« Faut des idées! » est la nouvelle rubrique d’entretien politique pour le site de la Revue Politique et Parlementaire, animée par Virginie Martin.
À la veille des élections européennes, la politiste Virginie Martin s’entretient avec l’ensemble des principales têtes de liste. Démocratie, économie, culture : toutes et tous ont répondu sans filtre et très librement à nos questions.
Quand la politique renoue avec les idées… Ce mardi 7 mai, Jordan Bardella, chef de file de la liste RN pour les élections européennes a bien voulu essuyer les plâtres… Un jour, un entretien.
« Ce qui tue la politique c’est l’immédiateté de notre société », Jordan Bardella, tête de liste RN, Européennes 2019
Virginie Martin : La démocratie, ou en tout cas, l’idéal démocratique semble être fragile/fragilisé. Quelle est votre lecture de ce « supposé » déficit démocratique ?
Jordan Bardella : Vaste question. Je pense qu’il y a une montée évidente de l’abstention aujourd’hui. Une défiance de plus en plus croissante des français et des peuples de manière générale à l’égard de leurs élites qui s’est traduite par un vote anti système dans toute cette France que l’on dit « périphérique ». Je suis assez adepte des thèses de Guilluy sur la France périphérique. On se rend compte que la France périphérique vote pour le Rassemblement National.
C’est aussi cette Amérique périphérique qui a fait élire Donald Trump, cette Angleterre qui a voté le Brexit. On assiste à ce nouveau clivage partout dans le monde qui oppose, ce que j’appelle, les localistes, les enracinés qui sont attachés à la proximité et ceux qui considèrent finalement que l’on est dans cette idée du village global et qu’on doit aller vers un effacement des frontières et un transfert de nos pouvoirs de décision.
Nous sommes dans un système qui transfère les communes vers les intercommunalités, les départements vers les régions et les régions vers une espèce de grande région pour aller jusqu’à des blocs fédéralistes. C’est ce type de mutations que l’on nous vend aujourd’hui avec l’Union Européenne.
Je pense que la crise des gilets jaunes et le fait que les français descendent dans les rues avec ces gilets nous dit quelque chose, évidemment d’un point économique, social et fiscal, mais cela traduit également quelque chose de la crise démocratique que la France traverse.
Encore une fois je crois que cela dépasse vraiment le cadre national et touche l’ensemble des peuples occidentaux. Beaucoup de français et les peuples en général ont le sentiment de ne plus être représentés, le sentiment que les décisions sont toujours prises assez loin d’eux dans une sorte d’entité compliquée, lointaine : les intercommunalités, la commission européenne. En fait on éloigne systématiquement les lieux de décisions des peuples et donc quand ils descendent dans les rues, il y a bien sûr la question du ras bol fiscal mais aussi ce sentiment de ne plus être représenté ; cela pose / révèle selon moi un problème d’institutions en France.
« Nous avons un problème de mode de scrutin »
Nous avons aujourd’hui, notamment sur le plan législatif un mode de scrutin quasiment unique en Europe. Le Royaume-Uni a un scrutin majoritaire mais à un tour ce qui est en réalité une sorte de proportionnelle et partout en Europe ce scrutin à la proportionnelle permet à un parti qui représente 5% des opinions d’avoir 5% des députés et pour un parti qui représente 20%, d’avoir 20% des députés.
Aujourd’hui nous sommes dans un système démocratique où vous avez « le gang des moufles » qui est la République en Marche qui applaudit à chaque fois, qui est l’écrasante majorité et des oppositions qui sont totalement marginalisées.
Je vous donne un exemple concret : Mélenchon/Le Pen à eux deux c’est 40% des voix à l’élection présidentielle et c’est à peine 30 députés à deux sur 577.
Et je ne vous parle même pas du Sénat.
Il y a donc un vrai problème de représentativité aujourd’hui au niveau national. C’est également le cas au niveau local.
