Dans la même journée, on apprend qu’Emmanuel Macron a décidé de réduire de 50 % les visas accordés à l’Algérie et au Maroc, que Marine Le Pen sort de son silence et présente son plan « immigration » lors d’une conférence de presse, et que Manuel Valls, dans une tribune publiée dans Le Figaro, dénonce l’échec des politiques d’intégration, affirme que l’immigration africaine et maghrébine favorise les communautarismes, que nous n’avons pas besoin de nouveaux immigrés, et qu’il faut donc restreindre le droit d’asile, instaurer des quotas pour l’immigration économique, et suspendre le regroupement familial et les mariages, quitte à s’opposer à la CEDH et à la CJUE… Autant dire, un big bang politique ! Comment croire qu’Eric Zemmour n’est pour rien dans ce retour salvateur vers le réel ?
Toute la classe politique s’indigne ou s’inquiète de la progression d’Eric Zemmour dans les sondages. Une chose est certaine : tous le prennent désormais au sérieux. Le dernier sondage Harris Interactive qui place l’éditorialiste à 13 %, juste derrière Xavier Bertrand (14 %) et Marine Le Pen (16 %) marque non seulement une progression nette des intentions de vote mais également une possible « bascule électorale » d’ici un mois ou deux – i.e. une sorte de fracture soudaine d’une large part de l’électorat RN, jusque-là sceptique vis-à-vis du candidat non déclaré mais qui pourrait le rallier si les sondages montraient qu’une dynamique était enclenchée, qu’une place pour le second tour de la présidentielle devenait envisageable, et que la nécessaire recomposition idéologique et politique du camp « national » était à l’œuvre.
Quelles conséquences à cette inquiétude généralisée ? Elle a fait bouger les lignes du régalien en un temps record, comme aucun autre évènement politique ou sociétal récent n’en a été capable. Ni les images/reportages du basculement civilisationnel engendré par une immigration extra-européenne non maitrisée. Ni les chiffres relatifs à l’accroissement de la violence au sein des communautés immigrées, qu’elles soient maghrébines, tchétchènes ou africaines. Ni les tribunes des intellectuels. Ni les études chiffrées des Instituts, telles que le dernier rapport de France Stratégie. Ni le regard artistique, cinématographique, du film Bac nord, posé sur une réalité qui gangrène des villes comme Marseille, et que les responsables politiques et médiatiques refusaient lâchement de voir jusqu’alors.
Eric Zemmour a été le catalyseur médiatico-politique de l’ensemble de ces approches.
Il cite aussi bien les chiffres de l’Insee que Bac nord ; il rappelle avec la même précision les analyses de l’immigration au XIXème siècle évoquées par l’historien Pierre Milza que les données du ministère de l’Intérieur. Du fact checking ? Quand le démographe Hervé le Bras s’essaie maladroitement à une critique des chiffres évoqués par Zemmour, les fact-checkers du Figaro donnent raison à l’éditorialiste. Idem lorsque Zemmour évoque la stabilité de la composition démographique française entre les IXe et XIXe siècles, brisant ainsi le mythe d’une France « terre d’immigration », où il rencontre l’assentiment de l’historien Pierre Vermeren et de la démographe Michèle Tribalat.
Ses propositions ? Mise à part celle sur les prénoms, qui clive fortement, elles sont loin d’être radicales. Assez peu nombreuses pour le moment, elles recoupent assez largement les mesures annoncées par certains candidats LR, tels qu’Eric Ciotti (rétablissement du droit du sang), voire dans certains cas Xavier Bertrand ou Valérie Pecresse, et désormais même Manuel Valls en ce qui concerne la fin du regroupement familial ou la maîtrise du droit d’asile.
Bref, le phénomène Zemmour est intéressant à analyser parce que sa radicalité n’est pas à proprement parler « politique » ; elle est « intellectuelle ».
S’il avait été politiquement radical, s’il avait proposé des mesures très « dures », très « droitières », les responsables politiques les auraient disqualifiées facilement – comme pour les prénoms – et n’auraient pas bougé leurs lignes d’un pouce. Mais c’est sur la démonstration historique et sociologique qu’Eric Zemmour est radical, une démonstration qui s’appuie sur des faits chiffrés officiels et sur des œuvres historiques adoubées par l’establishment. Difficile d’aller contre dans ces conditions pour des responsables politiques qui n’ont pas le bagage intellectuel nécessaire pour les discuter, les contester, les réfuter et, in fine, proposer une analyse alternative. Difficile d’aller contre également quand les électeurs sont poussés à lui faire confiance, estimant (peut-être à tort) que s’il fait à ce point le bon constat au sujet du problème migratoire et civilisationnel, alors il aura probablement aussi les bonnes réponses pour le solutionner. Il est plus facile de reconnaître ses torts – à l’instar de Manuel Valls ; de corriger le tir à la dernière minute – à l’instar d’Emmanuel Macron ; et de durcir le ton et ses propositions – à l’instar des candidats LR. C’est ainsi, alors qu’on ne s’y attendait pas, que le phénomène Zemmour a fait bouger, en un claquement de doigt, toutes les lignes de la politique régalienne française…
Frédéric Saint Clair
Photo : Frédéric Legrand – COMEO