La tentative de réconciliation avec l’Algérie, qui a viré au fiasco diplomatique, est le parfait exemple des limites de la vision macronienne. On retrouve dans cette affaire tous les éléments de son caractère. Le démiurge qui résout les problèmes impossibles. Le banquier d’affaire qui commande des audits (le rapport Stora) et qui conclut des deals. L’optimiste qui croit qu’aux bonnes volontés, rien d’impossible. L’autoritaire qui devient arrogant et sermonnant lorsqu’il se retrouve contrarié. Le metteur en scène qui monte un récit. Et finalement, le naïf, qui ne réalise décidément pas que ses interlocuteurs l’ont bien cerné et jouent de sa prévisibilité.
Il est donc difficile de ne pas voir l’amateurisme derrière ce fiasco. Cette démarche était à tel point hasardeuse, que l’on ne pouvait que penser que l’arrière-cuisine diplomatique avait vu les choses en grand, que tous ces rapports et prolégomènes n’étaient que le hors d’œuvre d’une grande séquence qui trouverait son apothéose avec un coup de théâtre, à l’image de la venue surprise du dirigeant iranien au G7 de Biarritz. Quoiqu’il se soit tramé dans les coulisses, le spectacle est donc raté. A moins que tout cela fasse aussi partie du scenario, pour faire monter le suspens…
Par ailleurs, Emmanuel Macron est resté fidèle à son « en-même-tempisme », ce qui devient finalement chez lui une idéologie au logiciel un peu bâclé. Lui qui se voyait « au- dessus », « jupitérien », brisant de par la brillance de son intellect les vieux schémas de pensée formatés, se trouve à mal maitriser les idéologies avec lesquelles il jongle. Ses confidences à ces jeunes binationaux traduisent bien ce qu’il est, un homme combatif, adepte du rapport de force, qui n’hésite pas à dire « les vrais choses ». Il évoque donc l’évidence de « la rente mémorielle » et celle qui l’est moins, semble-t-il, de « l’absence de l’existence d’une nation algérienne avant la colonisation française ». Ce faisant il attaque frontalement le candidat Macron de 2017 et son libéralisme sociétal « light », celui qui essentialisait : « il n’y a pas une culture française mais il y a une culture en France et elle est diverse ». Le wokisme qui inspire aujourd’hui les luttes identitaires se nourrit justement de la rente mémorielle et des affronts faits aux identités, ce sont ses deux matrices, qui vont de pair.
Ces confidences maladroites, qui horrifieraient un Trudeau, démontrent bien qu’il n’a aucunement intériorisé le libéralisme social à l’américaine, qu’il reste dans le fond formaté par l’universalisme français.
Macron comme toujours cajole la chèvre et le chou. Lui-même n’a probablement aucune conviction tant il est capable d’attaquer ou de ménager, selon les circonstances, son patriotisme et son multiculturalisme. Peu importe pour lui, qui sera capable d’évoluer dans les deux univers. Le patriotisme est pour lui un cadre étriqué, mais il apprécie la force collective qui s’en dégage. Le multiculturalisme permet une formidable liberté d’expression individuelle, délivrée du carcan du grégarisme sociétal, mais en revanche il n’offre que la vulgarité d’un pouvoir national atrophié, rongé par les particularismes. En revanche, les deux s’excluent mutuellement. La société ne peut pas être en même temps nationale et post-nationale. Quels que soient les aménagements nécessaires accordés à la modernité, il faut affirmer un principe, face à ce qui est finalement la grande question posée aux démocraties occidentales. Boris Johnson a fait le choix du retour à la nation, Justin Trudeau est lui à l’avant-garde de l’identité nationale fluide.
Emmanuel Macron pour sa part continue donc à louvoyer.
Il est certain que les relations internationales, elles, ne vivent pas d’ambivalence et d’opportunisme individuel, et qu’une fois de plus l’image de la France a souffert de l’hubris présidentielle. Puisque Emmanuel Macron semble appelé à être le prochain président, faute d’alternative, souhaitons que le prochain mandat sera celui du recul et de la maturité, tant il certain qu’il ne sera pas celui d’un choix de société.
François-Xavier Roucaut
Psychiatre
Professeur adjoint de clinique à l’université de Montréal