Lorsqu’aujourd’hui vous avez un problème et que vous allez voir le maire notamment dans les petites et moyennes communes, il vous répond qu’il ne peut rien faire parce qu’on a détruit les moyens qu’il avait. Une commune sur deux a vu ses dotations baissées ces dernières années. Ce ne sont plus les maires qui gèrent, c’est l’agglomération. Des gens assez loin, que les français ne connaissent pas forcément. Aujourd’hui les français ne connaissent que deux politiques en réalité : le maire et le Président de la République. Les conseils départementaux, les conseils régionaux, pour eux cela paraît très loin quand ils savent que ça existe et je ne suis pas sûr que ce soit toujours le cas.
Je pense que la solution viendra d’une évolution de nos institutions. Je suis attaché à la Vème République mais le problème c’est qu’aujourd’hui le pouvoir est parti très loin. Au niveau national beaucoup de nos prérogatives sont parties à Bruxelles. Aujourd’hui je crois qu’il faut un scrutin proportionnel en France. Le seul moyen d’intéresser vraiment les gens à la chose publique c’est qu’ils aient le sentiment que lorsqu’ils votent cela sert à quelque chose, que leur vote est utile, qu’on ne va pas voter pour rien. C’est d’ailleurs pour ça qu’aux législatives généralement le taux de participation s’effondre parce que les gens se disent que le Président a été élu qu’il est bon, voire plus logique de lui donner une chance. Les français ont un esprit assez monarchique et c’est pour ça qu’ils ont voté pour la République en Marche aux législatives.
« Un vote devenu inutile ? »
Dans le système politique actuel, on a l’impression que voter pour une opposition ne servira pas à grand-chose. Regardez, malgré le fait qu’on fasse 11 millions de voix à l’élection présidentielle, nous n’avons pas de groupe à l’Assemblée et le nombre de nos députés est dérisoire. Je pense que ce problème trouvera sa solution seulement dans la mise en place d’un scrutin proportionnel.
Je suis favorable à la prime pour la liste qui arrive en tête sur le modèle de ce que l’on a en région ou dans les municipalités qui permet d’éviter l’instabilité qu’on a pu connaître dans la IVèmeRépublique. Mais je pense que même la liste qui fait 3% peut avoir un seuil d’élu à 3% par exemple et doit avoir des représentants à l’Assemblée Nationale. Peut-être même, sans faire d’uchronie, si l’on avait eu une Assemblée Nationale représentative, si les gens avaient eu le sentiment que leurs revendications en matière d’injustice fiscale, sociale et démocratique avaient été portées à l’Assemblée Nationale dans le débat public alors il n’y aurait pas eu la crise des gilets jaunes.
VM : Comme les gens ne sont pas représentés dans l’hémicycle, ils finissent par passer par des moyens extérieurs ? Est-ce que c’est votre analyse ?
JB : Trois choses. Premièrement, ils ont le sentiment que quand ils votent ça ne sert plus à rien parce que systématiquement les dirigeants font l’inverse de ce qu’ils ont dit et parfois même agissent contre leurs intérêts. Deuxièmement, une crise de légitimité pour l’Assemblée Nationale qui, encore une fois, a un mode de scrutin qui les empêche d’être représentés. Et troisièmement, de façon corollaire, puisqu’on ne peut pas se faire entendre par les institutions et bien on va descendre dans la rue avec des gilets jaunes, des pancartes et on va se faire entendre devant les lieux de pouvoir.
Ensuite, je pense qu’il faut considérablement renforcer les moyens qui sont donnés aux maires notamment dans les territoires ruraux. Un sondage qui nous a été donné il y a quelques semaines nous montre qu’un maire sur deux ne souhaite pas se représenter. Moi je vois qu’au fond, en campagne, beaucoup de maires dans les petites et moyennes communes nous disent qu’aujourd’hui ils ne servent plus à rien, qu’ils essayent de résoudre les problèmes des gens mais qu’ils n’ont plus les moyens à la fois financiers, administratifs et politiques. Donc je considère qu’il faut considérablement renforcer leurs mandats notamment dans les petits et moyens territoires en renforçant les indemnités qui sont aujourd’hui totalement dérisoires comparées à ce qu’on peut donner d’un autre côté à des mandats un peu plus « prestigieux » ou plus importants – bien que le mandat de maire soit tout aussi essentiel.
