Il y a des hasards du calendrier qui ressemblent à des plaisanteries de scénaristes. Ce matin, Donald Trump a déclaré que Gaza pourrait devenir « la Côte d’Azur du Moyen-Orient ». Ce même jour, en France, sort le cinquième volet de la saga Les Tuche, cette famille haute en couleur, oscillant entre naïveté touchante et génie burlesque. Or, à bien y regarder, le président américain tout juste installé à la Maison Blanche pour un nouveau mandat semble s’être donné pour mission de rivaliser avec Jeff Tuche dans l’art de la saillie improbable. Et la saga Trump de l’outrance, fil rouge de son deuxième mandat, comble de l’incroyable, met en ligne un épisode par jour !
S’imaginer que Gaza pourrait se muer en station balnéaire façon Monaco, alors qu’elle vient d’être ravagée par des mois de bombardements et qu’elle demeure l’épicentre d’un des conflits les plus insolubles du XXIe siècle, relève de la même logique que de croire qu’un ticket de loto peut vous transformer en chef d’État. Le parallèle avec la déclaration Balfour de 1917, qui promettait un foyer national juif en Palestine sans se soucier des populations locales, accentue encore l’absurdité de la sortie de Trump : à l’époque déjà, on traçait des plans sur des cartes sans s’encombrer du réel.
Trump, thèse et antithèse de Jeff Tuche
Ce qui relie Jeff Tuche et Donald Trump, au-delà du prénom – l’un l’a donné à son fils « Donald coin coin » et l’autre le porte – et de leur tendance à tordre le réel, c’est leur capacité à infliger un camouflet aux institutions élitistes. Ces personnages improbables et ineffables sont, chacun à leur manière, la figure du parvenu qui dérange l’ordre établi, forçant les bastions du pouvoir à composer avec eux, qu’ils le veuillent ou non.
Jeff Tuche, dans son ascension burlesque, ridiculise une méritocratie qui peine à comprendre la France populaire. Son rejet viscéral du capitalisme financier et des institutions rigides fait écho aux franges de la population française qui voient dans l’ascenseur social une machine grippée, réservée à une élite qui méprise leur mode de vie et leur vision du monde. En cela, il devient un héros malgré lui, bousculant un système qui, par réflexe, rejette les influences trop socialisantes et égalitaristes.
Trump incarne l’exact opposé : la réussite bling-bling, ostentatoire, la vulgarisation du capitalisme dans ce qu’il a de plus outrancier. Mais c’est précisément ce qui le rend insupportable aux élites américaines traditionnelles, pour qui la réussite doit être feutrée, patinée d’une légitimité intellectuelle et d’un raffinement issu des meilleures écoles. En s’imposant comme l’archétype du self-made-man sans complexe, en méprisant les codes de Washington et de la diplomatie classique, Trump a imposé par deux fois à l’establishment américain un affront semblable à celui que Jeff Tuche inflige aux grandes institutions françaises.
Mais là où Trump et Tuche se rejoignent le plus, c’est dans leur capacité à déjouer les pronostics.
Une Côte d’Azur pour qui ?
À la différence de notre Jean-Paul Belmondo du terroir, qui regarde le capitalisme avec une suspicion quasi mystique, Trump en est l’incarnation la plus caricaturale. Son rapport au monde repose sur une diplomatie purement transactionnelle, où tout territoire, tout peuple, tout conflit devient une affaire de deals, de rentabilité, de rendement. Dans sa vision, Gaza n’est plus qu’un terrain à viabiliser, une station balnéaire en devenir, une plage où l’on pourrait peut-être, un jour, siroter un cocktail sous le regard bienveillant des fonds d’investissement. Peu importe que le droit international rappelle que les peuples ont encore—du moins en théorie—le droit de disposer d’eux-mêmes.
Dans son imaginaire de promoteur immobilier, Trump transforme les armes livrées aux Israéliens en dollars aux porteurs de projets touristiques palestiniens. Son rêve éveillé dessine sans doute déjà des grues et des gratte-ciel bordant la Méditerranée, de golf et de casinos clinquants attirant une clientèle fortunée, des paquebots accostant dans un Gaza transformé en Dubaï miniature.
Mais à qui appartiendrait ce paradis ? À ceux qui y vivent depuis des générations ou à ceux qui sauraient en faire un produit d’appel pour investisseurs ? Derrière la farce, il y a un effacement—celui des peuples, de leur histoire, de leurs droits.
Une fiction où les gagnants écrivent l’histoire
Jeff Tuche, dans ses élans burlesques, bouleverse l’ordre établi mais ne le détruit pas. Il s’y fraye un chemin, maladroitement, avec l’innocence de celui qui ne comprend pas toujours les règles du jeu, mais qui finit par les tourner à son avantage sans faire trop de dégâts. Trump, lui, ne joue pas : il rase, il bétonne, il revend. Il ne cherche pas à s’intégrer dans les codes existants, il les transforme en actifs, en parts de marché. Quoi qu’il en soit, la prochaine question qui doit nous tarauder est la suivante : Trump s’arrêtera-t-il à Gaza ? Est-ce le seul territoire où il affirme ses ambitions de créer une autre forme de réalité? Les Américains assistent déjà aux débarquements coordonnés des troupes de son ami Elon, dormant sur des lits de camps dans le cœur même des administrations qu’ils souhaitent écraser sous leurs bottes. La Côte d’Azur façon Trump se dessine à Gaza à grand coup de déclaration médiatique, et elle coule le bêton de ses actions concrètes, non pas à l’autre bout du monde, mais dans l’espace des grands lieux du pouvoir fédéral américain.
Jacky ISABELLO
Fondateur du cabinet Parlez-moi d’Impact