De la lointaine Amérique souffle un vent nouveau qui inquiète beaucoup les Européens. Je veux parler de l’ambition portée par Donald Trump d’en finir avec l’État profond. On ne sait pas encore quelle sera l’issue de cette ambition. Mais en confiant à Elon Musk, un entrepreneur multimilliardaire, le soin de piloter la transformation de l’administration publique dans un objectif de plus grande efficience, Donald Trump rompt avec le consensus au nom duquel, qu’on soit de gauche ou de droite, il était convenu que l’État devait croître indéfiniment, que ce soit en termes de dépenses, d’effectifs, de règlementations ou d’organismes divers.
En nommant un homme comme Elon Musk à la tête de cette mission, le président américain donne raison à la célèbre formule d’Einstein selon laquelle on ne résoudrait pas un problème avec les modes de pensée qui l’ont engendré. Ce parti pris devrait inciter la France à la réflexion. La réforme de l’État, depuis l’État stratège à l’État modeste avant de rejoindre les rivages de l’Etat agile, occupe le débat public depuis quarante ans. Rétrospectivement, on constate que ces velléités ont coïncidé avec une culture pérenne du déficit public et un endettement boulimique du pays, une surrèglementation destinée au fond à légitimer le rôle de l’Etat, une démultiplication de l’emprise de la puissance publique à travers une multitude d’organismes et établissements publics en tout genre, sans oublier l’armée de réserve que constituent les fonctionnaires des diverses fonctions publiques, auxquels il convient d’ajouter un volume de contractuels en augmentation constante. Comment dans ces conditions ne pas accorder quelque crédit au postulat selon lequel la haute administration serait le verrou managérial à l’origine des blocages dont d’aucuns se lamentent ?
La solution de Donald Trump consiste à sortir de la culture de l’entre soi, au bénéfice d’une approche entrepreneuriale, et à proposer des solutions de rupture en dehors du cercle de la raison, afin d’instaurer une nouvelle gouvernance publique. Elle souligne également qu’il ne sert à rien de vouloir simplement réformer, tant cette solution finit toujours par s’enliser.
L’avènement d’une gouvernance de rupture ne consiste pas pour autant à préparer la venue d’une société sans État, incarnation supposée magique du rêve libertarien.
L’enjeu pour la France consiste au contraire à mettre sur pied une meilleure répartition des compétences entre l’ensemble des acteurs publics sans enchevêtrements inutiles, à dégraisser les 32.000 pages des 69 codes qui asphyxient l’esprit d’initiative, à faire de la transformation numérique des administrations un levier de productivité, et donc de compression des effectifs, mais aussi d’une montée nécessaire des compétences. L’erreur serait de croire qu’une telle évolution aboutirait nécessairement à dégrader la qualité du service public. Soyons sérieux ! C’est le statu quo qui aboutira à la liquidation de services patiemment construits au fil de longues décennies.
Le choix est entre la ruine et la renaissance.
Seule la myopie empêche de trancher en toute lucidité un choix si simple.
La thérapie de choc ne produira toutefois un effet bénéfique et ne sera admise par une nation déboussolée prête à suivre le premier marchand de sommeil venu que si elle est conduite au nom d’une bonne compréhension par tous de l’intérêt national qu’elle entend servir. Elle doit signer la réinvention des règles de solidarité qui permettront d’affronter les tempêtes du XXIème siècle.
La haute fonction publique a un rôle à jouer dans cette révolution dont l’effet dépendra de l’engagement managérial qui la portera.
Consciente des missions qu’elle devra assumer, rétablie dans la plénitude de fonctions dirigeantes amoindries depuis trop longtemps, sachant conjuguer esprit de loyauté et indépendance d’esprit, passée au tamis d’une formation véritablement de haut niveau, elle sera l’indispensable bras séculier d’une nouvelle gouvernance au service du renouveau de la nation. Dans un monde gouverné par des politiques à l’expertise souvent limitée, elle jouera son avenir sur sa capacité à savoir conjuguer sans trembler l’art des longs desseins et des choix sans retours, pour reprendre la formule de Raymond Aron.
Il ne reste plus dès lors qu’à trouver l’Elon Musk français qui sera capable de métamorphoser en ambitions retrouvées les renoncements inavoués.
Daniel Keller
Ancien membre du Conseil économique, social et environnemental