Paradoxalement, alors que l’attention des français se concentre sur la chute du pouvoir d’achat due, notamment, à l’augmentation forte et continue des prix de l’énergie depuis au moins un an et à l’inquiétude créée par la guerre en Ukraine, la question de l’impôt sur les héritages revient à l’ordre du jour.
Le fait peut sembler d’autant plus étonnant que, pour une grande partie de la population, la question ne se pose simplement pas parce que depuis des générations, il n’y a pas d’héritage dans la famille ou si peu, si l’on en croit les données de l’INSEE qui font état de 37 % d’héritiers en France. Pourtant, un autre « héritage » mériterait un examen plus approfondi, celui que va laisser Emmanuel I à son successeur potentiel, Emmanuel II.
Particulièrement mal élu en 2017 avec seulement 18 % des voix des inscrits au premier tour (24 % des votes exprimés), l’actuel occupant de l’Élysée se voit gratifié par les sondeurs d’une possible réélection avec 30 % des exprimés au même tour, compte tenu d’une abstention accrue qui réduirait ce pourcentage à 17 % des inscrits, soit tout juste en dessous du résultat de 2017. Comme le nombre des candidats reste stable (11 en 2017, 12 en 2022), il n’y aurait donc pas de quoi pavoiser si cette hypothèse était confirmée le 10 avril. Cela sans compter que le nombre des citoyens mal ou pas inscrits s’élève à 9,5 millions, soit quasiment le même nombre que celui de ceux qui déclarent voter pour ce candidat ; ce qui, ajouté aux votes nuls et blancs, ferait que le potentiel vainqueur final de cette élection serait choisi par moins de citoyens que ceux qui n’auraient pas exprimé de choix, pour une raison ou pour une autre.
Le Président du Sénat a donc bien raison de s’interroger sur la légitimité d’un tel futur « élu »… Autrement dit, à partir de quel pourcentage de votes recueillis représente-t-on vraiment la population ? Ou, à l’inverse, n’existe-t-il pas un seuil en dessous duquel l’élection ne serait plus légitime ? Imagine-t-on, en démocratie, un élu doté de tels pouvoirs (fondés ou accaparés…) qui ne serait choisi, au premier tour, que par une si faible part des citoyens ? Comme on l’a constaté en 20201 : « Dans les villes de plus de 100 000 habitants, seuls 18 % des inscrits en moyenne ont voté pour la liste victorieuse. Un chiffre qui descend sous la barre des 15 % à Lille, Nîmes, Amiens, Dijon, Marseille ou Clermont-Ferrand » ; un examen plus approfondi donne même des chiffres inférieurs, jusqu’à 12 %… Est-on encore « légitime » avec de tels résultats ? Pour en revenir à l’élection présidentielle, laquelle est censée concrétiser la rencontre d’un individu avec le peuple, peut-on concevoir que rassembler moins de voix que le nombre de celles qui ne se portent sur aucun candidat suffit à légitimer cinq ans de mandat ?
Si la question se pose de manière si cruciale de nos jours, c’est bien parce que l’actuel Président n’a pas voulu, ni su, régénérer la vie publique du pays. Cela fait partie de son héritage.
L’éventuelle reconstitution du duel de 2017 n’est pas le fruit du hasard mais d’un lent et permanent mouvement accompagné, sinon orchestré, par une classe « politico-médiatique » qui trouve là le moyen de perpétuer un système qui lui procure un maximum d’avantages, tant en matière de pouvoir, d’influence, que de gains financiers. L’accroissement de la concentration des médias ainsi que l’augmentation spectaculaire des inégalités de revenus et de fortune en fournissent la confirmation indubitable. C’est une autre partie de l’héritage.