Les renforcer dans leurs indemnités, les renforcer dans leurs prérogatives et arrêter de baisser de manière permanente les dotations parce que ce sont eux qui font fonctionner les territoires, ce sont eux qui font fonctionner la proximité. Ils ont beaucoup de charges et de responsabilités ; ils règlent tout. Les maires ont un rôle absolument essentiel mais ils prennent de moins en moins de risques parce qu’ils ont de moins en moins de moyens.
On observe aujourd’hui en France une coagulation, une convergence des colères sur laquelle Macron a évidemment une responsabilité mais une responsabilité qui le dépasse.
Cette coagulation des colères est visible dans toutes les strates de la société, que ce soit chez les serviteurs de l’Etat, chez les pompiers, chez les policiers, dans le personnel de santé, dans les armées et chez nos élus ; chacun a le sentiment d’être abandonné par l’Etat central en réalité.
Alors cela passe par le fait d’être abandonné par sa hiérarchie dans la police, par le sentiment que l’Etat n’est pas là pour nous quand on est maire et élu sur un mandat de proximité dans les territoires ruraux.
Donc premièrement il faut la proportionnelle, deuxièmement nous sommes favorables à une baisse du nombre de parlementaires. Et troisièmement je pense qu’il faut aussi donner les outils aux français pour s’exprimer parce que cette crise des gilets jaunes c’est une crise démocratique mais c’est aussi ce sentiment de ne plus être entendu.
« Le peuple doit avoir le dernier mot, on ne va pas revoter jusqu’à ce qu’il soit d’accord avec le pouvoir »
Nous proposons depuis un certain nombre d’années le referendum d’initiative citoyenne qui pourrait se déclencher sous 1 million de signature par exemple et qui permettrait aux français de se saisir d’une question politique très concrète et de la trancher par le vote. C’est une demande qui est globalement majoritaire.
Vous savez, ça m’est déjà arrivé, il y a un an ou deux, d’aborder cette question en débat avec la République en Marche et on me répond « oui mais alors à ce moment-là si on a le referendum d’initiative citoyenne peut être que demain les gens voudront mettre fin à l’immigration ». Oui effectivement et ça s’appelle la démocratie.
Moi je considère qu’il n’y a pas de démocratie seulement quand les gens sont d’accord avec vous.
La démocratie c’est tout le temps et c’est le peuple qui doit avoir le dernier mot.
De manière que quand le peuple au Royaume-Unis s’exprime pour quitter l’Union Européenne je pense que c’est le peuple qui doit avoir le dernier mot et on ne revote pas jusqu’à ce que les gens soient d’accord avec vous, ça ne marche pas comme ça la démocratie.
Donc je vous dis : proportionnelle, réduction du nombre de parlementaire, renforcer considérablement les moyens que l’on donne à nos élus locaux, notamment aux maires dans les petites et moyennes villes et évidemment instaurer un referendum d’initiative citoyenne. Je pense qu’avec ces outils les gens retrouveront peut-être goût à la démocratie, goût aux urnes parce qu’ils auront le sentiment d’être écoutés et d’être entendus. Et tout cela traduit ce que nous avons pu voir avec les gilets jaunes. La dissolution de l’Assemblée aurait été je crois la solution la plus efficace de répondre à cette crise.
VM : Et est-ce que vous ne pensez pas plus globalement aussi que la période est peut-être plus à l’individualisme ? Est-ce que nous ne sommes finalement pas tous connectés en permanence chacun sur nos tablettes/écrans multiples et variées et que le bien commun, la chose commune, le bien public, l’intérêt général sont peut-être devenues des notions un peu old school, dépassées ? Est-ce que malgré les solutions que vous proposez les francais.es reviendraient vers les urnes ?
