La période que nous traversons indique-t-elle une relativisation du présidentialisme et un déplacement du centre de gravité institutionnel vers le Parlement ? La passion qui s’empare du débat à l’Assemblée nationale voire au Sénat, pourrait en effet indiquer comme aux heures des Républiques parlementaristes des IIIe et IVe, que le pouvoir a repassé la Seine comme le craignait G. Pompidou. C’est sans doute aller vite en besogne.
Le décrochage présidentiel en 1997
Pour comprendre, reprenons les quelques années écoulées depuis la première coexistence institutionnelle. Entre 1986 et 2002, par trois fois et surtout lors de la dernière cohabitation Chirac-Jospin qui dura cinq ans, le président avait perdu sa prééminence pour rester éminent – notamment en géopolitique. Sous Jacques Chirac, trois évolutions majeures ont eu lieu : le président a perdu la main sur l’usage de prérogatives institutionnelles discrétionnaires dont le chef de l’Etat dispose : dissolution (art. 12) ratée de 1997, référendum (art. 11) perdu en 2005. Depuis, elles sont inusitées. Surtout, il a dû accepter la réduction du mandat présidentiel à cinq ans en septembre 2000.
L’adoption du quinquennat a changé la matrice de la Ve République : le régime reste semi-présidentiel, mais la concordance des mandats présidentiels et des députés écrase la spécificité des rôles au sein de l’exécutif.
L’hyper-président, un roi nu
Le soi-disant hyper-président dispose de peu de temps pour faire valoir des résultats en vue d’une éventuelle réélection. Avant Emmanuel Macron, aucun n’a été réélu. Si lui l’a été, les conditions du débat de 2022 et l’état des partis et de la vie politique ne permettent pas de conclure pour autant à une remise en ordre présidentialisée légitime.
Le soi-disant hyper-président décide il est vrai de beaucoup de choses ; sans doute avec Emmanuel Macron, la concentration élyséenne du pouvoir est-elle très aboutie, le tandem formé avec son secrétaire général étant souvent jugé responsable de la plupart des arbitrages. La réforme des retraites déroge-t-elle à ce constat ? Il ne le semble pas ; sans doute est-ce un élément d’explication des « ratés » de la délibération du texte, le Gouvernement semblant parfois insuffisamment préparé…
Ce « décisionnisme » élyséen illustre dans tous les cas que trancher au sommet, y compris peu après une présidentielle, garantit de moins en moins l’approbation d’une majorité de l’opinion.
Face aux Français, le chef de l’État assume donc de plus en plus directement au moins depuis Nicolas Sarkozy, la responsabilité de l’ensemble des politiques.
En conséquence, son impopularité est d’autant plus intense et fréquente ; alors que sa capacité à incarner le temps stratégique s’est effacée avec la suppression de deux ans de mandats. L’hyper-présidentialisme décisionnel n’est pas légitime.
Le Premier ministre ne trouve plus sa place
Le Premier ministre trouve-t-il avantage à cet affaiblissement ? On eût pu le croire avec F. Fillon inamovible pendant 5 ans et plus populaire que N. Sarkozy… voire avec M. Valls, capable avec d’autres, d’entraver une nouvelle candidature du président Hollande. Enfin, Ed. Philippe a été victime… de son succès ! Mais institutionnellement, le chef du Gouvernement est toujours coincé entre le président devant qui il est responsable au vu de la coutume – exit Philippe -, et l’Assemblée nationale, à qui il doit rendre des comptes – l’usage du 49.3 et les propositions récurrentes de motions de censure le rappellent.
En fonction des moments, le P.M. dispose cependant toujours d’une marge pour se faire entendre, même si du fait du quinquennat, il est tenu de près par les engagements de la campagne présidentielle. Par ailleurs, si les éléments contestataires au parlement ne sont pas nouveaux, les dompter est devenu plus coûteux face à l’opinion. L’usage du 49.3 fait polémique, comme la rationalisation trop visible du parlementarisme… Enfin, le président continue à faire du Premier ministre un fusible lorsque de besoin – J.-M Ayrault ou… E. Borne ? Toujours en enfer, le chef du Gouvernement ne profite donc pas des ennuis de Dieu…
Le Palais bourbon : le crieur sans parole
Finissons avec la rue – c’est d’époque -, une promenade institutionnelle nous menant place du Palais bourbon. L’Assemblée nationale profite-t-elle des ennuis de l’exécutif, moins populaire et dont les politiques sont jugées peu efficaces ? Il ne le semble pas. Certes, le parlement peut faire du bruit et du buzz, notamment en temps de majorité relative et de polarisation multipartite – comme l’indique ce début de nouvelle mandature. Mais est-il en mesure de se substituer à l’exécutif pour impulser l’ordre du jour législatif, décider de stratégies publiques ou davantage contrôler les Administrations ? Non pas. Dès lors, le parlementarisme ne s’est pas substitué à un présidentialisme très affaibli. Il ne le peut, car trop émietté et incapable de censure constructive. Ainsi, il n’est pas le centre du pouvoir, les technocrates veillant jalousement à conserver ce qui leur reste de prérogatives d’État- commission d’enquête sur le nucléaire ou pas…
Il semble donc nous assistions à un affaiblissement de tous les pouvoirs, en efficacité comme en légitimité. Le baromètre[1] de la confiance ou faut-il dire de la défiance politique, ne le dément pas. Le quinquennat n’est pas la source de tous les maux, mais le facteur institutionnel qui représente un seuil entamant le déclin de la Ve République. Pour aller vers quoi ? Il serait temps de s’en saisir, si le désordre veut être évité.
Olivier Rouquan
Politologue, constitutionnaliste
[1] https://www.opinion-way.com/fr/component/edocman/opinionway-pour-le-cevipof-barometre-de-la-confiance-en-politique-vague-14-fevrier-2023/viewdocument/3069.html?Itemid=0