Le 1er août 2024, un adolescent de dix-sept ans assassinait trois fillettes lors d’une attaque au couteau à Southport, dans le nord-ouest de l’Angleterre. Il était immédiatement incarcéré et inculpé. Devant la grande émotion résultant de ces meurtres, plusieurs autres enfants et adultes ayant également été blessés, les mouvement d’extrême-droite se déchaînaient sur les réseaux sociaux, lesquels relayaient que l’auteur des meurtres, âgé de 17 ans, aurait été un demandeur d’asile entré récemment au Royaume-Uni de façon irrégulière, de religion musulmane -alors que religion dominante au Rwanda est catholique-, déclenchant des émeutes qui ont secoué le pays pendant plus de quinze jours. Il est apparu par la suite qu’il est citoyen britannique né à Cardiff.
Une instrumentalisation et une désinformation par l’extrême-droite
L’ampleur de la désinformation sur ce drame a ainsi conduit aux pires émeutes qu’a connu le Royaume-Uni depuis 2011. Toutefois, ce qui vient de se passer n’a strictement aucun rapport avec les évènements de 2011 qui faisaient suite à la mort d’un homme de 29 ans d’origine antillaise tué par la police qui avait été faussement accusé de trafic. La mort de cet homme avaient conduit à des émeutes qui avaient duré quatre jours du 6 au 10 août 2011.
Les évènements qui viennent de se dérouler ne sont absolument pas des émeutes raciales mais des émeutes ou soulèvements racistes.
Les mouvements d’extrême-droite en sont directement à l’origine et ont entraîné des actes d’une grande violence vis-à-vis des communautés d’origine étrangère, essentiellement de confession musulmane. Parmi ces mouvements extrêmement virulents, on trouve l’English Defense League dont on pensait qu’elle avait complètement disparu ou en tout cas qu’elle n’était plus active, un mouvement islamophobe qui, précisément, avait joué un rôle clé en 2011. On y trouve aussi des membres du parti politique le British national party, une organisation d’inspiration fasciste qui, créé au début des années 1980, avait aussi été très présente jusqu’au début des années 2000 ayant été jusqu’à remporter des sièges au sein des conseils municipaux et deux sièges au parlement européen. Enfin, plus récemment, a émergé le groupe d’inspiration néo-nazie Patriotic Alternative, un mouvement suprémaciste blanc et islamophobe qui prône la haine et a directement inspiré les émeutes racistes de ce quinze derniers jours. Ils ont été les instigateurs de multiples actions commando violentes à travers le pays, même en Irlande du Nord avec des attaques contre les lieux de culte musulmans, les mosquées, deux hôtels hébergeant des migrants souhaitant obtenir l’asile au Royaume-Uni à Tamworth et Rotherham avec des scènes choquantes de casseurs pénétrant au sein de ces immeubles pour jeter du mobilier par les fenêtres laissant craindre des pogroms, c’est-à-dire des émeutes sanglantes dirigées contre une minorité ethnique ou religieuse.
Le débat sur la portée de la liberté d’expression aux États-Unis et en Europe
Ces violences ont mis l’Angleterre sens dessus dessous pendant une dizaine de jours alors que le nouveau premier ministre travailliste Keir Starmer venait d’arriver au 10, Downing Street depuis un mois à l’issue des élections législatives du 4 juillet 2024. Il déclarait dans la foulée de ces violences « je vous garantis que vous regretterez d’avoir participé à ces désordres » notamment par des incitations en ligne.
De fait, dès le jour même de ces violences et incitations à la violence en ligne, des centaines d’arrestations intervenaient, ainsi que plusieurs très lourdes condamnations. Le débat politique et public qui s’en est suivi a lui aussi été très violent et clivant.
Immédiatement, le réseau social X dont le propriétaire est Elon Musk, dénonçait l’interdiction de la liberté d’expression, argument repris en Angleterre par des responsables politiques dont le député Nigel Farage du parti politique Reform UK, dont les idées d’extrême droite sont notoires depuis notamment ses propos lors de son engagement en faveur du Brexit. Le 11 août 2024 en soirée, il postait lui-même un message sur X affirmant, après une émission de télévision, que « Kier Starmer représente la plus grande menace à la liberté d’expression jamais vue dans notre pays ». Il reprend ainsi la rhétorique d’Elon Musk qui depuis le début des événements, a pris parti en faveur des émeutiers d’extrême-droite en stigmatisant le premier ministre britannique qualifié de « two-tier Keir » ( prononcer 2 tir-Kir) expression que l’on pourrait traduire par « Keir, le deux poids-deux mesures » selon qu’il s’agirait de ressortissants blancs condamnés avec une grande sévérité et de façon complètement disproportionnée au regard des faits reprochés, et des condamnations d’une grande clémence prononcées à l’encontre d’étrangers, de migrants ou demandeurs d’asile qui auraient commis des actes eux-aussi d’une grande violence telles que les attaques à la machette ou des viols, mais qui auraient faits l’objet de peines bien plus légères.
