Alors que la liste LREM pour la région Hauts-de-France avait déjà à sa tête un membre du gouvernement, en la personne de Laurent Pietraszewski, actuel secrétaire d’Etat chargé des Retraites, Eric Dupond-Moretti a décidé d’y figurer également. Quelle stratégie politique sous-tend cette candidature ? La macronie avait-elle besoin d’un second poids lourd pour affronter le RN, pour tenter de le discréditer en déclassant la liste emmenée par Sébastien Chenu, anticipant ainsi l’affrontement attendu en 2022 entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, afin d’installer, en cas de victoire, un rapport de force favorable au Président de la République ?
Il est possible que, dans l’entre-soi parisien, lorsque les forts en gueule disposant d’un statut social confortable alignent à tout rompre les analyses les plus improbables, l’assemblée des courtisans acquiesce aimablement, satisfaite de valider d’un sourire admiratif ces arguments politiques que John Maynard Keynes rabaissait au rang de « propos ronflants d’après dîner ». Il est également possible que dans les bureaux feutrés des palais de la République, l’éclat des dorures confère à tout échafaudage idéologique branlant le statut de solide stratégie politique. Le réel, quant à lui, surtout lorsqu’il a le visage d’une terre électorale en souffrance, résolument rétive aux arguments et à la politique macronistes, pourrait se révéler moins aisément manipulable. L’aboutissement de cette candidature pourrait donc se résumer, ainsi que Xavier Bertrand l’a twitté avec malice, à un extrait d’une fable de LaFontaine, La grenouille et le rat : « La ruse la mieux ourdie peut nuire à son inventeur ; et souvent la perfidie retourne à son auteur… »
Car nul n’est dupe ! L’engagement n’est que de circonstance, et la manœuvre n’est que politicienne. Puisque le débat présidentiel semble, à un an de l’échéance, de plus en plus installé entre un Emmanuel Macron en légère en perte de vitesse et une Marine Le Pen dont les gains de popularité sont modérés mais constants, l’hallali a été sonné : il faut défier le RN partout où il est puissamment installé et en passe de l’emporter aux élections régionales. Les deux régions historiques phares ont été ciblées : les Hauts-de-France et la région PACA. Le cafouillage de PACA a rapidement éclaté au grand jour, révélant l’impéritie des stratèges macronistes. Il est probable que Nord et Sud marchent d’un même pas en cette occasion, et que l’affiche des Hauts-de-France fasse in fine un terrible flop. Car, que penser de cette volonté farouche, martelée jour et nuit, 7j/7, de s’opposer au RN, comme s’il était le diable incarné ? Ne ressemble-t-elle pas davantage à une obsession psychotique qu’à un front républicain raisonné ?
La macronie n’a manifestement pas encore réussi à intégrer une notion élémentaire de stratégie politique : la re-diabolisation du RN ne fonctionne pas !
Ressasser que l’on a des « valeurs » qui sont incompatibles avec le RN sans jamais préciser lesquelles ; rabâcher que Marine Le Pen est une menace pour la République et la démocratie sans jamais expliquer pourquoi, sans jamais présenter le moindre argument concret, a sur l’opinion publique un effet inverse de celui qui est escompté. Les partis politiques vont devoir accepter désormais que la compétition électorale avec le RN doit se jouer uniquement sur le plan des idées et des propositions politiques. L’artifice gagnant de Jacques Chirac en mai 2002 est aujourd’hui un pétard mouillé !
Mais surtout, se présenter devant les électeurs, n’est-ce pas d’abord désirer les servir ? N’est-ce pas, en quelque sorte, les aimer et vouloir consacrer son temps et son énergie à les aider ? Dès lors, que penser d’une tactique visant à créer une affiche électorale médiatique dans l’unique but de permettre à son « patron » de l’emporter lors de l’échéance électorale suivante ? Cela ressemble fort à une instrumentalisation du processus électoral doublée d’un mépris des électeurs du Nord, rabaissés au rang de pions du pouvoir en place.
Emmanuel Macron n’avait-il pas confiance en son secrétaire d’Etat aux Retraites ? Laurent Pietraszewski a pourtant été élu député de la 11e circonscription du Nord en juin 2017. Sa légitimité était probante, son poids politique suffisant, et sa candidature n’a attiré aucune des remarques sarcastiques, du type « provocation », « tourisme électoral », « brouillon de son ambition présidentielle », dont a immédiatement été affublée celle du ministre de la Justice. Il est ainsi probablequ’Eric Dupond-Moretti, après avoir présenté en mai son projet de loi sur l’irresponsabilité pénale, présente en juin le bilan de l’irresponsabilité politique macronienne.
Frédéric Saint Clair, écrivain et politologue