JB : Oui c’est vrai que nous allons vers des sociétés de plus en plus individualistes. Maintenant, à la lumière de ce constat, le modèle de société que nous défendons ce n’est pas celui de la start-up nation. Je pense que c’est pour cela qu’il y a cette bipolarisation aujourd’hui avec Macron. Nous défendons deux modèles de société aux antipodes : lui il est dans cette idée de la start-up nation et défend finalement des idées des années 90. C’est-à-dire le libre échange total, l’individualisme, le déracinement. Je pense que les deux jambes du macronisme reste le déclassement et le déracinement. Un déclassement qui est aujourd’hui ressenti par une immense partie des français : on a l’impression que la génération d’après vivra moins bien que la nôtre, que nos enfants vivront demain moins bien en termes économiques, sociaux et méritocratiques que nous et puis il y a ce sentiment de dépossession. Le sentiment d’être dépossédé de son identité et de son patrimoine matériel. Et évidemment, il y a ce patrimoine immatériel qui est l’identité qu’on voit revenir en force aujourd’hui. Il aura fallu malheureusement attendre les attentats de 2015 pour voir ressurgir partout aux balcons des drapeaux français. C’est malheureux d’en être arrivé là pour avoir pour ce sursaut patriotique.
« Pas de start-up Nation ; mais une société de la proximité »
Le modèle que je défends c’est un modèle de proximité et cela nous appartient également de recréer du lien. Des exemples concrets parce qu’il faut être concret, je suis favorable à ce qu’on rétablisse un service civique qui soit un service militaire parce que je pense que sa suppression par Chirac en 95 a été une erreur. L’armée était, notamment pour les jeunes, un vecteur de lien, d’unité, de cohésion nationale qui dépassait les origines sociales et c’est vrai que l’on a effondré tous ces symboles. Donc oui notre boulot c’est de recréer du lien ; C’est difficile à matérialiser mais on a aussi cette mission.
Je pense que le plus grand danger qui guette la société française c’est la partition et en tant qu’élu en banlieue et en Seine Saint Denis que je vois dans beaucoup de quartiers s’opérer une partition de la société française. Nous avons voulu mettre des gens de communautés différentes par le biais de l’immigration massive et du regroupement familiale pendant des années en pensant que les gens allaient vivre ensemble. Or aujourd’hui les gens se séparent et personne ne vit ensemble, chaque communauté vit retranchée derrière sa langue, ses mœurs, ses us et ses coutumes. C’est d’ailleurs ce que les élus de terrain vous disent et Xavier Lemoine, maire de Montfermeil, en parle très bien : le grand risque aujourd’hui c’est d’aller vers cette séparation et aujourd’hui nous risquons la grande séparation dans notre pays. La dislocation des communautés dans un certain nombre de territoires ça c’est du concret, c’est du réel. Alors à l’intérieur du périph’ on ne le voit pas mais chez moi en Seine Saint Denis ce sont des choses que l’on perçoit.
VM : J’en viens au deuxième thème de cet entretien : « l’économie de marché », dans son acception classique des années passées, semble être remise en cause par beaucoup. Elle ne semble plus être l’unique ou quasi unique socle des programmes politiques. Quel est votre regard sur cette critique de plus en plus aiguisée de l’économie de marché ?
JB : Je pense que le modèle économique actuel n’est pas viable et que la critique que l’on formule de la mondialisation sauvage, ultra libérale depuis pas mal d’années a finalement convaincu tout le monde. Il y a encore 5/6 ans c’était un gros mot de parler de protectionnisme. Je me souviens que déjà lors des débats de la présidentielle en 2012 Marine Le Pen parlait de protectionnisme intelligent. Elle avait ajouté la connotation intelligente pour expliquer que c’était de la chirurgie économique, de manière ciblée et qu’il ne s’agissait pas de rétablir des murs mais plutôt des portes et des filtres. Aujourd’hui tout le monde parle de protectionnisme. Mme Loiseau parle de protection, les verts parlent de protectionnisme vert donc je pense que nous sommes attaqués sur le fond de nos idées parce que les idées que nous défendons sont en pratique dans beaucoup de pays du monde. Toutes les puissances économiques font du patriotisme économique, protègent leurs filières et pratiquent le protectionnisme intelligent.
Sur votre question je pense que le modèle économique actuel qui consiste à aller faire fabriquer au bout du monde des produits par des esclaves, sous une nouvelle forme d’esclavagisme moderne, avec des normes humaines, sanitaires, sociales et environnementales totalement délirantes pour ensuite retraiter en Afrique et finalement rapatrier en Europe et vendre ces produits à des chômeurs, des populations précaires puisque les emplois sont désindustrialisés et que les gens sont plongés dans le chômage de masse, n’est pas un modèle viable.
