Le dernier épisode qui s’est déroulé entre E.Macron et E.Borne, nous a inspiré quelques réflexions, pour certaines inspirées de rencontres avec des protagonistes ou leur entourage, sur le plus important couple de notre exécutif. Si dans l’ensemble la relation est plutôt courtoise et républicaine, il arrive quelques tensions parfois. Le prochain remaniement permettra aussi d’éclairer nos propos.
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Sous Emmanuel Macron (2017-…)
Le natif d’Amiens a jusqu’à ce jour nommé trois premiers ministres dont une femme.
- Edouard Philippe : un paradoxe à Matignon (2017 – 2020)
Député-maire Les Républicains du Havre, ce proche d’Alain Juppé (rocardien dans sa jeunesse), nommé à Matignon, n’a pas toujours été tendre avec le nouveau président. Doux euphémisme ! Il s’en est pris plusieurs fois au candidat Emmanuel Macron. Raillant en 2014 un « ancien banquier de chez Rothschild » et mettant en 2016 en parallèle « le Macron des actes » avec « le Macron des discours », ou encore dénonçant début 2017 le fait que « Macron n’assume rien mais promet tout » et qu’il ait « le cynisme d’un vieux routier ». Excusez du peu ! Et c’est ce censeur-là qui est nommé à Matignon ! Du jamais vu depuis 1958.
Également, sous la Ve République, hors période de cohabitation, c’est la première fois qu’un Premier ministre conduit une politique qu’il n’a pas soutenue pendant la campagne présidentielle et qu’il n’est pas issu d’un mouvement politique soutenant officiellement le chef de l’État.
Il est le troisième plus jeune Premier ministre de la Ve République, derrière Jacques Chirac et Laurent Fabius. Fait inédit, le palais de l’Élysée et Matignon partagent alors une dizaine de conseillers, ce que Mediapart perçoit avec raison comme « un moyen sûr, pour Macron, de conserver une présence directe dans le cabinet de son Premier ministre, ce qui n’était pas le cas sous le quinquennat Hollande ». Donc de facto une hiérarchie est établie. A noter que le président a tenté, en vain, de lui imposer un directeur de cabinet.
À partir du 3 octobre 2018, à la suite de la démission de Gérard Collomb, Édouard Philippe assure l’intérim à la tête du ministère de l’Intérieur (tradition sous la Vé), dans l’attente de la nomination d’un nouveau ministre. Christophe Castaner lui succède le 16 octobre suivant, ce qui fait de cet intérim d’Édouard Philippe place Beauvau le plus long de la Ve République.
A partir de l’automne 2018 l’essentiel de la politique gouvernementale va être axée autour de la crise des gilets jaunes puis le début de celle du Covid. La première va être source de tensions entre les deux têtes de l’Etat. Après avoir promis le maintien de la hausse des taxes, E. Philippe annonce le 4 décembre un moratoire de six mois sur la mesure. L’Élysée revient cependant sur cette annonce le lendemain, faisant savoir que la hausse est annulée pour l’ensemble de l’année 2019. Rappelons le mouvement social contre la réforme des retraites en France de 2019-2020 que le Premier Ministre fait passer avec le 49-3. La pandémie du Covid 19 va, en quelque sorte, signer sa sortie. En effet il va accumuler les « gaffes » (port du masque, fermeture de classes). E. Macron n’apprécie pas son approche rigide de ces crises.
La majorité présidentielle perd assez nettement les municipales de juin 2020. Si E. Philippe l’emporte assez confortablement au Havre, le 3 juillet il remet la démission de son gouvernement au président Emmanuel Macron, qui l’accepte.
- Jean Castex : un « couteau suisse » à Matignon (2020-2022)
L’expression célèbre sur le couteau helvétique lui a été donnée par Xavier Bertrand alors que le futur locataire de Matignon est son directeur de cabinet au Ministère de la Santé (2005). C’est encore un personnage qui vient de la droite : élu local dans les Pyrénées Orientales (mairie de Prades notamment) et haut fonctionnaire ayant débuté sa carrière sous J. Chirac (directeur des Hôpitaux en 2005).
Par la suite ce spécialiste de la Santé Publique est propulsé conseiller social de Nicolas Sarkozy fin 2010, puis secrétaire général adjoint de l’Elysée.
Il y a aussi supervisé des dossiers épineux comme la réforme des régimes spéciaux de retraite ou feue la TVA sociale. Raymond Soubie, l’avait même recruté pour lui succéder à ce poste.
Le 2 avril 2020, il avait été chargé Édouard Philippe, de coordonner le travail de réflexion du gouvernement sur les stratégies de sortie progressive du premier confinement de la population française dû à la pandémie de Covid 19 (« Monsieur Déconfinement »). Nommé le 3 juillet à Matignon, il quitte Les Républicains le jour même puis annonce s’inscrire dans le « mouvement majoritaire » (en tant que sympathisant). Son directeur de cabinet lui est imposé par E.Macron.
