Si l’arrivée à la Maison-Blanche de Donald Trump avait bouleversé l’univers médiatique américain comme français en 2016, l’issue de l’élection de 2024 était relativement anticipée. Reste à déterminer ses ressorts.
Il y a huit ans, le résultat du scrutin présidentiel américain provoquait un certain émoi dans la presse autour du monde. En France, Les Échos mentionnaient une « élection surprise », tandis qu’aux États-Unis, le conservateur, New York Post titrait, narquois, « ils ont dit que cela ne pouvait pas arriver ».
Cette année, l’état d’esprit des divers observateurs était éminemment différent.
Les sondages et le climat ambiant outre- Atlantique s’avéraient suffisamment incertains pour rendre le jeu des prédictions inopérant.
De fait, sans que personne ait véritablement attendu la victoire de Donald Trump ce jour, celle de Kamala Harris ne faisait l’objet d’aucune garantie. En premier lieu, il s’agit de saluer les instituts de sondage dont les estimations se sont avérées à la hauteur des résultats. En effet, les échantillons représentatifs sont particulièrement difficiles à établir dans certains États américains où le vote repose notamment sur l’homogénéité de l’électorat en question. Là-bas, les marges d’erreur oscillent généralement entre +/- 4 à 6 points et, prises une à une, les estimations dans les États-pivots se sont avérées proches des résultats ce mercredi une fois ce critère intégré.
Si la victoire de Trump n’est pas fondamentalement surprenante, toutes les options ayant été sérieusement envisagées jusqu’au dernier moment.,certaines modifications dans les bases électorales des partis se sont fait jour de manière inattendue. Dans le New Jersey, par exemple, irrémédiablement de gauche depuis 1992, Harris a difficilement dépassé la barre des 50 %, tandis que Biden bénéficiait d’une marge d’une dizaine de points en 2020. La puissance de Trump a également pu se manifester au sein de certaines minorités, comme les hommes d’origine hispaniques auprès desquels l’ancien président a augmenté son réservoir de voix de 18 % par rapport au précédent scrutin.
Ces phénomènes se vérifient en outre au cas par cas dans les voisinages historiquement favorables aux Démocrates.
Ainsi, Trump a surpassé ses propres résultats de 2020 dans la plupart des comtés, même ceux où il a été vaincu par Harris. Dans le comté d’Oakland, qui est déterminant pour remporter l’État-clé du Michigan, par exemple, Harris a battu Trump d’une dizaine de points, tandis que Biden le devançait d’une quinzaine de points en 2020. L’information est surprenante, car il est doté d’une sociologie plutôt diplômée et féminine, représentant un électorat généralement réfractaire à l’ancien homme d’affaires. Un dernier exemple significatif : le comté du Bronx, dans l’État de New York, constitué d’une large population Afro-Américaine surabondamment pauvre. Celle-ci avait voté à près de 85 % pour Biden en 2020, tandis que Harris excède péniblement les 70 % cette année.
Si ces différences peuvent sembler anodines, il s’avère que les scrutins américains se décrochent toujours à l’aide des marges. Le principe du « gagnant remporte tout » permet parfois à un candidat de récupérer l’intégralité des grands électeurs alloués à un État grâce à seulement quelques centaines de voix d’avance.
Pour cette raison, ces résultats ne doivent pas être interprétés comme un plébiscite de la personnalité de Donald Trump dont les outrances restent une source d’inquiétudes.
Des sondages réalisés à la sortie des urnes par CNN révélaient hier soir que le thème de la préservation de la démocratie avait été une motivation plus importante que celui de l’immigration pour une majorité d’électeurs. Cette dimension, pourtant, était centrale dans la rhétorique de l’actuelle vice-présidente, tandis que l’ancien — et futur — président préférait se focaliser sur la gestion des frontières.
La victoire du candidat républicain ne repose donc pas uniquement sur des critères idéologiques. Il s’avère qu’il bénéficie d’un parti en tout point aligné derrière lui, tandis que les Démocrates manquent cruellement d’unité. Ainsi, même Kevin McCarthy, qui avait été contraint par Trump de quitter son poste de président de la chambre des Représentants il y a un an, a multiplié les éloges à l’égard de la campagne républicaine toute la soirée sur le réseau Fox. Les déboires de Harris, en revanche, rappellent que sa base avait privilégié un autre candidat au cours des primaires en début d’année et qu’elle a toujours enduré un déficit en popularité auprès d’elle. Elle a de surcroît souffert d’une campagne désordonnée et mal défendue.
En outre, l’ancien président a été porté par son message économique, la comparaison spontanée par les Américains entre leur niveau de vie sous l’administration Trump et l’inflation qui les frappe actuellement ne pouvant qu’aider le prétendant républicain.
Cet été, un papier du très progressiste Washington Post précisait que « durant le mandat de Trump, les salaires des travailleurs de base ont augmenté (…) presque deux fois plus que l’inflation », tandis qu’ « ils sont à peine parvenus à suivre la hausse de près de 20 pour cent des prix » sous Biden.
Enfin, remarquons que cette victoire a été dûment arrachée par l’ancien président. En effet, la campagne, savamment organisée, a été ponctuée par une surenchère rhétorique déconcertante et aura coûté au total 15.9 milliards de dollars (environ 15 milliards d’euros), ce qui représente le double de l’argent investi en 2016. À préciser que Trump devrait en outre bénéficier d’une confortable assise au Congrès. Son second mandat se démarquera ainsi à plusieurs égards du premier : sa position anti- establishment d’alors est aujourd’hui la position de l’establishment républicain ; l’emprise sur son parti et sa majorité absolue au Sénat lui permettront de modeler un cabinet pleinement à son image. À l’époque, au contraire, il avait été considérablement freiné par les caciques des Républicains qui lui avaient imposé l’essentiel de ses collaborateurs.
Eliott Mamane