Dans cette période de campagne présidentielle, il est troublant, et aussi dommage, qu’il ne soit pas vraiment question de l’avenir de la France, ni non plus de celui de la société française et du modèle de civilisation qu’elle incarne dans le monde.
Une France en péril
Du rang et de la place de la France, rien ou presque rien ! De la spécificité historique – et unique au monde – de cette France expression d’une volonté politique constante de construction millénaire, pas davantage ! Tout au plus, l’accent est mis sur la défense des valeurs de la République et de la France pour plus de démocratie, pour plus de justice sociale, pour davantage de respect du droit… Seule une minorité de candidats, sur la quinzaine de déclarés, ont insisté sur l’urgence de reprendre les accords européens pour réformer les institutions de l’Europe, se libérer des contraintes imposées, et résoudre le problème de l’emploi.
Or la France est en danger, et au rythme où elle s’affaiblit, elle ne pourra bientôt plus jouer son rôle ni dans le monde ni en Europe.
Personne ne s’en soucie et n’en mesure les conséquences, ni pour l’équilibre européen, ni pour l’équilibre mondial.
En effet, dans la situation de crise prolongée que connaît la France depuis exactement quarante ans, le plus grave n’est pas seulement l’arrêt du processus de croissance et de développement, ni non plus l’absence coupable (voire criminelle) de volonté politique réelle pour lutter contre un chômage endémique. Le plus grave, et le plus préoccupant maintenant, est que, depuis le tournant des années 2000, la France se vide de ses capacités : évasion de ses capitaux, évasion de sa jeunesse la plus qualifiée, évasion de ses activités les plus productives avec une disparition accélérée de ses capacités agricoles et industrielles, sans que rien de sérieux ne soit entrepris pour endiguer ce mouvement.
À cela, deux raisons bien distinctes, malheureusement liées et délibérément ignorées :
- en premier, le changement radical d’orientation de la politique de la France à partir de la nomination comme Premier ministre de Raymond Barre, le 2 janvier 1977, avec l’affichage d’une politique purement libérale de gestion des « grands équilibres fondamentaux », en opposition avec la tradition de volontarisme de l’action publique en France : l’effet de ce changement a été le renoncement à une politique sur objectifs de moyen-long terme et sur plans programmés pour corriger, orienter, dynamiser, et même compléter les forces insuffisantes du marché. Ce changement de pied dans la conception du rôle de l’État, en faisant de celui-ci un régulateur à la marge, intervenant a posteriori sans anticipation, a conduit à vider la politique économique de son contenu et, finalement, à la rendre inopérante comme la suite des événements a pu le montrer ;
- en second, le choix implicite – fait à peu près à la même époque – de réaliser l’Europe en référence au modèle fédéral américain unitaire et, par voie de conséquence, de nier la diversité des réalités économiques et sociales de la « vieille Europe », d’un pays à l’autre : l’adoption de ce principe de construction unitaire de l’Europe a en effet mis en contradiction – évidente et permanente – le projet européen avec la souveraineté des États-membres ayant chacun pour légitimité historique la défense de son modèle particulier de culture et de solidarité nationale. Sur le plan pratique, faute d’avoir fait les réformes préalables de structures, la mise en application de ce principe unitaire (avec des règles à respecter identiques pour tous) a abouti à mettre en compétition des systèmes économiques et sociaux restés différents et à organiser une concurrence biaisée, inégale, souvent injuste, et plus destructrice que porteuse de développement.
À partir de là, sous l’effet combiné de ces deux causes majeures, la France est entrée – à son détriment mais aussi paradoxalement à celui de l’Europe – dans un processus d’attrition de ses capacités politiques, économiques et sociales.
Cette attrition – qu’elle ait été consentie ou subie – va entraîner au fil du temps une modification des équilibres et des rapports de forces au sein de la « vieille Europe », en posant tout d’abord la question du leadership à exercer au sein de l’UE, celle ensuite de l’avenir de l’Europe face au reste du continent euro-asiatique, celle enfin du rôle à venir de la France dans ces différents espaces géopolitiques et par voie de conséquence de son redressement nécessaire.
Un processus d’attrition continu pouvant être mortel
Il est d’abord remarquable de noter que, concomitamment au recentrage de la politique économique sur la gestion des « grands équilibres fondamentaux », la situation de la France s’est rapidement dégradée.
Faute de politique économique adaptée à la situation de crise créée notamment par le quadruplement de la facture pétrolière, l’économie française est à l’époque passée non seulement à une inflation à deux chiffres mais surtout, d’un chômage qualifié de « frictionnel » de 325 000 chômeurs, à plus d’un million de personnes actives sans emploi dès 1981…, avec une chute significative de la croissance par rapport aux années antérieures.
