Il faut interrompre un moment l’analyse commencée dans l’épisode 1 de la prégnance de l’imaginaire dans le discours politique contemporain. Il faudra y revenir (épisode 3), observer la situation à l’aune des fondations philosophiques de notre Président, de Ricoeur sûrement et de sa préhension des mœurs de l’époque également.
L’occasion fait le larron. Bruno Roger Petit et quelques analystes du groupe Havas devaient soulager leur surcroît de travail récent mais on décelait aussi l’excitation du partage du ‘bon coup’ qu’ils avaient mis en scène. C’est humain ; j’y trouve au moins une source pour me rassurer. L’adresse est suffisamment anonyme voire décalée pour que je puisse les y croiser. Mais je connais la vie de base mieux qu’eux et je sens bien qu’ils ne peuvent m’imaginer réfléchir à leurs stratégies d’airain, ça facilite des confidences dont ils sont sûrs que comme dirait Lacan : ‘je parle au mur’ et j’en ai bien besoin.
Le Barolo est excellent ici et la patronne, mon amie Melania, sicilienne dans sa fierté, en fait un ‘pass’ discriminant pour être bien vu dans le lieu. Ce sera un atout de plus. Un atout pour vous faire profiter du récit dont, dès lors, je fus un auditeur amusé, incrédule et interloqué.
Allons directement et en mode simplifié au cœur d’un récit croustillant qui détaillait un scénario très construit là où je n’avais perçu que les ambiguïtés décrites à longueurs de chroniques dans les médias habituels.
Je passe donc en mode récit, aucune preuve de véracité du propos si ce n’est l’assurance dont ce directeur de stratégie d’Havas faisait preuve, ce qui apparaissait anachronique avec un physique déstructuré comme un mannequin japonais, un physique dont seul une pétillance du regard s’extrayait d’un visage de pièce du musée de l’Homme.
« Tu te souviens, quelle galère – sortir de la nasse de l’incompréhension d’une pensée moderne confrontée aux freins d’une société entre organisations vieillissantes et un peuple structuré par le ressentiment. Il fallait se décaler, changer les points de vue. Ça ne marchait pas. Même les gilets jaunes ou la Covid n’avaient pas provoqué la rébellion attendue. Ce peuple était devenu pleutre mais il fallait faire avec puisqu’on ne pouvait pas en changer pour produire notre Grand Spectacle Politique. »
On avait tout, on savait tout. Nos algorithmes étaient rôdés. On avait des réponses et des symboles exploités mais ça ne mordait pas. On le savait, il fallait un électrochoc : un référendum. Mais il faut l’avouer notre ‘kaîros’ était en panne, on rata l’énergie en crise, le début de la guerre en Ukraine.
Mais Macron avait déjà son idée. Ils se servaient de nous mais au casino il y ceux qui jouent avec leur vie et ceux qui jouent à des conforts de leur vie.
Son référendum il le tenait. Dans les fioles de Ricoeur ou de ses pulsions désirantes. Il était celui du meilleur scénariste d’Hollywood adossé au grand professeur conseiller en mythologie – Campbel. Ce détail n’est pas anecdotique puisqu’il présidera à la scénarisation de l’événement marquant l’ouverture de JO 2024 à Paris.
Je résume :
- Passer la communauté installée de la vie politique à la centrifugeuse du désordre – une dissolution hors champ, hors temps
- Chloroformer l’opinion par un film à grand spectacle dont elle deviendra l’héroïne consentante quoique abusée
- Digne de Gustave Le Bon faire produire par les perroquets attitrés les mots, les signes et les symboles d’une extrême et réelle réussite
- La fierté collective retrouvée et un défoulement national de bon aloi, sympa, partagé, ambitieux
- Restait le pari du ‘Joueur’ – le gain – bingo : des médailles, des chants, des fêtes, une reconnaissance internationale.
- Retour aux affaires. L’expert-comptable de la démocratie vient constater la médiocratie d’une classe politique incapable de prendre la vague
- Recevoir les acteurs et exposer devant l’opinion leur incapacité à se hisser à ce que ce peuple fier lui, avait pu démontrer lors de ces JO
Dès lors acte 2. On n’a pas tous les détails mais voilà :
- Nomination d’un inconnu, du moins hors système. Faisons simple un avatar de Macron qui n’a pas l’inconvénient de ne pas pouvoir se représenter.
- Un discours décalé, un gouvernement aussi, qui parle à la France des JO, qui ne méconnaît pas la dureté de la réalité mais qui se sert de cet exemple pour exciter la possibilité d’un dépassement
- Des premières mesures budgétaires (au 49/3) mais avec l’annonce d’un référendum sur une grande priorité nationale puis une dissolution version 2 en juin 2025
- C’est la mise en place d’une nouvelle France à l’œuvre dans une politique imaginaire à laquelle elle se voue comme une guerre en temps de paix
- Dérouler ensuite jusqu’en 2027, caricaturer les groupes politiques les pieds dans la colle et…
- Et assurer la nouvelle victoire de Macron, pardon de son avatar mais ‘en même temps’ c’est pareil !
J’observais la scène. Ringard je me disais : mais les gens, les hôpitaux en crise, le déficit, la précarité, les injustices, le racisme et l’antisémitisme, bref le quotidien… ?
Je le dis. Ils rirent en me disant :’ mais c’est ça la politique, un grand spectacle imaginaire, un bon scénario, une belle réalisation et la machine se met à marcher toute seule’. Ils burent une dernière gorgée de Barolo et partirent refaire Nation sur un jeu de bar.
Je me disais pourtant que dans le désert actuel, ça pouvait marcher ! Pour un temps ! Et puis après ce serait un autre récit puis un autre…
Geneviève me rejoint et me proposa d’aller écouter un peu de musique souriante devant le désarroi qu’elle devinait. J’acceptais, pas soulagé mais plein d’espoir. On ne tue pas l’optimisme.
L’artiste reprenait un titre de Cabrel ‘parlons-nous’.
PS/ Toutes mes excuses auprès de Bruno Roger-Petit dont j’associe le nom sans son autorisation à ce qui est bien évidemment une fiction
Pierre Larrouy