Notre pays va traverser une difficile année 2024 pour plusieurs raisons d’importance. La croissance ne cesse de s’effriter et de se rapprocher de la récession à l’allemande. Les déficits publics demeurent dynamiques tout comme la charge de la dette qui, au total, flirte avec 3.000 Mds.
Le Gouvernement a annoncé des mesures aux relents d’austérité et confirmé la dégradation de la conjoncture. Si nous ne sommes pas encore face au mur, nous allons être dans le dur.
Croissance française : la déconvenue
Dans plusieurs contributions mises en ligne ici même, j’ai pris le soin de démontrer que les prévisions de croissance émises par l’Exécutif ne seraient pas confirmées par la réalité. Il faut ici rappeler que les experts du Haut Conseil des Finances Publiques ( HCFP ) avaient jugé les prévisions comme frappées » d’optimisme » lorsqu’évaluées à +1,4%.
Le ministre Le Maire, en date du Dimanche 18 Février 2024 a tendu la voile et ramené son score-cible à +1,0% pour 2024 là où la lucidité imposait de retenir +0,7%. C’est une déconvenue qui militerait pour l’émergence d’un collectif budgétaire : un PLF rectificatif. Mais, depuis 2017, il est avéré que cet outil technique et de transparence budgétaire ne recueille pas les faveurs du président de la République. Le Ministre a évoqué cette possibilité à l’orée de l’Été sans grand enthousiasme.
Le principe d’annualité budgétaire est écorné du fait du patchwork de mesures de soutien disparate qui faussent la pureté initiale de l’épure.
Ainsi, où va-t-on loger le plan de soutien à l’Agriculture de plus de 400 millions d’€uros ? Quid si une rallonge s’impose comme il est du domaine du prévisible ?
Une mise au point ministérielle opportune
Dans son interview, le ministre de l’Économie a joué la carte de la sincérité et procédé à plusieurs séquences de mise au point. Opportune mais, à l’aune du passé, il est légitime de s’intéresser sur la consistance, in concreto, de ces propos dont nous aimerions être spontanément convaincus. La parole politique, lorsqu’elle est surabondante, finit par devenir poreuse et donc peu convaincante. En politique publique, il eût été requis de suivre une politique de rigueur réaliste ( voir les travaux de feu Pierre Uri ) plutôt que de sortir la hache et d’engager une politique d’austérité qui nuit, in fine, à l’activité. Les annonces du ministre si elles sont suivies d’effets vont nous emmener dans une politique procyclique qui va alourdir le ralentissement conjoncturel. En clair, un État impécunieux qui engage l’austérité – y compris à l’Éducation nationale ou le Logement – va alourdir le paysage tracé par une croissance atone qui induit d’ores et déjà des tassements de recettes en matière d’I.S et de TVA ( moins 16 Mds soit exactement 10% du déficit budgétaire de 173 Mds ) ou un essor des défaillances d’entreprise ( vers les 60.000 ). La France va aller dans le » dur » tout en maintenant le poids conséquent de ses taxes et autres foyers d’imposition.
La loi d’Okun établit que si un pays n’atteint pas 1,5% de croissance, alors la courbe du chômage se détériore.
En clair, Bruno Le Maire nous a confirmé que l’un des succès de la Macronie ( la baisse du chômage ) allait s’étioler en 2024.
Près de 10 millions de pauvres sont déjà recensés dans notre pays : certaines mesures annoncées seront des scarifications additionnelles. Curieux que ce Pouvoir ne veuille pas le conceptualiser au profit de catalogues de mesures sans épine dorsale cohérente.
L’impact géopolitique est encore sous-évalué :
La guerre en Ukraine prend des allures de Vietnam. Une guerre de tranchées digne du début du XXème siècle combinée à une guerre de haute intensité du XXIème siècle. Dans les deux versants, le bilan humain et les coûts afférents sont au-delà de toutes les prévisions et ne manquent pas d’avoir un impact sur nos économies. Parallèlement, à la lisière de l’économie et de la géopolitique, l’agressivité commerciale de la Chine taille désormais des croupières à l’industrie automobile allemande.
Enfin, qui peut nier que l’Occident sort moribond de son expulsion de l’Afrique sub-saharienne et du conflit de plus en plus ouvert en mer Rouge.
Les surcoûts liés à ses tensions ont un impact sur notre activité ( usine Tesla provisoirement mise à l’arrêt en Allemagne faute de pièces logées dans des containers déviés ) et notre ministre demeure dans une forme de déni quant à la rugosité de ces faits face à notre croissance. La croissance nominale vue de Bercy ( macroéconomie ) n’a rien à voir avec les atteintes aux marges que la géopolitique engendre !
En conséquence, je maintiens que croissance et inflation sont deux paramètres vitaux qui sont sous-évalués par le Gouvernement qui dédaigne l’analyse microéconomique.
Là aussi, nous serons dans le » dur « .
Allons-nous vers le » Mur » ?
Économistes incertains, éditorialistes, bavards en quête de public nous expliquent désormais à longueur d’articles que le Mur de la dette est là, juste devant nous.
Tout d’abord, cette chanson est connue : nous l’avons entendue lorsque la France a connu le cap des 2.000 Mds de dette.
Depuis ce cap, peu d’experts prennent le temps de souligner que la détention ( de la dette ) par les non-résidents a augmenté. Les Français sont de plus en plus prudents là où les investisseurs étrangers demeurent friands de nos lignes d’emprunts. Pour mémoire, un record absolu de 285 Mds représente le montant du total des emprunts réalisés par l’Agence France Trésor.
Donc nous ne sommes pas face au Mur de la dette car des solutions existent et notamment le recours à l’emprunt obligatoire comme ce fût le cas en 1983.
Il est fondamental de saisir que notre épargne de plus de 6.850 Mds ( épargne hors immobilier ) est une caution si jamais le pays était dans une crise de liquidités. Que de propos où l’analyse confond un État illiquide et un État insolvable. Les agences de notation ne s’y trompent pas et intègrent dans leurs scores le potentiel contributif national. Elles notent que nous dépensons de manière déraisonnée mais que le bas de laine potentiellement mobilisable couvre l’ampleur de l’ardoise.
Le dur certainement, le Mur à horizon aléatoire sont deux vecteurs de notre futur. Si l’on se reporte aux travaux de l’estimé François Écalle ( site FIPECO ) les conclusions sont voisines. Toutefois, il faut souligner que j’attache plus de préoccupation à la dette hors-bilan, c’est-à-dire aux engagements financiers pluriannuels de la sphère publique dont peu osent traiter malgré son montant voisin de 5.000 milliards dont 2.800 dédiés au futur paiement des pensions des retraités de la Fonction publique.
Jean-Yves Archer
Economiste et membre de la Société d’Economie Politique