Comme l’est le manque de considération dans lequel le Parlement a été tenu ces dernières années, à tel point qu’un vice-président sortant issu de la majorité ne souhaite plus en faire partie. Tous les moyens ont été employés pour réduire le pouvoir législatif, jusqu’au recours accru aux ordonnances dont un nombre grandissant ne sont même plus soumises à ratification ultérieure et ce, grâce à une bienveillante jurisprudence du Conseil constitutionnel. Des pseudos lois sont ainsi substituées aux vraies, confinant le Parlement dans un rôle décisionnel de plus en plus réduit. Cette partie-là de l’héritage serait la plus aisée à corriger… mais le candidat à sa propre réélection a déjà proposé de restreindre le nombre des parlementaires et la durée de leurs sessions.
Au plan international, les discours présidentiels ont rarement été suivis d’effets concrets quand le comportement du pouvoir exécutif n’a pas agi contrairement à ses déclarations d’intention. Qu’on se souvienne seulement de l’été 2017 au cours duquel le pays a accumulé les erreurs à l’encontre d’un pays voisin et ami, l’Italie, en mettant à mal la reprise des chantiers de l’Atlantique au moment où l’on opposait un refus à l’accueil de bateaux de réfugiés venant de la Méditerranée, et que l’on organisait une rencontre destinée à régler (!) la question libyenne… hors de la présence du pays européen le plus concerné, de nos jours comme par le passé. Il fallut alors dépêcher des ministres à Rome pour renouer les liens qui avaient été distendus imprudemment. Au plan européen, les nobles objectifs ont été, pour la plupart, manqués, tel que celui de la présentation de listes européennes pour les élections au Parlement de Strasbourg. Que dire, hélas, de l’échec du développement d’une défense européenne digne de ce nom, même si, à l’étranger comme en France, trop d’inconscients ne prenaient pas, et persistent parfois encore à ne pas prendre, le risque extérieur au sérieux, malgré la preuve du contraire apportée par la Russie. Dans ce domaine propre aux compétences présidentielles, le bilan pèse lourd du côté négatif et altère, pour longtemps, la qualité de l’héritage.
En France, la désorganisation territoriale a été accrue par la combinaison de deux mouvements : l’un, par la diminution continue de la liberté fiscale des collectivités, critère essentiel de tout pouvoir politique réel – et que le candidat envisage de poursuivre en supprimant la part économique de l’ancienne taxe professionnelle, dite CVAE -, l’autre par l’accroissement de la complexité et de la confusion qui sera le fruit de la récente et laborieuse loi, dite 3DS. Là, il n’est même plus question d’héritage, puisque les français déclarent se désintéresser complètement de cette question – pourtant cruciale dans une démocratie vivante – selon les derniers résultats de l’étude menée par le Cevipof2 d’après lesquels on constate que « la répartition des compétences entre l’État et les territoires » (sic) ne préoccupe que 1 % à 2 % des français. »
Tels sont quelques uns des actes d’un quinquennat qui s’achève dans une ambiance délétère qu’il serait dangereux de n’attribuer qu’aux conséquences de l’épidémie ou de la guerre en Ukraine. La période a, en effet, été marquée par la conjonction de deux autres comportements tout aussi néfastes l’un que l’autre et qui pèsent lourd dans l’état de l’héritage. D’abord et dès le début de la période, par l’accumulation d’erreurs dans le choix des individus, qu’ils soient ministres ou proches du pouvoir exécutif. Quel membre du Gouvernement est parvenu à s’imposer par la qualité de ses prestations au point de marquer durablement son passage dans l’exercice du pouvoir ? À l’opposé, combien d’entre ces ministres ont dû quitter leurs fonctions du fait de leurs erreurs de comportement ou de leur évidente incompétence, quand ils n’ont pas choisi eux-mêmes d’en partir, du fait de leur désaccord sur la politique menée ? Ensuite -et comme on l’a déjà évoqué au plan international mais il en a été de même en politique intérieure-, la parole présidentielle a trop souvent été contredite par les actes pour qu’elle puisse encore être crue sans réserve.
Or, de tous temps et en tous lieux, les Grands hommes savent s’entourer des meilleurs pour mener à bien des actions concrètes, en accord avec leurs déclarations de principe. Et là, décidément, l’héritage se réduit à peu de choses…
Hugues Clepkens