En prononçant la dissolution, le chef de l’Etat est dans son rôle d’arbitre du fonctionnement régulier des pouvoirs publics et de la continuité de l’Etat. Après avoir constaté les difficultés de ses gouvernements à faire adopter des textes fondamentaux pour son projet et l’Etat (retraite, immigration, budgets, …), après avoir constaté la montée lancinante mais régulière des violences notamment urbaines, le président confronté aux résultats du RN sur l’ensemble du territoire – progression y compris dans les grandes villes-, utilise le seul article constitutionnel lui donnant la faculté d’essayer de dépasser la période critique ouverte après 2022 – en fait dès 2017.
Choix très contraint et très, très, risqué
N’eut-il rien fait, qu’eurent été les commentaires sur un exécutif usé jusqu’à la corde, incapable d’écouter et de tenir compte des messages envoyés par le peuple ? N’eut-il rien fait, dans quelle position l’automne mettait son Gouvernement pour faire voter un nouveau budget – face à l’intransigeance de LR, tout sauf bienveillante avec la menace d’une censure brandie dès le printemps. Alors un référendum, disent certains ! Mais encore plus risqué qu’une dissolution ; puisqu’une partie du vote est désormais motivée pour un nombre non négligeable d’électeurs par le rejet de ce président, un référendum encourrait d’emblée un risque d’échec, plaçant E. Macron dans la situation de J. Chirac après 2005…
Alors, le pari certes très, très, risqué d’une dissolution est pris.
En renversant la table, le chef de l’état veut mettre les Français face à eux-mêmes : voulez-vous d’une majorité RN qui gouvernera la France ?
Finalement, il s’agit d’un quasi-référendum : pour ou contre un gouvernement d’extrême droite. Dès lors, ces législatives sont-elles perdues d’avance pour le pouvoir macronien ? En tablant sur un Front républicain que les 7 dernières années ont affaibli un peu plus encore – particulièrement en 2022, lorsque certains Renaissance ont fait le choix implicite du RN plutôt que de LFI au second tour -, le président joue au poker, tant il est peu prévisible que ce front se réveille.
Car à gauche, comme chez LR, s’allier à Macron pour faire barrage au RN ne semble pas être la seule priorité. Au premier tour, l’idée est bien de tenter sa chance. Dès lors, qui parviendra au second ? Comment anticiper les reports de voix ? Autant de circonscriptions que d’équations tactiques entre forces politiques désorganisées – et moins affiliées qu’auparavant à une discipline nationale… Autant d’électeurs désormais sans préférence partisane, qui en deçà de l’effet de notoriété locale, se déterminent tard dans leur vote au vu de globules d’informations imprécis – ce qui avantage le populisme -, et au vu aussi, de rationalités émotionnelles – en majorité négatives (inquiétude, angoisse, colère, mécontentement, espoir).
De la crise, sort… une fiction
Décidément donc, pari plus que risqué, peut-être un peu absurde – au sens de la stratégie du faible au fort. Brûler ses vaisseaux pour mieux renaître, jouer la crise pour forger un nouvel ordre. Est ainsi réaffirmée la stratégie de E. Macron consistant à essayer d’installer un clivage progressiste/souverainisme-populiste. Il s’agirait d’une étape de plus. Du chaos sortirait un nouvel ordre. Tout est alors envisageable, y compris un président qui démissionne en fonction des résultats. Dans tous les cas, l’heure est aux secousses de forte intensité.
Jouons le jeu présidentiel jusqu’au bout. Imaginons une crise de régime : après les législatives, pas de majorité identifiable ou des majorités confuses en composition-recomposition constantes au fil des textes, proposées par des gouvernements plus techniques que politiques. Un jour, le PR dirait aux Français : « mon devoir est de proposer un changement de régime pour retrouver une efficacité d’action et une clarté perdue. ».
En utilisant l’article 11, contre la loi constitutionnelle mais avec pour référence, la statue du commandeur, de Gaulle, E. Macron proposerait de basculer vers un régime à l’américaine : plus de droit de dissolution, plus de premier ministre – pour le PR actuel, quel soulagement ! -, des départements ministériels rattachés directement à l’Elysée, … mais en contrepartie, un Parlement qui voterait plus librement la loi.
Les partis, y compris de son opposition pourraient dire banco ! Dans ce système, le président peut être bloqué, avoir du mal à pousser ses programmes, mais des dispositifs de négociation s’installeraient qui dépendraient directement de l’Elysée, sans risquer une censure quelconque, puisqu’en régime présidentiel, il n’y a pas de responsabilité politique usuelle et le PR a le droit de veto sur les lois…
A quoi bon cette fiction, ses chances de réalisation immédiate étant faibles ? Comme tout scénario par l’absurde, elle veut faire comprendre que dans le cadre du quinquennat, la Ve République semble arriver au bout du bout. Cette hypothèse s’autodétruira, si E. Macron retrouve une majorité confortable au soir du 7 juillet… Ce qui serait une « énorme » surprise. En-deçà de ce scenario, l’institution présidentielle sera affaiblie, ce qui dans le régime semi-présidentiel ne saurait devenir la coutume, mais s’est reproduit très fréquemment depuis 1997, dissolution ou pas.
Olivier Rouquan,
Chercheur associé CERSA Enseignant spécialiste vie politique, institutions, territoires