Les métiers en tension, les emplois non pourvus, voilà l’un des marronniers sociaux qui, régulièrement, alimentent le débat d’une indemnisation du chômage trop généreuse qui décourage(rait) de travailler. Ces emplois non-pourvus sont aujourd’hui au nombre de 350 000 1. Dans ce débat le discours du désintérêt des Français pour les métiers pénibles donne de la voix. Celui de la pénibilité de l’emploi, du niveau de sa rémunération et de l’absence de perspectives d’évolution vient, derrière, un peu en sourdine. L’attractivité de l’indemnisation du chômage serait plus forte que l’attractivité de l’emploi.
Une solution arithmétique s’impose alors, évidente : il faut mettre les chômeurs au travail !
Peut-on raisonnablement penser qu’un chômeur indemnisé proportionnellement à la rémunération d’un emploi faiblement rémunéré puisse avoir un intérêt, matériel et social, à faire durer sa période hors de l’emploi ?
Peut-on raisonnablement ignorer que ces emplois non pourvus sont, généralement, des emplois peu rémunérés, pénibles et sans perspectives d’évolution ?
Le comité d’évaluation du PIC- Plan d’Investissement dans les Compétences – observe que « Le déficit de candidatures sur ce type d’emploi est alors à rechercher dans un manque d’attractivité des métiers »2
Dans le débat sur les métiers en tension il y a un angle mort, celui des mesures d’incitation positive à la prise des emplois non-pourvus parce que peu attractifs. Forcer un chômeur à reprendre un de ces emplois non-pourvus est socialement inaudible, les formations ciblées sur ces emplois n’attirent pas et aucune des réformes de l’indemnisation du chômage, qu’elle soit par ordonnance ou par accord des partenaires sociaux, ne vise, spécifiquement, les emplois non-pourvus. Si pour ces emplois non pourvus on a, là aussi tout essayé, on a tout essayé sauf les incitations positives !
L’incitation naturelle est celle de la rémunération et celle qui est offerte par les perspectives d’évolution professionnelle… incitations auxquelles s’oppose, au premier chef, le coût du travail, la compétitivité coût. Inciter positivement à la prise d’un emploi en tension c’est envisager, inévitablement, une incitation financière pour le salarié en permettant le cumul lors de la prise d’un emploi en tension, d’une part de l’indemnisation chômage avec sa rémunération. Le moment y est favorable : les comptes de l’Unédic reviennent en territoire excédentaire, France travail vise le plein emploi et l’objectif de retrouver de la souveraineté économique promet des emplois industriels.
Une nouvelle subvention ? Oui, mais pour favoriser le retour à l’emploi des chômeurs indemnisés un dispositif existe déjà, celui de l’activité réduite, qui permet le cumul de revenu d’une activité avec une part des indemnités chômage.
Un autre dispositif existe, celui de l’aide à la reprise ou création d’entreprise. Ces deux dispositifs qui permettent le cumul d’une part d’indemnisation et d’un revenu d’activité peuvent inspirer pour inventer une aide à la reprise d’un emploi en tension.
Une indemnité réduite servie, sous condition de la reprise d’un emploi en tension, sur une période prédéterminée c’est, pour l’assurance chômage, une économie certaine comparée à une indemnisation totale sur une période inconnue. Une reprise d’emploi ce sont des cotisations sociales, des recettes pour les organismes sociaux.
Avec un tel dispositif il faut prévoir aussi celui permettant de limiter, ou d’éviter (!) les effets d’aubaine. Prévoir une durée minimale du contrat de travail ouvrant droit au cumul, prévoir un engagement formation par l’employeur (en s’inspirant des incitations proposées par la commission Blanchard-Tirole sur les grands défis économiques- juin 2021) et prévoir aussi les conditions de l’indemnisation dans l’hypothèse d’un retour au chômage du bénéficiaire du dispositif de cumul.
Si la nouvelle relation au travail, les habitudes prises pendant les confinements sanitaires et le quiet quitting expliquent aujourd’hui partie de ces emplois non pourvus il faut voir qu’ils ne sont pas une réalité nouvelle mais une réalité économique et historique dont on relève un exemple dès …1868 3
Le flux des emplois non-pourvus croit avec le nombre des emplois créés. Alors, en 2023, au sortir de la crise pandémique et au moment où l’on veut réindustrialiser l’économie nationale, il est logique que l’on manque de bras, comme en 1868 (quand l’indemnisation du chômage ne pouvait en être la cause) ! Le phénomène est historique, il est économique. L’enjeu social et économique est de fluidifier le flux des emplois non-pourvus.
Permettre le cumul d’une part d’indemnisation-chômage avec le revenu d’activité d’un emploi en tension peu attractif, voilà un en même temps qui peut concilier une ambition économique et une contrainte sociale ou l’inverse, une ambition sociale et une contrainte économique.
Michel Monier,
Membre du Cercle de recherche et d’analyse de la protection sociale est ancien DGA de l’Unédic.
- 350 600 emplois vacants dans les entreprises de plus de 10 salariés du secteur privé au 3ème trimestre 2023. 47,3 millions de contrats ont été signés dans les établissements du secteur privé (hors agriculture) : 4,6 millions de contrat à durée indéterminée (CDI), 21,5 millions de missions d’intérim et 21,2 millions de contrats à durée déterminée (CDD)- INSEE. ↩
- Extrait du Quatrième rapport du comité scientifique de l’évaluation du Plan d’investissement dans les compétences- DARES, décembre 2023. ↩
- En 1868, quand l’industrie textile sortait de la crise ouverte en 1865 (concurrence de l’industrie anglaise faisant suite à l’accord de libre-échange de 1860, chute de la demande étasunienne résultant de la guerre de Sécession- grève à Roubaix, mars 1867) les fabricants se plaignaient, déjà, du « manque de bras » (source : Claude Folhen, « Crise textile et troubles sociaux : le Nord à la fin du Second Empire » in Revue du Nord, 1953). ↩