Cette argumentation a été largement reprise pas les influenceurs d’extrême-droite avec comme principal soutien Elon Musk, patron du réseau social X.
La sévérité impartiale du système judiciaire britannique
Les fausses informations colportées sur les réseaux sociaux ont eu un retentissement considérable.
Mais c’est mal connaître le système pénal britannique. Les peines prononcées par les juges ont toujours été extrêmement sévères d’agissant des violences urbaines, quelle que soit l’appartenance ethnique de leurs auteurs. Les violences sont sévèrement sanctionnées non seulement sur le plan pénal, mais emportent également des conséquences importantes pour les fauteurs de troubles telle que l’expulsion des logements sociaux des familles de ces personnes et l’interdiction de bénéficier d’avantages sociaux, autant de conséquences qui n’existent pas en France.
Vouloir ainsi constater une sorte de deux poids deux mesures est donc basé sur une fausse impression du système judicaire anglais. Le penal law britannique a toujours été d’une grande sévérité avec tous les fauteurs de troubles provoquant des violences physiques et matérielles, avec une efficacité aujourd’hui décuplée par la vidéo surveillance et la reconnaissance faciale présentes dans toutes les rues des agglomérations.
Si cette affirmation est fausse, elle a été largement diffusée sur les réseaux sociaux dont X et au plus haut niveau du patron de X Elon Musk, lequel utilise son réseau social pour se poser en défenseur de la liberté d’expression, qui serait ainsi violée par le Royaume-Uni.
Ce faisant, il existe une grande confusion sur la portée de la liberté d’expression qui, si l’on en croit M. Musk, peut aller jusqu’à souscrire aux messages violents incitant à la haine raciale et à des actions criminelles contre des communautés, notamment la communauté musulmane.
En Europe, notamment en France, toute forme de message à connotation raciste tombe sous le coup de la loi pénale et peut faire l’objet d’une condamnation.
Elon Musk ne l’a pas compris ou feint de l’ignorer. Ce faisant, il prend un risque important de se voir prochainement interdire la diffusion de son réseau social en Europe sur le fondement de la réglementation européenne. Le droit britannique est sur ce point plus proche du droit de l’Union européenne que celui des Etats-Unis où la liberté d’expression est protégée par le premier amendement de la Constitution.
La gravité de la situation est donc sans précédent dans l’histoire contemporaine du Royaume-Uni.
La responsabilité des gouvernements conservateurs successifs dans la montée de la xénophobie
Toutefois, de telles émeutes racistes ne seraient jamais intervenues s’il n’avait pas existé un terreau favorable à cette haine. Les principaux responsables politiques conservateurs portent une large responsabilité dans le déclenchement de ces violences. Depuis la campagne en faveur du Brexit, le langage xénophobe s’est largement développé contre les étrangers notamment les européens (parmi eux les polonais et italiens voir les français).
La députée Jo Cox, qui militait contre le Brexit, avait été assassinée le 16 juin 2016, par un partisan de l’extrême-droite lecteur assidu de Mein Kampf.
Depuis, les réseaux sociaux n’ont jamais cessé de prospérer, notamment par le langage des responsables conservateurs, dont les ministres de l’intérieur successifs, Priti Patel et Suella Braverman qui ont, durant leurs mandats, dénoncé l’invasion migratoire et les organisations non gouvernementales apportant une aide juridique aux demandeurs d’asile, qu’elles appelaient les « do-gooders » expression méprisante visant les personnes qui « veulent faire du bien », et de façon plus générale les militants des droits de l’Homme. L’opposition avait alors accusée la ministre de l’intérieur Suella Braverman d’avoir repris la rhétorique d’extrême-droite, notamment celle du parti déjà mentionné à savoir le British nationalist party en 2010.
En dernier lieu, au cours des deux dernières années, ce fut une propagande incessante et haineuse portée par le premier ministre conservateur lui-même Rishi Sunak avec sa campagne orchestrée depuis le 10, Downing Street « stop the boats » (« arrêtez les bateaux » des migrants venant illégalement depuis la Manche).
Le gouvernement britannique ne s’est pas aperçu, chemin faisant, qu’il creusait progressivement mais sûrement le sillon de la haine ethnique à travers le pays, ce que l’auteur de cet article n’a eu de cesse de dénoncer, sur le réseau social X précisément, à chaque nouveau post de Rishi Sunak à ce sujet, mais aussi sur les termes stigmatisants utilisés par les ministres de l’intérieur, enfin le scandale d’Etat des expulsions des demandeurs d’asile vers le Rwanda pour y instruire leurs demandes, qui n’ont jamais pu être exécutées car en contradiction avec la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Cette haine s’est subitement rappelée à la mémoire des autorités dans une violence encore jamais atteinte.
Les évènements auront sans aucun doute des conséquences importantes, notamment pour renforcer les outils juridiques pour lutter contre la haine en ligne et les incitations à la violence ethnique, ce qui ne devra pas empêcher non plus de réfléchir à ce qui a conduit à cette situation. Un défi politique majeur pour tous les gouvernements de l’Union européenne.
Patrick Martin-Genier
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