Dans un sketch devenu culte, l’humoriste français Coluche formule une question rhétorique pertinente, drôle et affligeante aux caractères idéalistes, en la camouflant comme à son habitude sous sa légendaire auto-dérision populaire teintée cette fois d’un délicieux manichéisme simpliste : « Si on écoutait ce qui se dit, les riches seraient les méchants, les pauvres, les gentils. Alors pourquoi tout le monde veut devenir méchant ? » L’iconique fondateur des « Restos du Cœur » met en lumière une contradiction fondamentale dans nos sociétés contemporaines, une contradiction qui trouve écho dans de nombreuses théories politiques. Singeant l’école péripatéticienne, qui en langage vernaculaire signale ma capacité à trottiner en m’auto-enseignant quelques principes philosophiques en écoutant une excellente série de podcasts, je convulsai soudainement d’un fou rire coluchien. Celui que certains politiques et commentateurs s’imaginent salir à chaque fois qu’ils l’épinglent de l’imprescriptible qualificatif de « Président des Riches » se mettent, depuis maintenant une demi-douzaine d’années, le doigt dans l’œil jusqu’au coude, comme l’aurait moqué l’humoriste-humaniste préféré des Français. Le précoce animal politique, apprenti philosophe, nous aurait-il attiré dans son piège ?
Soumis aux effets d’importantes doses d’endorphine décrites par l’immense écrivain Haruki Murakami[1] j’ose inférer qu’en se laissant affubler de ce titre, à priori peu enviable, de représenter les seuls nantis, il a laissé grandir une redoutable opération de contre-discours dont seront victimes, je l’affirme également, ses détracteurs, « The Macron’s Mincemeat Operation». En référence au nom donné à cet effort stupéfiant de désinformation entrepris au printemps 1943 pour cacher aux Allemands les objectifs alliés d’invasion de la Sicile, et faire croire à un débarquement en Grèce.
Les ennemis du Président en exercice, convaincus qu’ils sont d’avoir cloué au pilori Emmanuel Macron, en l’attachant à un infamant piquet sémantique de « Président des Riches » forcé qu’il serait d’attendre, comme la biquette de monsieur Seguin, que le Loup des critiques le dévore tout cru et le régurgite squelette apparent à l’opinion publique, ne ferait en fait que signifier aux Français ses aptitudes à améliorer leur sécurité économique.
Quelle preuve à cela ? Malgré la houle conjoncturelle des sondages de popularité, tantôt très bas, par exemple lors de la séquence la plus dangereuse dites des « Gilets jaunes », ou récemment lors de la réforme des retraites, le Président retrouve invariablement sa ligne de flottaison, le socle radical de son électorat d’origine, situé aux alentours de 25 % (2017 premier tour : 24 % ; 2022 premier tour : 27,85 % ; Elabe avril 2023 : 23 %). Tantôt ragaillardi en 2022 par les effets d’une parole performative d’un Président chef de plusieurs guerres, combattant successivement la Covid, puis l’envahisseur aux frontières de l’est de l’Europe, tantôt affaibli par l’affaire Benalla, les « Gilets jaunes » et l’opposition à sa réforme des retraites.
Riche : de quoi est-ce le symptôme ?
Naissant moins durant de très saines séances de jogging que pendant de longues période de concentration en bibliothèque, les théories politiques, avec leurs différentes orientations idéologiques, ont souvent tendance à décrire les riches comme étant intrinsèquement méchants ou corrompus, tandis que les pauvres sont considérés comme les victimes innocentes du système. Pourtant, si nous observons attentivement la réalité, nous constatons que de nombreux individus nourrissent en secret le désir de devenir riches. Cette contradiction révèle une aspiration profonde de l’humanité, qui transcende les notions simplistes du bien et du mal. Pour comprendre cette dynamique complexe, nous pouvons boire aux robinets de quelques prestigieuses sources philosophiques qui ont exploré les méandres de la nature humaine.
Qu’en disent nos illustres ancêtres ?
Thomas Hobbes aborde dans son ouvrage majeur Léviathan la condition humaine à l’état de nature. Selon lui, dans un état de nature où les ressources sont limitées, les individus sont en compétition constante pour obtenir les moyens nécessaires à leur survie et à leur bien-être. Cette compétition conduit à une quête incessante de richesse et de pouvoir, car ceux-ci garantissent sécurité et supériorité sociale.
