« Que veulent les étudiants ? Détruire ce qu’ils ont sous la main, c’est-à-dire l’université »1 déclarait Pompidou en 1968. Cinquante-cinq ans après, une poignée d’étudiants remet le couvert. L’occupation de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, n’est pas, comme certains l’affirment, rappeler le temps des manifestations contre la guerre du Viet-Nam. C’est au contraire le résultat d’une lente incubation intellectuelle qui a débuté au milieu du XXème siècle.
Des Non-Alignés aux alignés de l’islamisme
En 1941, Ivan Maïsky, ambassadeur soviétique à Londres déclare à Chaïm Weizmann, futur premier président de l’Etat d’Israël « si la Russie Soviétique veut s’intéresser au futur Moyen-Orient, il est évident que les Juifs avancés et progressistes de Palestine représentent plus de promesses pour nous que les Arabes retardataires contrôlés par des cliques féodales »2. Une phrase que l’extrême gauche aurait tendance à mettre sous le tapis. L’URSS première puissance à reconnaître l’Etat d’Israël espère alors faire de l’Etat Juif un de ses satellites. Mais 1956, une an après la Conférence des Non Alignées où Nasser se positionne comme leader panarabe contre Israël, intervient la crise de Suez provoquant l’intervention militaire des Britanniques et des Français. L’Union Soviétique inspiratrice des Non Alignés se rapproche de l’Egypte, rompt définitivement avec Israël et se positionne dans cette région, en pleine guerre froide, comme l’adversaire des Etats-Unis. Le tiers-mondisme avec la guerre d’Algérie comme symbole, trouve dans l’antisionisme son abcès de fixation.
Le Tiers-Monde a nourri la gauche autant que l’extrême-gauche.
D’un côté les faibles, de l’autre les forts ; d’un côté les victimes de la colonisation, de l’autre les affameurs impérialistes américains. Au cœur de ce mode discursif les rôles étaient non seulement attribués, mais irréversibles. Israël en adoptant un travaillisme social-démocrate sortait définitivement du giron soviétique. Deux gauches se font face : l’une social-démocrate, pro-européenne et favorable à une économie « libéralisée » dirai-je et une gauche communiste inféodée à Moscou. La première se rangera derrière le parapluie américain, la seconde résolument ancrée dans le camp arabe quitte à soutenir les mouvements les plus radicaux3. Le monde arabe s’est nourri de cette fracture. Mais l’hostilité envers Israël ne tient pas seulement à des clivages idéologiques ou géopolitiques. La visite de Sadate à Jérusalem en novembre 1977 a été une onde choc dont les répercussions positives ont été brutalement parasitées par la prise du pouvoir par Khomeini en 1979. La théocratie islamique, régime totalitaire s’il en est, fait de la cause palestinienne un point de fixation qui masque à peine sa haine des Juifs en général et d’Israël en particulier.
Par ailleurs, la « cause palestinienne » est une excellente propagande opérée par le monde arabe pour anesthésier leurs populations plongées dans la misère et soumises aux pires dictatures.
L’islam radical saura tirer largement profit pour conforter ses propres intérêts de domination islamiste dans tout le monde arabe. Deux faits marquants : assassinat de Sadate par les Frères Musulmans (1991), assassinat du président algérien Mohamed Boudiaf par un islamiste du Front Islamiste du Salut (1991). L’assassinat de Rabin en 1995 par un juif ultra-orthodoxe enfonce plus encore la région dans une spirale infernale. Singulière ironie de l’histoire, les fondamentalismes religieux ont formé une monstrueuse union sacrée dont l’objectif reste toujours et encore de tuer la paix.
1995- 2024 : faites la guerre, pas la paix.
Hormis quelques soubresauts de gauche, l’électorat israélien marque franchement un virement à droite. Dès les années 2000, les Israéliens d’origine russe (récemment sortis de l’ex-URSS) représentent entre 15 et 18% de la population. Nourris par un idéal de libéralisme économique ils votent plutôt à droite. Quant aux ultra religieux ils marquent clairement leur refus des Accords d’Oslo. Par ailleurs, une large partie de l’électorat israélien dont les familles sont originaires de pays musulmans, sont par ailleurs un réservoir idéal pour le Likoud, (droite) et des petits partis religieux à l’extrême-droite.
Cette digression n’est pas inutile, car, dans ce pays farouchement démocratique mais régi par un système électoral à la proportionnelle à un tour, l’éventualité d’une majorité absolue à la Knesset (parlement israélien) est impossible. Les majorités se faisant grâce à des coalitions avec les petits partis ultra-religieux. Cette situation politique intenable qui favorise des liaisons dangereuses comme c’est le cas avec l’actuel gouvernement. Le Hamas et le Hezbollah, deux mouvements islamistes inféodés à l’Iran n’ont de cesse de construire leur communication internationale sur l’extrême droitisation du gouvernement israélien et de ce fait à en faire aux yeux de la gauche occidentale le responsable d’une situation désormais inextricable, autrement dit de renvoyer la responsabilité à Jérusalem. Et cette communication marche si bien, qu’aujourd’hui, plus de six mois après le massacre du 7 octobre, le Hamas téléguidé par des organisations puissamment implantées en Europe tire les marrons du feu en faisant admettre l’idée que ce massacre était « un acte de résistance »
L’antisionisme, faux nez de l’antisémitisme.
