L’échéance présidentielle se profilant à l’horizon, tous les candidats de droite et de ses extrêmes se revendiquent gaullistes. « Valeurs gaullistes », gaullisme social… » Toutes les formules y passent pour se revêtir d’un héritage usurpé pour la plupart. Il y en a même à gauche qui le tente. C’est un comble !
Beaucoup moins sérieusement qu’on ne le pense, « Chaque Français fut, est et sera « gaulliste » », disait Charles de Gaulle en 1952. En effet il savait mieux que quiconque que ces mêmes Français furent, dans leur très grande majorité, pétainistes sous Pétain. Et le visionnaire qu’il était, savait pertinemment que s’il remobiliserait les foules sur lui à un moment ou à un autre. Cela ne serait peut-être plus le cas après lui. Et pourtant après sa mort que de gaullistes ! Il y eut même comme des générations spontanées ! Même Mitterrand qui l’avait si souvent vilipendé, s’y est mis. Il n’était pas à un reniement près, il est vrai…
« Je n’ai jamais, vous le savez, fait état du “gaullisme”. Mais il ne me serait pas possible d’agir à la tête de l’État sans le concours des hommes qui jugent que c’est nécessaire […]. Soutenir cette action, cela ne comporte pas qu’on soit de droite ou de gauche ; ni qu’on appartienne à tel ou tel parti et cela n’appelle pas d’encouragements spécifiquement adressés aux uns ou aux autres… » (Lettre du général à Jean-Claude Servan Schreiber, 16 juillet 1959).
De Gaulle n’a jamais voulu définir lui-même un quelconque concept sur son nom.
Il réfuta même d’ailleurs le mot gaulliste ou gaullisme. Puisque le mot est utilisé et que certains s’en revendiquent la plupart du temps illégitimement, essayons d’y voir plus clair. Le gaullisme politique est à chercher dans les actes plus que dans les mots. Originellement c’est par la Résistance que le général fixe les bases du gaullisme. Se lever et résister, ce sont les deux premières postures gaullistes. Puis, aussi paradoxal que cela puisse paraitre, il apparait que le gaullisme est économiquement plutôt de gauche. Ainsi en 1945 c’est le général qui impulse les nationalisations, la relance (notamment en augmentant les salaires et en réactivant les pensions), et la sécurité sociale (ordonnance du 19 octobre 1945). On le sait peu ou on l’a oublié, mais il va même s’opposer à Pierre Mendès France qui trouvait que sa politique financière, à ce moment-là, n’était pas assez rigoureuse. Trop de social en quelque sorte !… Le gaullisme rimait aussi avec pragmatisme.
Et puis, entravé dans sa politique par une majorité de gauche, le 20 janvier 1946, c’est par un sonore « Je fous le camp ! » que Charles de Gaulle démissionne de son poste de chef du gouvernement provisoire de la République française (GRPF). C’est aussi cela la posture gaulliste, avoir le courage lorsque c’est nécessaire de partir pour marquer son désaccord. Pour mieux revenir parfois ! Qui de celles et ceux qui se revendiquent gaullistes aujourd’hui ont su faire de même ? A portée de vue et de mémoire humaine, personne ! Et non, il est tellement plus confortable de rester, de s’accrocher au pouvoir telle une huitre à son piquet. De cumuler les mandats et les macarons. Au nom de tant de privilèges (honnis du général). Toujours plus ! constatait F. de Closets en 1982. Encore plus ! lui répondit Louis Maurin en 2020.
Et s’il est deux autres valeurs fortes du gaullisme ce sont la moralité et l’honnêteté.
Pas une ombre sur le commandeur. Ses ministres étaient tenus. Sa famille devait être exemplaire. Qui imagine un seul instant le général de Gaulle mis en examen persiflait F. Fillon à l’égard de N. Sarkozy en 2012. Comment osa-t-il ? Alors que quelques temps après il allait être l’ancien Premier ministre le plus fortement condamné de la Ve République (costumes par ci, faux emploi par-là,…). Honte à vous, monsieur l’ancien collaborateur du président Sarkozy, de vous réclamer de la famille gaulliste.
Sa décision inattendue de 1946 met fin, on le sait, au chapitre que le général avait ouvert dans des circonstances dramatiques en juin 1940.
Alors ce sont les douze ans de « traversée du désert ». Mais l’ambition, on le sait, est de revenir. Notamment pour donner à la France de nouvelles institutions. Alors il s’active le général : discours de Bayeux à l’été 1946 (canevas de la Constitution de 1958), création du RPF en 1947 (51 % des voix aux législatives de 1951), début de l’écriture des Mémoires. S’il n’est plus guère de gaullistes au pouvoir (sauf les quelques traitres qui ont rallié la IVe et ont amené le général à saborder le RPF en 1953), il est un peuple de Gaulle qui attend le jour J.
Le peuple de ces années là est peut-être celui qui sera le plus gaulliste de l’histoire !
