« Plus le roi multiplie prohibitions et interdits,
Plus le peuple s’appauvrit.
(…)
Plus se multiplient lois et décrets,
Plus les bandits sont nombreux. »
Lao Tseu
« Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. » Plus de deux siècles après sa rédaction, l’actuel article 1240 du code civil apparaît toujours comme un objet d’art ciselé avec talent. L’essentiel du régime de la responsabilité civile en découle et l’esprit en guide les actes quotidiens de chacun d’entre nous. Quoique partiellement dénaturé par l’article 30 du décret 7 novembre 2012, l’extrait suivant du décret du 31 mai 1862, reste, quant à lui, un élément fondamental de la réglementation de la comptabilité publique française : « L’engagement est l’acte par lequel un organisme public crée ou constate à son encontre une obligation de laquelle résultera une charge. » Chaque mot compte, chacun a sa place.
Alors que la qualité de rédaction des lois et décrets contemporains ne cesse de se dégrader, en rendant la lecture et l’utilisation de moins en moins aisées, comment se fait-il qu’un peuple qui sut produire de tels chefs d’œuvre d’intelligence, est-il tombé si bas dans l’incompétence et l’arrogance ?
Incompétence dans la conception des textes, arrogance dans la manière de les présenter et de les imposer, souvent au mépris des principes démocratiques les plus élémentaires, notamment au moyen de débats parlementaires tronqués.
La question est posée depuis longtemps, sans qu’aucun progrès ne soit réalisé, au détriment de la clarté de la loi, donc du droit des citoyens dont elle est censée être l’expression.
La future loi dite d’« accélération de la production d’énergies renouvelables » (sic) en fournit de nouvelles et regrettables illustrations.
Qu’on en juge par l’un de ses premiers articles :
« L’autorisation environnementale tient également compte, le cas échéant, du nombre d’installations terrestres de production d’électricité utilisant l’énergie mécanique du vent (sic) déjà existantes dans le territoire concerné, afin de prévenir les effets de saturation visuelle en vue de protéger les intérêts mentionnés à l’article L. 511‑1. »
…pourquoi « le cas échéant » ? D’après l’Académie française, l’expression signifie « si l’occasion s’en présente, si les conditions sont remplies, s’il y a lieu » ; mais, en l’occurrence, de quelle occasion s’agit-il ? À quelles conditions se réfère-t-on ? Qui apprécie souverainement, l’une et les autres…en vertu de quel « nombre » d’éoliennes ?
Poursuivons la lecture et arrêtons-nous au fameux, sinon fumeux, terme de « territoire » si galvaudé. Toujours selon l’Académie, il s’agit d’une « étendue de terre qu’offre un État, une province, une ville, une juridiction, etc. » ; bref, une aire géographique sur l’étendue de laquelle s’exerce un pouvoir. Autrement dit, à quelque endroit que vous vous situiez, vous êtes toujours sur un « territoire ». Le mot seul n’a, en lui-même, aucune signification juridique précise et, d’ailleurs, plus loin dans le document, on fait bien référence au « territoire métropolitain » et à celui de « chacune des collectivités ». Il n’empêche qu’à plus de quinze reprises, le mot est employé sans précision particulière… sauf, lorsqu’on fait allusion à « un même territoire délimité et cohérent du point de vue industriel. »… ce qui prouve, par l’absurde, que ledit « territoire » n’est pas alors celui d’une collectivité locale ou nationale ! En conclusion sur ce point, les rédacteurs de la loi emploient ce mot comme s’il s’agissait de bavarder avec les collègues devant la machine à café… Bon courage pour les magistrats qui auront à vérifier la correcte utilisation de cette loi.
Plus grave, si c’est possible, le Gouvernement et les parlementaires nous offrent d’autres perles :
« En lieu et place des procédures de participation du public prévues au chapitre Ier du titre II du livre Ier du code de l’environnement, les projets d’ouvrages de raccordement mentionnés au I du présent article peuvent faire l’objet d’une concertation préalable (…) »
et encore,
« À la première phrase du premier alinéa, les mots : « enquêtes publiques » sont remplacés par les mots : « consultations du public (…) »
Le public (pas le peuple, surtout !) ne « participe » plus, il est « concerté » et on le « consulte ».
Or, la concertation, d’après l’Académie, est « le fait de réunir, pour les consulter, toutes les parties intéressées à un problème politique, économique ou diplomatique » et, donc, le rapprochement des deux termes dans le même texte constitue une tautologie qui dissimulerait le fait que les procédures de participation – donc de la possibilité littérale de « prendre part » – seraient remplacées par une simple « concertation » ? Que nenni, puisqu’ailleurs dans la future loi, on trouve que « avant le début de la phase de participation du public, le public est informé des modalités et de la durée de la concertation (…) » ! Comprenne qui pourra…
Comme nous sommes loin du principe posé par le Conseil constitutionnel selon lequel :
« l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, impose au législateur d’adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques »1.
