À l’instar de la querelle antique romaine des populares et des optimates, la scène politique occidentale est depuis dix ans traversée par ce clivage entre un bloc progressiste, élitaire et woke d’un côté, et des coalitions dominées par une droite populiste et souveraine de l’autre. Les Anglais avec le Brexit et les Américains avec la première élection surprise de Trump en 2016 ont ainsi été les pionniers de cette recomposition politique, en donnant aux blocs populistes en cours de constitution la caution d’une expérience gouvernementale, donnée sine qua non pour rassurer les électeurs mais aussi pour dominer et intégrer la traditionnelle droite libérale conservatrice. Seule la France, démocratie imparfaite à bien des égards, a maintenu à l’écart du pouvoir par exemple la coalition Union des Droites- RN malgré ses 11 millions d’électeurs au premier tour des législatives cet été.
Par le truchement de cet exceptionnel come-back politique, en assurant la MAGA-isation du grand vieux parti républicain (GOP), Donald Trump s’affirme aussi comme le leader mondial incontesté des droites populistes. Bien sûr, Marine Le Pen a vite fait de rappeler que Donald Trump défendrait uniquement les intérêts des Américains et non ceux des Français. Nihil obstat, Trump est de facto le leader mondial des droites populistes, parce que son pays est la puissance économique et militaire hégémonique, mais aussi car les États-Unis sont notre Allié et parce que les opinions publiques en Europe, et singulièrement en France, voient la droite populiste pour laquelle elles votent massivement, être entravée très souvent dans son accession au pouvoir.
Or la campagne de diabolisation aux États-Unis a été très similaire à ce que nous vivons de manière récurrente en France. Médias, experts, personnalités, ont paru dicter leur vote aux Américains : nombre d’entre eux, acceptant ainsi la domination idéologique du wokisme, prédisait comme souvent un vote particulier des femmes, des jeunes, ou de certains groupes ethniques.
Le principal changement de paradigme électoral de cette victoire de Trump est clair : les Américains, pour la première fois en vingt ans, ont cessé de voter sur la base de leur ethnie, leur sexe ou leur orientation sexuelle.
Même les sujets liés au corps et à la reproduction n’ont pas été aussi influents que prévus. Les Américains ont voté en fonction des problèmes de leur vie quotidienne en regardant qui avait des solutions pour les résoudre.
En premier lieu, malgré une économie florissante si on s’en tient aux grands agrégats (chômage, croissance), l’épisode inflationniste a fait des ravages et les Américains réclament une vie moins chère. Le discours de Trump sur l’augmentation de l’offre en matière d’énergie et de logements, afin de faire baisser les prix, était brillamment articulé face à une Kamala Harris incapable de proposer un vrai programme économique.
En second lieu, l’insécurité liée à l’arrivée de migrants et d’illégaux a mobilisé une partie de l’électorat, y compris des femmes traditionnellement acquises au vote démocrate. Face à cette déroute, dès ce matin, les réseaux TV appelaient les Démocrates à un aggiornamento : le wokisme, l’appel aux migrants, les luttes culturelles ne peuvent plus être l’ADN du parti.
La très progressive Harris était finalement un mauvais choix comparé par exemple au Biden de 2020, plus centriste, plus rassurant.
Les démocrates, s’ils veulent revenir un jour au pouvoir, devront retrouver un Bill Clinton.
On remarquera que les deux plus lourdement défaits (y compris en nombre de voix) démocrates de ce siècle, Kerry et Harris, venaient de bastions progressifs : l’élite du Massachusetts pour le premier, San Francisco pour la seconde. Tous deux connaissaient mal le monde de l’entreprise et le fonctionnement de l’économie, et mettaient juste en avant leur histoire personnelle et leur supposée bravoure. Cette déconnexion élitiste des masses populaires, là où paradoxalement un milliardaire a su se rendre proche des gens (il suffit pour s’en convaincre de revoir la séquence chez un barbier new yorkais lors de la campagne) a définitivement perdu le parti démocrate : la prévision de Christopher Lasch sur la révolte des élites en 1994 s’avère plus prophétique de jour en jour, mais (il suffit de regarder une carte électorale pour s’en convaincre) elle a pris une tournure géographique. Tout cela est très similaire in fine à ce que Guilluy a pu décrire pour la France, même si chaque camp tente de remettre en cause le caractère pérenne des clivages géographiques. Par exemple, les bobos urbains ayant trouvé refuge en milieu rural, à la faveur du Covid ou du télétravail, ont pu faire évoluer le vote au Colorado, sans parler des manipulations de populations de migrants pour les prochaines élections (les Démocrates de Tammany Hall ont fait cela pendant des décennies avec les immigrés sur New York). A l’inverse, certaines élites entrepreneuriales, admiratrices de Musk, de l’IA, de la conquête spatiale et des cryptos, peuvent désormais mobiliser des grandes villes pour les Républicains (Miami, Austin, et dans une moindre mesure New York). Le clivage territorial n’est donc pas gravé dans le marbre : les Américains sont plus mobiles que les Français sur leur territoire et leur vote est plus individualiste.
Le mandat Trump 2.0, s’il présentera des aspects dans la continuité du premier (dérégulation et baisse d’impôts tarifs douaniers, lutte contre l’immigration illégale, politique étrangère remettant en cause le multilatéralisme), devrait être bien différent dans son exécution.
En 2016, Trump était un béotien en politique, le premier président en un siècle à être élu sans aucune expérience politique ou militaire préalable. Il a été surpris par les entraves à son action au sein de l’appareil d’Etat fédéral, malgré le spoil system américain. Cette fois ci, ce dernier devrait passer de quelques milliers à plusieurs dizaines de milliers de postes. Fort de sa victoire, mais aussi de la légitimité du vote populaire, du contrôle du Sénat, de la Cour Suprême, Donald Trump, dans le cadre du respect de la loi, pourra désormais appliquer en toute quiétude ses réformes. Si le système des « checks and balances, » sous-tendu par une Constitution vieille de plus de deux siècles et vénérée, s’impose à lui, il pourra cependant, notamment dans le domaine économique, avancer sans entraves, dès janvier, et ce au moins pendant deux ans.
Source : Maxim Elramsisy