Au 20 heures de TF1 il se définit comme « gaulliste social ». Il lui plait à se faire appeler « technocrate de terrain ». Après la lourde défaite de la majorité présidentielle aux élections régionales et départementales de 2021, des rumeurs évoquent son possible remplacement par le président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand. Mais le président de la République assure qu’il « n’a pas pour ambition de remplacer le Premier ministre dans les prochains mois ». On sent plus de confiance entre l’Elysée et Matignon. De par les tempéraments mais aussi de par l’absence d’ambition nationale pour le premier ministre. Ce dernier continue de gérer la pandémie (avec plus de succès que son prédécesseur).
L’instauration et la prolongation du passe sanitaire provoquent une colère sociale.
Dès 2021 il faut commencer à affronter la crise énergétique mondiale et ses répercussions sociales. Le président laisse volontiers son premier ministre s’exposer.
La présidentielle 2022 pointe à l’horizon. E. Macron s’y prépare. Au contraire de J. Castex qui peu avant son départ de Matignon, dit vouloir s’écarter de la vie politique nationale, estimant avoir besoin d’une « pause », mais continuer de faire de la politique « autrement ». Il participe peu à la campagne présidentielle. Le 16 mai 2022, trois semaines (record de durée) après la victoire d’Emmanuel Macron, Jean Castex remet la démission de son gouvernement au président qui l’accepte.
- Elisabeth Borne : seconde femme à Matignon (2022- …)
- Macron a mis trois semaines à la choisir car, disons-le, ça ne se bousculait pas au portillon ! Trente ans après Edith Cresson, une nouvelle femme entre à Matignon.
Haute fonctionnaire, elle a choisi le socialisme dès les années 90 en entrant comme chargée de mission aux cabinets de L. Jospin puis de J. Lang à l’Education Nationale. Assez vite spécialisée dans le domaine des Transports, L. Jospin l’appelle comme conseillère technique à Matignon (1997-2002). Puis elle rejoint B. Delanoë à la mairie de Paris comme directrice générale de l’Urbanisme.
C’est en 2014 que la future Première ministre obtient son premier poste en ministère comme directrice de cabinet de S. Royal, ministre de l’Ecologie.
En 2015 elle devient directrice de la RATP. C’est enfin en 2017, non sans avoir rallié E. Macron, qu’elle devient ministre. A noter qu’E. Borne est la première personnalité issue de LREM à occuper cette fonction, ses prédécesseurs étaient membres de l’opposition. Autre caractéristique, après MM Pompidou, Barre et de Villepin, elle est le quatrième chef du gouvernement sous la Ve République à n’avoir jamais brigué un mandat électif au suffrage universel avant sa nomination. Comme pour les autres, à un moment ou à un autre et de façon plus ou moins prononcée, ça se sentira ! Notons que Mme Borne est « Première ministre, chargée de la planification écologique et énergétique ». Première sous la Vé : un Premier ministre possède directement une attribution.
Preuve qu’elle ne peut tenir sa majorité, durant ses dix premiers mois à Matignon, elle recourt onze fois à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution et dépasse le nombre de 49.3 déclenchés par tous les Premiers ministres de la Cinquième République ( à l’exception de Michel Rocard ).
Le premier problème d’E. Borne est qu’aux législatives de 2022, la majorité macroniste devient relative.
C’est la seconde fois depuis 1958. En effet cela s’était déjà produit en 1988. Les dossiers avaient somme toute pu être gérés. Mais ce n’est ni Mitterrand, ni Rocard qui veut !!
La première grande réforme est celle des retraites qui figurait dans le programme d’E. Macron. On connait l’ampleur des mouvements sociaux qui en ont découlé notamment après l’adoption au 49-3. Il apparait incontestable qu’en raison de son absence d’empathie et du côté « techno » de Mme Borne, le président a dû s’investir bien plus que prévu sur le « service après-vente » de la réforme.
Si la locataire de Matignon semble à peu près gérer son gouvernement, il n’en est pas de même de sa majorité et même d’une présidente de l’Assemblée qui ne s’en laisse pas conter !
Qu’on le veuille ou non, il semble quand même exister des tensions entre le président et la Première ministre. Dernière en date lorsque cette dernière assimile (de façon bien inopportune) le RN à un parti pétainiste. Le chef de l’État a recadré Élisabeth Borne en plein Conseil des Ministres. Toutefois le Lundi 5 juin, le président a comparé son désaccord avec sa Première ministre à du « clapotis ». Désolé mais un petit bruit créé par les vagues sonne le glas d’une mer d’huile !…. Pour l’instant, difficile d’être convaincu que tout est rentré dans l’ordre. Et puis on en arrive à la moitié de la période des 100 jours donnés par Emmanuel Macron pour apaiser le pays. La question est aujourd’hui de savoir si le couple de l’exécutif ira au bout de cette période. Parmi un certain nombre d’observateurs avertis (dont un qui nous l’a confié), on ne se demande plus si les deux vont se séparer, mais plutôt quand !….
“Former un couple c’est n’être qu’un ; mais lequel ?” (proverbe anglais)
Raphael Piastra
Maître de Conférences en droit public des Universités