Non seulement la forme de cette nouvelle loi est fâcheuse mais son contenu le semble tout autant. On y relève, par exemple, qu’il faut veiller « à limiter les effets de saturation visuelle », voir à « prévenir les effets de saturation visuelle » des installations industrielles d’éoliennes. Si tels sont les enjeux c’est donc que ces machines créent une réelle saturation visuelle, sinon pourquoi faudrait-il en limiter ou en prévenir les effets nocifs ? De même on y insiste, à plusieurs reprises, pour que soient respectées les « conditions l’implantation d’installations de production d’énergies renouvelables, dès lors qu’elles sont incompatibles avec le voisinage habité ».
C’est donc que ces engins peuvent se révéler néfastes pour les humains, ainsi que l’Académie de médecine l’a signalé dans deux avis de 2006 et 2017.
Par contre et alors que la France néglige le considérable potentiel hydraulique qui est encore le sien ; alors que des milliers de moulins à eau ont fonctionné pendant plusieurs siècles sur les cours d’eau petits et grands, sans empêcher les poissons de se reproduire jusqu’à notre époque, on impose que :
« Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport relatif à la maturité technologique et à l’opportunité technique et environnementale du déploiement d’installations d’hydroliennes fluviales sur le domaine public fluvial. Ce rapport doit notamment porter sur les impacts de cette technologie sur la biodiversité (…) »
De même, quand les ressources géothermiques sont telles que l’ADEME écrit elle-même qu’ « En Centre-Val de Loire, le potentiel géothermique est presque illimité pour la production de chaud et de froid dans les bâtiments. », les pouvoirs publics exigent que
« Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur les potentialités relatives à la géothermie dans les zones non interconnectées au réseau métropolitain continental, en particulier à La Réunion. »
Ainsi, on ne connaîtrait pas encore les risques relatifs aux ressources hydrauliques et géothermiques, pourtant répertoriées depuis des lustres, tandis que les mises en garde répétées de l’Académie de médecine n’appellent que la réponse suivante :
« Dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport :
1° Dressant une évaluation des nuisances sonores occasionnées par les installations terrestres de production d’électricité utilisant l’énergie mécanique du vent pour les riverains, au regard de critères liés à l’intensité des nuisances et à la répétition des bruits, en particulier à travers la définition d’indicateurs de bruit événementiel tenant compte notamment des pics de bruit. Le cas échéant, ce rapport formule des propositions pour améliorer la prise en compte de ces nuisances dans les normes acoustiques applicables à ces projets (…) »
Deux poids, deux mesures : d’une part, on doit poursuivre les études pour évaluer la fiabilité de ressources vraiment naturelles, de l’autre, on accélère le déploiement d’engins industriels dont on mesurera ensuite les nuisances !
Mais, malgré ces risques connus et signalés, le législateur, bon prince, garantit un revenu stable aux promoteurs dans des conditions à faire rêver bien des chefs d’entreprises, puisque peut être prévue :
« une modulation annuelle du tarif de rachat de l’électricité produite, afin de compenser tout ou partie des pertes de productible dues à des conditions d’implantation moins favorables que la moyenne dans la zone du projet »
…et comme si cette garantie ne suffisait pas, une autre a été introduite pour compenser les manques à gagner qui pourraient résulter des procédures engagées contre les implantations en question. Comment de telles mesures protectionnistes ont-elles pu être conçues à une époque où est louée la liberté d’entreprendre et la prise de risque financier ? La réponse réside, peut-être, dans la faute de français commise par l’utilisation de l’adjectif « productible » en tant que substantif ; un tel emprunt au jargon des professionnels du secteur prouverait-il que ces derniers sont à l’origine de la rédaction de cette disposition…? Rien ne serait moins étonnant quand on constate que ce milieu industriel influence les pouvoirs publics avec tous les moyens à sa disposition, y compris ceux qui finissent parfois devant les tribunaux et qu’un député a évoqué – sans être démenti – tant en réunion de commission qu’en séance publique de l’Assemblée, lorsqu’il a expliqué comment un promoteur de projet éolien lui a proposé de lui payer les vacances de ses rêves, en échange de son appui…
Dans le contexte tendu dans lequel évolue la France, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de son « territoire », on aurait vraiment souhaité qu’on n’accroisse pas les causes de mécontentement et de friction, déjà trop nombreuses.
De tout autres choix favorables étaient possibles, si l’on avait abordé ces importants sujets avec sagesse et responsabilité et non pas en fonction d’intérêts financiers étrangers à l’intérêt général.
Hugues Clepkens
- CC Décision n° 2011-629 DC du 12 mai 2011 et https://www.conseil-constitutionnel.fr/nouveaux-cahiers-du-conseil-constitutionnel/le-principe-de-clarte-de-la-loi-ou-l-ambiguite-d-un-ideal ↩