On peut être anti-israélien, autrement dit critiquer un gouvernement d’Israël. Mais être antisioniste implique la négation même d’Israël, autrement agir en génocidaire. La haine diffuse qui sort des gorges islamo-gauchistes n’a rien d’une vomissure verbeuse. Les mots sont choisis, les mises en scène travaillées et la médiatisation maîtrisée. Le Juif est nazifié au sens où on lui renvoie Gaza comme un nouveau ghetto de Varsovie. Les Juifs du monde entier accusés de soutenir un Israël où règnerait l’apartheid, c’est finalement le même discours que Hitler pour qui la juiverie internationale est cause de tous les maux. Les islamistes manipulent les foules avec un art consommé du machiavélisme. Sur les campus hurlés en anglais ou en Français, les mêmes slogans, les mêmes haines antijuives, les mêmes tenus vertes (couleur de l’islam), les mêmes keffiehs rouge et blanc (comme celui porté par le porte parole du Hamas). Et toujours des islamistes qui se frottent les mains espérant bien qu’à force, le monde sera Judenfrei.
La gauche occidentale en soutenant les islamistes ne fait que se tirer une balle dans le pied.
La gauche entend écrire l’Histoire selon l’Evangile woke. En soutenant les islamistes, en fermant les yeux sur leur entrisme et en refusant de croire à un choc des civilisations, la gauche a quitté les valeurs laïques des Lumières pour sombrer dans la nuit islamo-gauchiste. Le 7 octobre n’est plus qu’un « fait divers » tandis que la riposte israélienne, pour cette gauche lobotomisée, est de nature génocidaire. « Free Palestine from the river to the sea » est leur réponse, un slogan autrement plus génocidaire puis qu’il appelle à l’éradication pure et simple d’Israël et du peuple juif là où il se trouve.
Le wokisme, la nouvelle écriture sainte de la gauche.
Dans les universités françaises, américaines et beaucoup de campus européens on est frappé par l’étonnant synchronisme du déroulé des manifestations pro-Gaza comme si tout cela avait été organisé en haut lieu. La France, la Grande-Bretagne et la Belgique sont particulièrement touchées par un entrisme qui dépasse toute imagination en matière de stratégie. Si on ajoute le mouvement woke visant clairement à la déconstruction de nos valeurs fondamentales, et, plus encore, un enseignement supérieur davantage préoccupé à défendre ses propres conceptions idéologiques que de promouvoir un enseignement fondé sur l’esprit critique, force nous sera de constater qu’on glisse vers une société orwellienne dont la lobotomisation cérébrale est le mur porteur.
Selon le principe où les derniers de la classe seront les premiers dans la rue, difficile de passer sous silence que bon nombre d’excellents et très méritants élèves issus de l’immigration « cachent » leur désir de sortir du lot par leur travail. Ce goût de l’effort n’est pas celui des islamistes pour qui un être intelligent est forcément un adversaire. Ces jeunes dont personne ne parlent, à peine soutenus par des enseignants sont généralement vus comme étant à la solde des Blancs, accusés d’épouser la culture occidentale en réfléchissant avec un dictionnaire plutôt qu’avec un Coran.
L’extrême gauche renoue avec ses vieux démons antisémites.
Selon un sondage IPSOS d’avril 2023, 41% des jeunes de 18-24 ans adhèrent aux théories complotistes. La médiatisation extraordinaire des conflits qui enflamment la planète sont du pain béni pour les complotistes 4. Chez La France Insoumise, le discours « riches contre pauvres » se cristallise dans le conflit israélo-palestinien. L’excrétion d’Israël et le rôle des Juifs rappelle l’antienne du Juif Riche et exploiteur face à la misère gazaoui. Une façon à peine masquée de reprendre le discours nazi qui, avec le Protocole des Sages de Sion, un faux notoire, met en avant le juif cosmopolite en qui on ne peut pas faire confiance5. La France Insoumise se nourrit du complotisme pour argumenter un discours antisioniste, faux nez d’un antisémitisme atavique à l’extrême gauche depuis Jules Guesde jusqu’à Mélanchon.
La manipulation dans tous ses états
Devant les caméras, une poignée d’agitateurs font le « buzz » Ce qu’il montrent comme un symbole du sang gazaoui en se peinturlurant les paumes de leurs mains n’est rien d’autre que l’image d’un palestinien venant de lyncher deux Israéliens en 2000 devant une foule ivre de violence. Première transgression. Pas plus que ce rouge-sang est à leurs yeux le symbole des jeunes raveurs, aussi âgés qu’eux, massacrés par le Hamas. Pas plus, toujours à leur yeux enténébrés, qu’il est celui des centaines de milliers d’Algériens égorgés par les fous de Dieu, ou encore celui des centaines de jeunes gens assassinés par les Ayatollahs, pas plus que les centaines de milliers de civils tués au Soudan, et, mais la liste n’est pas exhaustive, les victimes de ces guerres tribales qui, du Sahel à la Libye portent la marque des islamistes. Cette jeunesse là, a le « sang sélectif et le voile facile » Normal : on leur demande de bouffer du juif, pas de dénoncer les crimes islamistes.