« La frontière, meilleure alliée de l’écologie »
J’ai une phrase qui est peut-être un peu simpliste mais qui dit beaucoup : le meilleur allier de l’écologie et de la défense de l’environnement aujourd’hui c’est la frontière. Partant de ce constat, ce que nous voulons faire c’est opposer à la notion de globalisme celle du localisme et rapatrier ici tout ce que nous pouvons produire raisonnablement. Alors effectivement il y a des matériaux, des industries qui ne peuvent peut-être pas se développer ici, nous en sommes conscient mais pour sauver la planète et l’environnement il faut que les lieux de production soient au plus proche des lieux de consommation. Ce modèle de localisme offre une solution au modèle du marché de la main invisible que nous savons désormais non viable.
Aujourd’hui dans les cantines de nos écoles, collèges et lycées vous avez 75% du bœuf d’origine importée. Il faut réussir à inverser cette tendance dans la restauration publique pour que demain nous puissions proposer une majorité de produits provenant des agriculteurs du coin dans les cantines.
« Je suis pour un protectionnisme intelligent »
J’ai récemment fait un déplacement dans la région de Cognac. On voit que le modèle défendu est justement celui de la proximité. Les lieux de production, les lieux de fabrication sont proches des lieux qui organisent la distribution. Toute la chaîne est maitrisée dans cet esprit de circuit court et cela fonctionne très bien. Nous ne sommes évidemment pas contre la mondialisation qui est de toute façon aujourd’hui un fait mais il nous faut une mondialisation contrôlée. Pour cela il faut garder la maîtrise de nos productions ce qui nous demande donc un protectionnisme intelligent. Il est nécessaire de reprendre la main sur nos marchés intérieurs pour pouvoir exporter nos produits à l’étranger dans un second temps. Cognac en est une très bonne illustration.
Le marché économique d’avenir c’est l’idée qu’en étant fort sur nos modèles intérieurs on sera fort à l’extérieur. Et là-dessus on a 20 ans de retard à cause de l’Europe.
L’avenir c’est le localisme et la proximité. Toutes les grandes nations le font. Protectionnisme économique et maîtrise des frontières. Nous ne nous sommes pas assez protégés. Contrairement à ces grandes nations qui ont mis en place du protectionnisme et qui maitrisent aussi leurs frontières depuis des années.
Nous sommes finalement bien plus en avance dans ce que nous défendons que cette start-up nation et ce village global qui nous est vendue. Ces idées sortent tout droit des années 80. En réalité Macron défend un monde vieux de 40 ans.
Un exemple très concret : la grande braderie qu’on organise de nos fleurons industriels (Aéroport de Toulouse, Aéroport de Paris, Française des Jeux, d’Engie de Technip). Et moi je dis à Macron : cela ne vous appartient pas ! Arrêter de vendre ce qui ne vous appartient pas, tout cela appartient aux français et font parti du patrimoine des français.
« Emmanuel Macron défend le monde d’avant »
Je pense vraiment que Macron défend une société utopique mais surtout il défend le monde d’avant et je vous dis le libre-échange, la mondialisation, ce village global et cette start-up nation ne permettent pas de répondre aux enjeux auxquels nous devons faire face aujourd’hui.
Je suis d’une génération qui n’a jamais connu la croissance et l’insouciance et nous savons qu’il est nécessaire de nous protéger. Moi je serais encore là dans 10, 20 ou 30 ans. Je n’ai jamais connu la France qui va bien et je ne me reconnais pas dans ce clivage que nous impose le macronisme : les idées que l’on défend ne sont pas rétrogrades. Je défends les idées du présent et de l’avenir : toutes les grandes nations vivent du patriotisme économique, contrôle leur frontière et leurs entreprises nationales donc oui je défends une certaine forme de modernité.
Nous devons aujourd’hui faire face à deux grand défis. Le premier, celui du défi migratoire remarquablement évoqué dans le livre de Stephen Smith. Soit nous décidons de gérer nos flux migratoires ou alors nous acceptons des flux de manière permanente.