Ces douze ans vont permettre aussi à la IVe République et à ses dirigeants de montrer leur incapacité à gouverner. Notamment à gérer la décolonisation algérienne. Et en mai 1958, comme un mouvement inéluctable, c’est le retour au pouvoir du général de Gaulle. Face à la menace de guerre civile découlant du coup de force d’Alger du 13 mai 1958, le président de la République, René Coty, fait appel au « plus illustre des Français ». Ainsi de Gaulle est investi le 1er juin 1958 avec les pleins pouvoirs pour modifier la Constitution. La Ve République va être consacrée. Elle l’est par le peuple le 4 octobre 1958. Et elle est toujours là. Et bien là du haut de ses bientôt 63 ans. Elle a montré toutes ses capacités à faire vivre le pays et à résister aux crises qu’il a connues. C’est une bonne constitution. Une des plus longues dans notre histoire républicaine. Contrairement à ce que l’on a dit (et dit encore parfois), elle n’a pas été faite sur mesure pour le général de Gaulle. Il y avait autour de lui des équipes d’élus et d’experts ainsi que le Conseil d’Etat. Seulement comme il avait « une certaine idée de la France », il avait aussi une certaine idée du gouvernement qu’il voulait pour elle. Surtout quant au président de la République. Il a été conseillé par les plus émérites juristes (R. Capitant par exemple). Mais il avait son idée. Si ce régime dure encore c’est parce que, au-delà des schémas constitutionnels classiques, « il est à la fois parlementaire et à la fois présidentiel » comme aimait à le présenter son père fondateur.
Bien entendu la façon dont présida le général rompit avec ses prédécesseurs. Il ponctua sa présidence de gestes forts. Ainsi le référendum fut une procédure privilégiée. Comme nous l’a confié un jour l’amiral de Gaulle : « en quelque sorte mon père fut élu par référendum ». On lui reprocha le côté plébiscitaire. En 1962 on crie au viol de la Constitution quand il instaure l’élection du président de la République par le peuple. Le fait que ce dernier valide à une écrasante majorité la réforme, clôt tout débat. Et lorsque le plébiscite échoue (1969) le général quitte le pouvoir sans autre forme de procès. Y a-t-il plus démocratique ? Tout part du peuple, tout revient au peuple s’exclama-t-il souvent.
Ce sont deux mandats que le général exerça à la tête du pays. Durant son premier (1958-1965) il dut être assez autoritaire sur certains sujets pour bien ancrer les nouvelles institutions notamment et imprimer sa marque aussi. Mais il fut aussi un grand visionnaire avec la décolonisation. « Qui a jamais cru que le général de Gaulle, étant appelé à la barre, devrait se contenter d’inaugurer les chrysanthèmes ? » déclare-t-il en 1965 à l’aube de son second mandat. Le « domaine réservé » était sa chose. Les grands axes diplomatiques de la nouvelle politique de la France, il est le premier à les fixer. Si l’on osait, on dirait « France is back » ! Ses successeurs, à quelques inflexions près, n’ont surtout rien changé. En cela, ils ont été, au moins jusqu’à J. Chirac, plus ou moins gaullistes. Comme nous le confessa Bernard Tricot (secrétaire général de l’Elysée de 1967à 1969), le général prit plus de recul avec la politique intérieure durant son second car, même s’il ne l’appréciait pas outre-mesure, il faisait toute confiance à G. Pompidou et avait, en quelque sorte, ancré le régime.
A la vérité, le général de Gaulle ne s’embarrassa pas vraiment d’idéologie. Les mots en isme, il ne les prisait guère. C’est l’homme des circonstances. C’est le stratège. D’une grande capacité d’adaptation et de réaction. Un des traits forts du gaullisme c’est le rassemblement des hommes et le dépassement de la logique des partis. C’est surtout, toujours et encore, sa certaine idée de la France. Point d’idéologie là-dedans. Et puis il a une passion forte et un respect immense pour son pays et son peuple. Le seul chez qui on pourra retrouver un peu de cela c’est J. Chirac. Est-ce un hasard si ce sont les deux présidents préférés des Français ?
Alors après le départ du général en 1969 que devient le gaullisme ? Pompidou essaiera tant bien que mal de maintenir selon nous jusqu’à l’automne 70. Mais le gaullisme est mort avec son incarnation unique et inimitable, qui s’éteint le 9 novembre 1970 à La Boisserie, commune de Colombey-les-Deux Eglises.
A notre sens le dernier homme d’Etat gaulliste que la France ait connu, fut le regretté Philippe Séguin (décédé en 2010).
En lui préférant le libéral A. Juppé pour Matignon en 1995, J. Chirac reniera une grande partie de l’héritage.
Après tout on se ralliera bien volontiers à son fils l’amiral de Gaulle lorsqu’il estime : « C’était un être unique, sans successeur ni prédécesseur ».
On ne saurait conclure ici sans constater qu’aucun des candidat(e)s de droite ou d’extrême droite à la présidentielle 2022 n’est légitime à se prévaloir de l’Homme du 18 juin. Pourtant ils essayent toutes et tous. C’est souvent pour masquer la vacuité de leur projet. Et pour certain(e)s cette noble référence a, dans leur bouche, des relents nauséabonds……
Raphael Piastra
Maitre de Conférences en droit public des Universités