En mai dernier, Carole Delga demandait aux sociétés d’autoroutes de rendre les péages gratuits cet été afin de soutenir le secteur du tourisme. Dans un récent sondage, « Les Français et la gratuité des péages d’autoroute cet été », 86 % jugent la proposition de la présidente de la région Occitanie une « bonne chose ». Réaction de Jacky Isabello, cofondateur de l’agence Coriolink.
Imaginez-vous un temps dans le costume du patron d’une grande société d’autoroutes. Cette activité dont on raconte systématiquement qu’elle génère des bénéfices indécents en omettant de souligner la qualité exceptionnelle du travail réalisé par les agents des différents réseaux, ce qui fait de nos autoroutes les voies de transport les plus sécures d’Europe. Alors que nous venons de vivre l’une des crises, sous la forme de cette pandémie, les plus improbables, personne ne vous ferait grief d’anticiper la prochaine catastrophe qui pourrait vous tomber sur le crâne. A ce titre, vous seriez attentif à une résurgence de la colère en jaune, c’est-à-dire un retour du mouvement des « gilets jaunes » dont l’acrimonie s’est lourdement abattue sur de très nombreuses sections à péages alternant au mieux les opérations péage gratuit, au pire des dégradations intolérables. Or, vous venez d’être désigné comme thème de prédilection du concours Lépine des acteurs économiques à dépouiller. Carole Delga, présidente socialiste de la région Occitanie depuis 2016 et ancienne secrétaire d’Etat chargée du Commerce (2014-2015), a demandé aux concessionnaires de rendre gratuit l’accès aux autoroutes pendant tout l’été, dans l’idée d’aider aux départs en vacances et à la relance du secteur touristique. La réponse des autorités publiques ne s’est pas faîte attendre. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’Etat aux Transports, a estimé la proposition : « ni réaliste, ni souhaitable d’exiger cet été la gratuité des péages auprès des sociétés d’autoroutes. Cette position, on le comprend bien, est un peu politique, a-t-il expliqué au micro de BFMTV. Sur le plan pratique et contractuel, elle est assez inopérante. ».
Le sondage réalisé par l’IFOP pour le compte de Fiducial et Sud Radio révèle que les Français jugent sans surprise favorablement cette proposition de Mme Delga à 86 %.
A près de 80 % ils estiment « réaliste » de prendre l’argent où il se trouve compte tenu : « de la bonne santé financière des autoroutes ». Toutefois nos compatriotes sont conscients de la dimension démagogique de l’assertion de l’ancienne ministre de François Hollande : ils sont 63 % à l’estimer.
Alors que les sociétés d’autoroutes négocient une rallonge de leurs concessions en promettant de rénover des axes à la place de l’Etat, voilà une publicité dont elles se seraient bien passées. Sanef préfère proposer par exemple de moderniser la section gratuite de l’A1 à la place de l’Etat avant les Jeux olympiques de 2024, en échange d’une durée d’exploitation rallongée. Dans un article du 27 juillet 2019 le quotidien Le Monde rappelle que : « le mouvement des « gilets jaunes », en s’attaquant aux péages, a réveillé la polémique sur la privatisation des autoroutes, dont les conditions ont été dénoncées à plusieurs reprises par la Cour des comptes et des rapports parlementaires. En avril, la juridiction financière soulignait encore, dans un sévère référé, la « faiblesse » des pouvoirs publics face aux sociétés lors de la négociation des différents plans de relance autoroutiers et la tendance à une « surcompensation » de leurs investissements par des allongements trop généreux de leurs concessions. »
Dans ce contexte, il est difficile pour le gouvernement d’assumer une décision politique qui pourrait être interprétée comme un nouveau « cadeau » aux sociétés d’autoroutes.
Ou est-ce aux sociétés d’autoroutes, désormais sous la surveillance publique et médiatique la plus serrée, de saisir la balle au bond lancée par Madame Delga et de faire preuve d’une grande générosité pour s’offrir ce qu’il y a de plus inaccessible à une grande entreprise, la ferveur et la reconnaissance du peuple français !!!
Jacky Isabello
Cofondateur de l’agence Coriolink
Photo : Pixavril, Shutterstock