Le second c’est le défi environnemental. Je suis contre les éoliennes mais il faut continuer à développer les énergies hydrogènes que la France développe depuis longtemps. L’Union Européenne nous a fait passer à côté sur l’ensemble des grands enjeux de notre époque.
Nous avons l’opportunité de faire de l’Europe grâce au localisme la plus grande entité écologique mais pour cela il faut surtout que les banques jouent le jeu notamment les banques mutualistes.
Arnaud Benedetti : Pour en revenir à l’Europe en tant que modèle institutionnel. Le modèle institutionnel qui est le vôtre c’est un modèle inter-étatique ; on est finalement dans une Europe à géométrie variable. Aujourd’hui c’est ce modèle que vous préconisez ?
JB : Exactement, on nous dit : « mais en fait vous voulez faire l’Europe à la carte ? ». Oui exactement, on veut se mettre autour de la table des négociations quand on y a un intérêt et c’est que comme ça qu’on fera des génies nationaux et européens. C’est comme ça qu’on a fait Ariane et c’est comme ça qu’on a fait Airbus.
L’Union Européenne, ce n’est pas l’Europe, moi je ne mêle pas les deux. Parce que pour moi la construction européenne elle a 60 ans et l’Europe elle en a 3000. C’est une réalité charnelle, civilisationnelle, historique, tout ce qu’on voudra mais je pense qu’aujourd’hui l’Union Européenne est en train d’affaiblir les nations parce qu’en fait l’Union Européenne, de Bruxelles en l’occurrence, celle-ci c’est la négation des nations alors que l’Europe a inventé les nations. Faire l’Europe sans les nations c’est faire l’Europe sans l’Europe en réalité. Donc il y a des nations et il n’y a pas un peuple européen, il y a des peuples européens.
Il y a des intérêts qui sont parfois divergents, avec l’Allemagne on n’a pas la même stratégie en matière d’armement c’est pour cela que moi je ne veux pas qu’on partage notre siège au conseil de sécurité qui deviendrait un siège unique, celui de l’Union Européenne. Nous n’avons pas la même stratégie, l’Allemagne vient de rouvrir ces centrales à charbon par exemple donc si on discute du climat il faut aussi parler des centrales à charbon allemandes. Nous avons des nations qui ont parfois des intérêts convergents et parfois divergents. Nous nous voulons que chaque pays ait la liberté de décider de son budget, la possibilité de faire du patriotisme économique, de garder le contrôle des frontières tout en demeurant dans le marché commun avec des règles bien comprises.
L’Union Européenne doit simplement maintenant devenir une organisation qui participe de projets communs, qui fonde des projets communs, qui met les gens autour de la table et qui n’affaiblisse pas les nations. Parce qu’aujourd’hui la zone euro c’est la zone économique ayant la plus grande croissance au monde.
VM : On parle peu d’arts et de culture (« cultivée » ou populaire) dans les débats politiques en général. Quel est votre ressenti sur ces questions ? De votre côté qui vous accompagne sur vos chemins culturels/divertissements/artistiques ?
JB : Je suis assez ouvert là-dessus, j’écoute absolument de tout. Mon divertissement ça va de Sa Jeunesse d’Aznavour à Netflixen réalité. Je fais à peu près les deux !
Plus sérieusement Macron avait nié l’existence d’une culture française pendant la campagne. Moi je suis évidemment attaché à la culture française, attaché surtout à un héritage.
Je pense que quand on fait de la politique on a ce rôle à la fois de protection et de projection. Protéger un flambeau qu’on nous transmet pour le donner aux générations futures avec un patrimoine matériel, un patrimoine immatériel.
J’étais dans le train lorsque j’ai vu l’incendie de lundi soir et on nous demande souvent en politique « C’est quoi être français ? Qu’est-ce qu’être français ? ». C’est compliqué d’avoir la bonne définition, moi je dis que c’est un acte d’amour, c’est s’inscrire dans une longue tradition pluriséculaire etc… et je pense avoir trouvé une définition qui convient bien à notre époque. Je pense que n’est pas français celui qui n’a pas eu le cœur qui saigne en regardant Notre Dame. Notre Dame c’était peut-être une des plus belles créations de l’humanité et lorsqu’on voit brûler Notre Dame on a l’impression d’être amputé de quelque chose, c’est une partie de nous-même en fait. C’est évidemment le symbole de nos racines chrétiennes.