De son côté, Friedrich Nietzsche, dans son œuvre Ainsi parlait Zarathoustra, considérée par les experts « comme le péristyle de sa philosophie », explore le concept de la volonté de puissance. Selon lui, l’homme aspire à s’élever au-dessus de lui-même, à se surpasser et à réaliser ses désirs les plus profonds. La richesse matérielle est souvent perçue comme une manifestation de cette volonté de puissance, permettant à l’individu de se sentir supérieur et de dominer son environnement.
Ainsi, bien que les théories politiques puissent décrire les riches sous la forme de « méchants », restant ainsi, tout univers sémantique mis à part, dans le champs de réflexion du citoyen Michel Colucci, notre désir de richesse est souvent motivé par des facteurs plus profonds que la simple volonté d’être mauvais.
Il s’agit d’une quête de sécurité, de pouvoir et de supériorité, des aspirations qui sont ancrées dans notre nature humaine.
L’initiative des « Restos du Cœur » n’est-elle pas la preuve que l’argent offre à celui qui reçoit un peu de sécurité, à celui qui offre une forme de supériorité, sans ôter à ce geste sa dimension d’immense générosité ?
Président des riches : une séance d’aïkido
Roi fainéant[2] : signe la fin d’un règne ; Président Bling bling[3] : dégradant, avilissant ; « Le pépère » capitaine d’un Pédalo nommé Flanby[4] : malaisant, « le seum » diraient les plus jeunes. Et Riche dans tout ça ? C’est stylé, c’est en tout cas ce que j’ose affirmer et les conclusions de la science politique décryptent pourquoi la richesse est suivie comme le Requin de son Rémora, d’une relation invisible de promesse de sécurité. Macron a trompé son monde. Est-ce une surprise de la part d’un politique élu par la gauche et de plus en plus porteur des valeurs de politiques jusqu’ici placées à droite de l’échiquier ? Passons du jogging à l’aïkido ! Il a saisi que la quête de blessure pouvait se transformer en force puisqu’il existe une contradiction inhérente à nos aspirations individuelles et aux discours politiques. Il a retourné la charge du stigmate, s’est fait son opinion, que la richesse en soi n’est ni bonne ni mauvaise, c’est l’utilisation qui en est faite qui détermine sa valeur morale.
Comprendre cette dualité nous invite à adopter une perspective plus nuancée, à reconnaître que la véritable éthique ne réside pas dans la richesse elle-même, mais dans la façon dont elle est acquise et partagée.
De son côté, le Président tout entier dédié à sa tâche de concepteur de petites phrases « vachardes » à l’endroit de plusieurs catégories de Français, a laissé ses contempteurs débarquer leur morgue, certain que la gravité d’une telle blessure « Président des Riches » finirait par le tuer comme d’autres expressions finirent par affaiblir et caricaturer ses prédécesseurs.
Alors, tout à notre arrogance, j’ai compté au nombre du lot de commentateurs qui psittacisent cette expression paradoxale, presque oxymore, nous pensions blesser l’homme ; par la métaphore le normer mètre étalon d’un stéréotype malodorant. Au contraire, sondages à l’appui, la formule solidifierait un socle électoral de Françaises et de Français que la promesse de voter pour quelqu’un promettant l’opulence et la richesse n’effraient nullement. Bien au contraire elle rassure. J’aimerais solliciter nos amis sémiologues et sondeurs spécialistes des enquêtes qualitatives, pour quelques analyses poussées sur les fondements de cette expression, des « insights » comme disent les communicants. Il faut se rendre à l’évidence, au dos du message secret portant mention de ce sobriquet Macron a inscrit, à l’encre de l’ironie, la mention « tel est pris qui croyait prendre ».
Jacky Isabello
Fondateur du cabinet Parlez-moi d’Impact
Photo : 360b/Shutterstock.com
[1] Autoportrait de l’auteur en coureur de fond – 2009 – Belfond
[2] Jacques Chirac
[3] Nicolas Sarkozy
[4] François Hollande