Les agitateurs de la rue Saint Guillaume se sont fendus d’une manifestation islamiste, pro-iranienne, antisémite et raciste anti-Blanc. Ce devrait être suffisant pour lancer une procédure d’apologie à la haine raciale, mais au lieu de cela, les administrations universitaires font le dos rond, en tentant d’éteindre l’incendie avec des circonlocutions irresponsables.
Suite à l’occupation des locaux de Science Po, Valérie Pécresse a décidé de suspendre les subventions à la prestigieuse école. Autant punir l’immense majorité silencieuse des élèves et permettre à une poignée d’individus de n’être inquiétée d’aucune sanction disciplinaire. LFI pourra ainsi se régaler en accusant la Région Ile de France de saborder le fonctionnement de la prestigieuse école. Je prends acte que le président Macron n’est pas tombé dans ce piège.
La gestion désastreuse de Sarkozy et ensuite de Hollande.
De 1996 à sa mort en 2012, Richard Descoings officie aux destinées de l’Institut d’Etudes Politiques. Nommé par Juppé, reconduit par Sarkozy puis par Hollande, ce haut fonctionnaire a travers tous les régimes avec une seule idée en tête : ouvrir l’école à davantage d’élèves. En concertation avec Nicolas Sarkozy, il met en place un dispositif pour permettre aux élèves des Zones d’Education Prioritaire d’accéder plus facilement à Science Po. Bonne idée au demeurant si ce n’est que les conditions d’accès notamment en ce qui concerne le niveau des élèves est clairement facilité par rapport au concours très sélectif imposé aux « autres » élèves. La médiocratie l’emportant ainsi sur la méritocratie. En 2009, Richard Descoings persiste et signe en supprimant le concours d’entrée à Science Po ainsi que l’épreuve de culture générale, ce qui accentue encore la baisse de niveau.
Une jeunesse malléable et corvéable à merci.
Le fait est que les jeunes vont mal. L’usage en hausse des drogues psychotropes, moyen pour le moins artificiel de s’échapper d’une réalité oppressante est un signe flagrant de mal-être. Par ailleurs, une Europe affairiste, une classe politique qui ne veut pas les entendre, autant de raisons pour que l’extrême-gauche voit en eux une proie facile.
D’autre part, l’emprise du discours islamiste sur cette jeunesse n’est pas illogique. Comme dans les prisons, comme dans les cités percluses de chômage, l’hydre islamiste à travers ses associations trompe-l’œil recrute dans les université les éléments les moins assidus au travail, ceux qui risquent sans doute d’être laissé sur les bas-côtés de la réussite sociale. Le conflit de Gaza leur offre un sentiment illusoire d’existence en jouant aux « combattants palestiniens » au cœur de St Germain- des-Prés. Un phénomène qu’il serait intéressant d’étudier sur le plan psychanalytique.
L’esprit critique assassiné.
Peu ou prou, l’enseignement supérieur ne finit pas d’en découdre avec Mai 1968. Cinquante-cinq ans, après avoir déconstruit le rôle même du maître vis-à-vis de l’élève, après avoir contesté l’idée selon laquelle c’est le professeur qui apprend aux étudiants et non l’inverse, enfin au lendemain d’un système universitaire particulièrement poreux aux idéologies de la cancel culture, nous nous trouvons devant une problématique inquiétante. Au lendemain du bac, plusieurs dizaines de milliers de jeunes entrent chaque année dans le circuit universitaire. Pour beaucoup, ils ne maîtrisent ni les fondamentaux du français ni une langue étrangère, 6 sans oublier une quasi totale absence d’esprit critique. Le sens du débat est désormais éclipsé par l’imposition des idées, et celui qui oserait ne fût- ce que demander un débat contradictoire sur tel ou tel sujet serait vite taxé de « fasciste ».
Orwell est décidément immortel.
Michel Dray
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- Déclaration à la tribune de l’Assemblée Nationale, 14 mai 1968. ↩
- Histoire du sionisme, Walter Laqueur Tome 2, (Tel-Gallimard) ↩
- Serge July, Michel Foucault adoubent publiquement le régime de Khomeini en 1979. ↩
- François Petitjean in « la Tentation Complotiste » revue lecontemporain.net ↩
- À lire l’article de P.A. Taguieff « comment le pseudo-antiracisme conduit au racisme », Revue Parlementaire Web. ↩
- C’est si inquiétant qu’il existe à l’intention des cadres d’entreprise parfois grandes, des stages de mise à niveau de français et d’orthographe. On ne compte plus en effet les courriels bourrés de fautes. ↩