« La République est laïque mais la France est chrétienne »
La République est laïque mais la France est évidemment chrétienne de part son histoire, de part ses racines et Notre Dame s’inscrit pleinement là-dedans. Et au-delà du caractère religieux c’est notre histoire, c’est une part de nous même et moi j’aime ce genre de symboles. C’est la célébration de la victoire de Jeanne d’Arc à Orléans, c’est le sacre de Napoléon, c’est aussi le mariage d’Henri IV, c’est Victor Hugo, c’est le roman français et c’est vrai que Notre Dame incarne tout cela à la fois. Donc pour moi ces symboles sont vraiment essentiels et puis ça dit beaucoup aussi de l’état d’esprit du peuple français qui est un peuple de bâtisseurs. On a fait Notre Dame, on a fait Chambord, Versailles, Reims et des milliers de monuments, peut être les plus beaux au monde. Donc je crois qu’il y a une culture française évidemment et il nous appartient de la défendre pour la transmettre aussi aux générations d’après.
VM : Là vous parlez de la culture plutôt en termes d’identité, de civilisation.
JB : Oui c’est essentiel parce que pour moi la politique c’est quelque chose d’un peu charnel, utopiste mais charnel. C’est-à-dire que pour moi ce n’est pas juste de l’économie. Une taxe on la change en 24 heures mais l’identité d’un peuple qui est pluriséculaire c’est un truc précieux et c’est peut-être l’une des choses les plus précieuse. Et donc faire de la politique ce n’est pas se battre pour les 3% de déficit, en tout cas ce n’est pas mon idéal politique. C’est plutôt l’héritage historique que l’on a en nous et en voyant brûler Notre-Dame on se rend compte à quel point c’est important parce qu’on se dit qu’on passe à côté tous les jours. C’est une partie de nous même sans qu’on le sache en fait.
VM : Mais autour de la table d’une nouvelle « académie française » par exemple ou « académie des arts et de la culture vous mettriez qui ?
JB : Je ne me suis jamais posé la question !
Dans mes lectures…. Et je lis beaucoup… Là je viens d’acheter avec un pas mal de retard le dernier bouquin de Zemmour, Destin Françaiset j’ai commandé celui deFourquet : l’Archipel Français.
J’essaye de faire en sorte que mes lectures me servent aussi dans le débat politique, mes argumentations. Je pense que ce qui tue la politique – c’est un peu paradoxal de dire ça tout en ayant 23 ans – mais ce qui tue la politique c’est l’instantanéité de la société. C’est-à-dire le besoin toujours de tout commenter, de tweeter immédiatement. Je pense qu’en politique il faut savoir parfois prendre un peu de distance, prendre un peu de hauteur pour pouvoir penser la chose publique, pour pouvoir penser le monde. Et c’est ce qu’on ne fait pas. J’ai trouvé pathétique de voir des responsables politiques dès le mardi matin alors que les cendres étaient encore là et le feu encore chaud, devant les caméras pour essayer de faire un peu de com’. Je pense que ça tue la politique. La politique c’est ce que j’ai dit ce matin, il y a un temps pour parler quand vous êtes dans l’opposition, un temps pour agir quand vous êtes au pouvoir et un temps pour se taire. Et parfois il y a des moments dans la vie politique où il faut savoir se taire et sentir un peu le pouls du pays. Donc voilà pour moi la politique ce n’est pas une histoire de techno, de bureaux, c’est une vision. Et je vous dis c’est à la fois la protection de ce dont on a hérité et la projection sur les défis de notre époque.
Sinon je vais commencer une série sur Netflix qui s’appelle Homeland.Ma série préférée étant Narcossur le narco trafic en Amérique Latine. Et ma chanson préférée est Sa Jeunesse d’Aznavour. Mais j’écoute vraiment de tout, depuis toujours.
Pr. Virginie Martin
Politiste, Kedge Business School
Jordan Bardella
Homme politique français