Quel incroyable paradoxe nous livrent Les Républicains, à la veille du second tour de l’élection de leur futur Président ! Un parti malade mais toujours en vie, convalescent sans que le diagnostic interne ne fasse l’objet d’un consensus, un parti fauché depuis plus de 5 ans par le macronisme mais auprès duquel l’exécutif court pour qu’il bascule dans la majorité, un parti sans nouveau leader charismatique pour incarner mais disposant d’un grand réservoir d’élus, de maires, de présidents d’exécutifs locaux (dont certains sont des « stars » de notre vie politique), un parti dont le programme a été en partie aspiré par le macronisme mais qui continue d’être identifié comme un parti de droite par la plupart des électeurs.
Cette série de paradoxes donne envie de les prolonger : plutôt que d’analyser cette curieuse situation comme l’annonce d’un inéluctable déclin, d’une « mort annoncée », ce que font à longueur de commentaires répétitifs la plupart des analystes, on va prendre ici un autre chemin : celui qui nous est conseillé par une vision plus dialectique de la politique, de la vie politique. En politique, les difficultés ne sont jamais qu’annonciatrices des renouveaux, les transformations liées aux échecs sont riches de possibilités pour se réformer : cela oblige à bouger, à bousculer et ce sont dans ces périodes que l’innovation et le changement viennent souvent. Au fond, pas de Macron sans la crise du hollandisme et du centre gauche. De nombreuses formations politiques n’ont pas su prendre les choses ainsi et se sont recroquevillées sur leurs certitudes, ont refusé d’analyser leurs difficultés en produisant un effort intellectuel : conceptualiser le monde, proposer aux électeurs des « mots clefs » identifiables, penser la complexité en renouant avec les dimensions les plus fondamentales de l’action politique, plonger ses réflexions dans les racines de la culture et des sciences sociales. Voilà quels sont les enjeux d’une formation politique en ce début tragique du 21e siècle !
La vraie question devient alors, pour une formation politique comme le LR et dans la situation qui est la sienne aujourd’hui, celle de sa capacité à empoigner ces enjeux fondamentaux et à muter, quitte à ce que cela prenne un peu de temps.
Sur cette longue route, quelle interprétation peut-on donner de l’élection à la tête du parti dont le second tour se tiendra ce week-end ?
D’un côté, cette élection se tient alors que le parti fait face à une série de questions existentielles, idéologiques et stratégiques fondamentales et sans précédent : il ne s’agit plus, comme par le passé, de luttes internes, de rivalités entre courants ou personnalités, c’était le « bon vieux temps » si l’on peut dire…. ! Non, il s’agit à présent d’une douleur et d’un mal bien plus profonds pour ce parti, percuté par trois échecs à la présidentielle, l’aspiration de plusieurs de ses cadres parmi les plus « capés » (Bruno Le Maire, Gérard Darmanin, Edouard Philippe) et de ses thèmes par le macronisme.
Dans le même temps, les résultats du premier tour ont montré une belle résilience du parti : sur les 91.110 adhérents du mouvement, 66 216 se sont exprimés, une participation de près de 73 %.
De quoi rendre jaloux les autres formations politiques…. ! En effet, dans cette « cour des petits » que sont devenus nos partis politiques en France, la participation au premier tour chez les LR fait figure de « cour des grands »….. : moins de 12 500 votants se sont exprimés pour le récent congrès fondateur de « Renaissance », soit moins de la moitié des… 27 000 adhérents du parti présidentiel ; seuls… 5 300 adhérents ont voté lors du premier tour de l’élection du future, ou de la future, secrétaire nationale d’EELV. Dans ce dernier cas, on hésite même sur le terme de « cour des petits », peut-être devrait-on parler d’une simple association de quartier ?
Autre élément positif pour le parti, issu du premier tour : si les débats n’ont pas permis de faire apparaître de fortes différenciations entre les candidats, leurs résultats montrent que leurs styles et leurs images intéressent des publics qui ne sont pas exactement les mêmes, une ressource et un signe de vitalité pour un parti politique. Si Eric Ciotti maintient, pour le second tour, son statut de favori (42,73 % des exprimés au premier tour), il est néanmoins bel et bien « challengé » par Bruno Retailleau (34,45 %). Si Aurélien Pradié n’a pas percé le mur de la notoriété nationale et n’a pas donné autant que sa jeune ambition ne le souhaitait, il marque néanmoins des points : Eric Ciotti et Bruno Retailleau ont bien été obligés de tenir compte de l’exigence de renouvellement générationnel portée par le jeune secrétaire-général du mouvement. Sans prendre parti en faveur de l’un des deux qualifiés du second tour, lui et ses proches pèseront sans doute dans le nouvel organigramme.
Dimanche soir, une fois l’élection passée, les questions fondamentales et le travail de fond sur des questions essentielles pour la droite (la place de l’Etat dans la France d’aujourd’hui, la répartition des charges entre l’Etat et les territoires, les questions budgétaires et fiscales, les questions de respect de la loi et d’ordre public) vont-elles paver le chemin ? Ou est-ce que ce sont les questions de court-terme (élections à venir, remise en marche du parti, perspective de 2027) ? C’est la capacité (ou l’incapacité) de ce mouvement politique à se projeter simultanément et en interaction dans les deux dimensions de court et long terme, de la tactique et de la stratégie, qui nous dira si une très mauvaise passe peut se transformer en une phase de renouveau.
Bruno Cautrès
Chercheur CNRS au Cevipof
Professeur à Sciences Po