimanche 11 mars, et comme la situation s’aggravait vraiment, est venu Gérald Darmanin. Il était accompagné de Marie Guévenoux, en charge de l’Outre-Mer, « une nouvelle ministre qui ne connaît ni nos avantages, ni nos peuples et ni nos problématiques » (Frédéric Maillot, député de la Réunion). À peine arrivé le ministre de l’Intérieur a déclaré : « Nous allons prendre une décision radicale, qui est l’inscription de la fin du droit du sol à Mayotte [se fera] dans une révision constitutionnelle que choisira le président de la République ». Il a également affirmé que le gouvernement va « diviser par cinq les regroupements familiaux ».
Alors concrètement de quoi parle-t-on ?
À Mayotte, le droit du sol avait déjà été durci pour cette raison dans le cadre de la loi Asile et Immigration en 2018.
Depuis cette date, afin qu’un enfant né sur l’île devienne français, il faut que l’un de ses parents ait, au jour de la naissance, été présent de manière régulière en France depuis au moins trois mois. Un cas unique en France, puisque aucun délai de résidence n’est exigé ailleurs dans le pays. Le Conseil constitutionnel avait validé en estimant que les lois « peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières ». Dès lors si la suppression du droit du sol est actée à Mayotte, « il ne sera plus possible de devenir français si on n’est pas soi-même enfant de parent français », a expliqué Gérald Darmanin, assurant que cela « coupera littéralement l’attractivité » que peut avoir l’archipel mahorais.
Lorsqu’ on étudie la Constitution de 1958, comme on le fait depuis bientôt une trentaine d’années, que constate-t-on ? D’abord que le droit de la nationalité n’y figure en aucune façon. Déclaration de 1789 et Préambule de 1946 ? Rien. La Constitution prévoit simplement que le droit de vote est réservé aux français (sauf élections municipales où peuvent se présenter des citoyens de l’UE). L’art.34 énonce simplement que la loi fixe les règles notamment en matière de nationalité. Et puisque de loi il s’agit, en matière de nationalité c’est le Code Civil qui prévaut. Section 1 : Des modes d’acquisition de la nationalité française … (Articles 21 à 21-29) ; www.legifrance.gouv.fr.
Alors que dans la Constitution, il y a un mécanisme envisageable pour Mayotte, l’état de siège (art.36). Celui-ci restreint les libertés publiques en donnant notamment des pouvoirs à l’autorité militaire.
Décrété en conseil des ministres, l’état de siège est mis en place en cas de péril imminent, pour faire face à un conflit (troubles intérieurs graves, par exemple). Prévu pour une durée de 12 jours, il peut être prolongé par une loi. Et on peut aussi envisager l’état d’urgence qui a été institué par la loi 3 avril 1955 et modifié plusieurs fois, en particulier par l’ordonnance du 15 avril 1960 et la loi du 20 novembre 2015. Décidé par décret en conseil des ministres, il peut être déclaré sur tout ou partie du territoire soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas de calamité publique (catastrophe naturelle d’une ampleur exceptionnelle). Cet état d’urgence, en raison de la frilosité de F. Hollande, n’a pas été inscrit dans la Constitution en 2016.
Donc on se demande bien ce que veut faire G. Darmanin avec son histoire de révision ? Déjà ce n’est pas lui qui décide. L’art. 89 est très clair : « L’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République sur proposition du Premier ministre et aux membres du Parlement. » Le locataire de Beauvau n’est pas (encore ?!) président et (toujours ?!) pas Premier ministre. Surtout sur quoi veut-il qu’elle porte cette révision ? Concrètement sur quel sujet ? Intégrer la suppression du droit du sol à Mayotte ? À côté de la plaque car ce serait inconstitutionnel (rupture du principe d’égalité). Un second volet de la loi de 2018 ? Le Conseil Constitutionnel avait estimé qu’on arrivait à une limite. Et puis, imaginons un projet de révision (qu’en l’état personne ne définit vraiment).
Le chemin imposé par l’art. 89 est semé d’embuches surtout avec une majorité relative à l’Assemblée.
Quant au choix référendaire que pourrait faire le président, sa côte de popularité actuelle devrait modérer ses ardeurs (27 %, dans le baromètre mensuel Elabe pour « Les Echos, 4/1/24). Un échec lui plomberait la fin du mandat.
Donc, une fois de plus et ça devient une méthode de gouvernance pour G. Darmanin (ex-disciple de Sarkozy il est vrai !), sa gestion de Mayotte c’est beaucoup de bruit pour pas grand-chose.
« Le bruit ne fait pas de bien, et le bien ne fait pas de bruit.” (Saint François de Sales)
Raphael Piastra,
Maitre de Conférences en droit public des Universités