Le coronavirus a mis un coup d’arrêt brutal à l’économie européenne. Face à cette crise, l’Allemagne et la France ont mis en place des plans de soutien aux entreprises que nous détaille Jean-Yves Archer, économiste et membre de la Société d’Economie Politique
La crise sanitaire engendrée par la propagation quasi-planétaire du virus Covid-19 a conduit à l’émergence de politiques de strict confinement.
Corrélativement, les économies des pays concernées sont en hibernation : près de 70 % du potentiel productif est à l’arrêt et on attend, dans le meilleur des cas, un repli du PIB en 2020 de près de 15 % avec des variantes sectorielles effroyables comme dans les cas de l’aéronautique, du tourisme et de l’automobile.
Cette crise, pourtant exogène au capitalisme, le touche au cœur et les conjoncturistes ont le vertige de la page blanche tant la situation est inédite et dépassera, à la fin des fins, l’ampleur de la dépression de 1929.
Autant dire que face à des carnets de commandes parfois ramenés à zéro, les entreprises – et singulièrement les TPE et les PME – rencontrent de sérieuses et vitales difficultés de trésorerie.
Eu égard aux risques encourus, les États européens ne sont pas parvenus à élaborer un plan de soutien de type communautaire contrairement aux appels de Bruno Le Maire. S’agissant de la France et de l’Allemagne, elles ont donc fait cavalier seul.
Outre-Rhin, un plan immédiatement qualifié de “bazooka” a été décidé. Il recouvre plusieurs mesures.
Rompant avec la sempiternelle logique de rigueur budgétaire, le Bundestag a voté un plan de 1 100 milliards d’euros (soit près d’un tiers du PIB du pays !) qui se parcourt selon trois axes forts.
D’une part, il est instauré un fonds de soutien destiné aux grandes entreprises. D’un total de 600 Mds, ce fonds est ainsi composé : 400 Mds de garanties à destination des dettes des entreprises. 100 Mds pour des prêts ou même des prises de participations. 100 autres Mds pour renforcer la banque publique d’investissement nommée : KfW.
Puis, il a été voté une recapitalisation de 357 Mds de KfW qui sera ainsi en mesure d’apporter sa garantie à 822 Mds d’euros de prêts.
Enfin, une enveloppe de 100 Mds de crédits budgétaires (au niveau fédéral) sera destinée au soutien aux PME voire à leurs salariés.
Loin de la politique du “zéro déficit”, l’Allemagne est rentrée dans une phase de sérieux interventionnisme étatique qui n’exclut pas des prises de participations de la Puissance publique au goût et saveur de nationalisations indirectes.
Enfin, ce plan s’accompagne d’étalements de paiements de certains impôts et de charges sociales.
Dans le cas du chômage partiel, les dispositions adoptées suite à la crise de 2008 ont été considérablement assouplies. Chaque entreprise dont 10 % de l’effectif (contre 30 % auparavant) est atteint par l’interruption de la production verra ses salariés bénéficier du chômage partiel à hauteur de 60 % du net et à 67 % du salaire net pour les soutiens de famille.
S’agissant de la France, le Gouvernement a insisté sur sa réactivité et annoncé des mesures de “portée immédiate”.
Ainsi, des délais de paiement d’échéances sociales et fiscales pourront être accordés. Dans certains cas, des dégrèvements fiscaux seront envisagés via des “remises d’impôts directs”.
Singularité hexagonale, “Ce n’est pas aux entreprises de demander des reports de charges sociales et fiscales. C’est aux administrations de leur proposer“(Bruno Le Maire).
Des reports de paiement pourront être obtenus de fournisseurs : loyers, eau, gaz, électricité. D’évidence tout entrepreneur a compris que report veut dire et seulement dire différé de règlements. Pour parler clair, les ardoises seront différées dans le temps, après la pluie de tuiles en tous genres.
Un Fonds de solidarité à destination des TPE, indépendants et micro-entrepreneurs pourra attribuer jusqu’à 1 500 euros.
Le dispositif français de chômage partiel, un peu plus généreux (plafond de 70 % de 4,5 Smic) que son équivalent allemand concerne déjà 400 000 entreprises et 3,9 millions de salariés (à la date du jeudi 2 avril).
Le nombre de chômeurs partiels indemnisés, soit près de 4 millions de personnes, représente plus de 2/3 des effectifs de toute la Fonction publique.
Ce qui permet de visualiser l’effort requis de l’Unedic dont la dette, déjà située à 41 Mds (et garantie par les engagements hors-bilan de l’État), va subir un essor considérable.
L’autre versant du plan de soutien à l’économie concerne la garantie publique accordée aux entreprises contraintes de demander un crédit de trésorerie. Désormais BPI France apportera sa garantie à hauteur de 90 % des prêts (contre 70 % auparavant) obtenus par les ETI et PME auprès de leurs banques.
Dans l’esprit du Gouvernement, tout effet d’aubaine doit être écarté et les établissements bancaires devront s’attacher à tenir leur rôle habituel de prêteurs sans chercher à se réfugier derrière le parapluie de la garantie de BPI France.
Or, la France est connue pour avoir un crédit inter-entreprises bien supérieur à l’Allemagne où la question des délais de paiements n’est pas aussi chaotique. Dès lors, la crise de trésorerie que la crise impose sera plus nette et dangereuse ici qu’Outre-Rhin.
Mezza voce, le médiateur des entreprises, Pierre Pelouzet, a reconnu récemment que “la situation de trésorerie devient un sujet critique pour beaucoup de PME“. On va donc avoir un organisme d’État qui va garantir des crédits de campagne dits court-terme par des ressources longues bénéficiaires de la garantie de l’État.
Faute d’une gestion au cordeau, BPI France et ses milliards de garanties pourraient bien devenir une sorte de Crédit Lyonnais à horizon 2025.
L’effet de ciseaux est manifeste et la qualité de gestion sélective de la KfW pourrait bien donner une leçon de management à l’outil français par-delà les incontestables compétences de Nicolas Dufourcq, responsable de la BPI qui ne saurait toutefois méconnaître les remarques acerbes de la Cour des comptes visant la filiale BPI Financement.
Nul ne peut nier la véracité et l’actualité d’un article du Monde remontant au 19 juin 2012 et décrivant la KfW comme la “banque la plus sûre d’Europe” (https://www.lemonde.fr/economie/article/2012/06/19/la-kfw-la-banque-la-plus-sure-d-europe_1720941_3234.html)
D’autant que pour couronner cet édifice, n’oublions pas que la France a une élite administrative férue des rééchelonnements des crédits bancaires comme dans le cas de Dexia, il y a près de dix ans…
Pendant ce temps-là, des praticiens du Droit se souviennent des jurisprudences éclairées de la Cour de Cassation en matière de “soutien abusif” à une exploitation irrémédiablement compromise.
L’avenir de BPI France et de certaines banques ne pourra exclure la notion de contentieux pour prêts inappropriés ce qui rend l’équation présente un peu plus complexe qu’il n’y paraît comme le savent fort bien certains membres de la Direction du Trésor.
Jean-Yves Archer
Economiste et membre de la Société d’Economie Politique