Progressivement, l’économie s’est installée dans un état permanent de déséquilibres structurels, sur tous les fronts :
- sur le plan interne (dégradation des finances publiques, montée de l’endettement des ménages malgré le maintien d’un taux d’épargne apparemment rassurant),
- sur le plan externe (relèvement de la dette extérieure ; angoisse croissante sur l’équilibre de la balance commerciale du fait de la diminution – voire de la disparition – de nos capacités productives industrielles et agricoles).
Et ceci, malgré une chute – lourde de conséquences pour l’avenir – de l’investissement (FBCF net d’amortissement), de l’effort de recherche scientifique et technologique, et également de celui consacré à la défense ! Rappelons qu’en 1980 le budget des armées représentait 3,75 % du PIB et qu’il est aujourd’hui – net des recettes exceptionnelles – inférieur à 1,4 %.
Malgré l’évidence de résultats aussi négatifs, la pertinence des choix politiques effectués depuis 1977 n’a pourtant jamais été mise en doute. Non seulement les orientations prises à l’époque ont toujours été confirmées (sauf sur une brève période entre 1981 et 1983), mais de surcroît elles ont été présentées comme logiques et en accord avec deux facteurs déterminants de notre environnement extérieur : la mondialisation et la construction européenne.
En ce qui concerne la mondialisation, les vertus prêtées à ce phénomène ont justifié la confirmation d’un libre-échange libéré de toute contrainte règlementaire pour faciliter les relations commerciales (du moins jusqu’en 1994, date de création de l’OMC posant les premières bases – en termes de principes généraux à respecter – d’une organisation mondiale du commerce).
Parallèlement, la réalisation du projet européen sur un mode unitaire et fédéral, bien que se faisant par étapes (Acte unique, avec le passage du concept de marché commun à celui de marché unique ; Traité de Maastricht, avec l’adoption d’une monnaie unique ; mise en place enfin de l’UE, avec l’objectif de création d’un État fédéral unitaire), a consisté paradoxalement à imposer des règles uniques à un ensemble économique resté hétérogène et, dans le même temps, à organiser la vie de ce nouvel espace sur le principe de la libre circulation des biens et des personnes sans protection ni extérieure ni intérieure, en l’absence de mécanismes d’ajustement pour tenir compte de la différenciation des économies en présence.
De ce fait, que ce soit pour la France ou pour les autres pays de l’Union européenne, la mise en œuvre de ce nouveau modèle économique « mondialiste » et « ultra-libéral » n’a pas manqué de faire apparaître les effets suivants :
- transfert des activités les plus productives vers les pays les plus avantagés sur le plan compétitif (à savoir, par exemple en Europe l’Allemagne en premier) ;
- mise en œuvre concomitante de politiques de rigueur visant à réduire les coûts pour compenser les écarts de compétitivité entre pays ;
- diminution ou limitation des dépenses d’investissement sous toutes ses formes, en particulier des dépenses de recherche scientifique et technologique pourtant déterminantes pour notre avenir et pour la compétitivité à terme des entreprises ;
- par voie de conséquence et in fine, réduction des perspectives de croissance, au point de placer l’Union européenne au dernier rang des grands espaces économiques porteurs de développement.
De ce point de vue, l’euro – parce que monnaie unique – aura été un amplificateur des effets déflationnistes ci-dessus et de l’attrition des économies productives. En effet, dès lors que les écarts de coûts et de prix constatés entre les pays au moment du lancement de la monnaie unique n’ont pas été corrigés par la suite, la mise en circulation de l’euro a entraîné le gel automatique des positions des économies nationales les unes par rapport aux autres sur le plan de leur compétitivité respective. Partant, l’euro a justifié, de la part des agents économiques, des choix toujours plus favorables au profit des économies les plus compétitives. C’est le cas de l’Allemagne qui a bénéficié d’un effet de consolidation cumulative de son économie grâce à la reconduction d’année en année de l’avantage de compétitivité qui lui a été reconnu avec l’euro en 2000 (plus de 20 % selon les économies : la Grèce par exemple). La situation ainsi créée par l’euro aura permis à l’Allemagne de profiter de transferts d’activités venant d’autres pays européens comme la France, et à l’inverse elle aura eu un effet d’attrition sur les capacités de production des autres économies moins compétitives (en l’absence de révision des parités de départ de l’euro avec les anciennes monnaies nationales pour tenir compte des évolutions différentielles de pouvoir d’achat entre les pays depuis 2000). Ainsi, loin d’assurer l’équilibre et la stabilité des économies appartenant à la zone euro, la monnaie unique aura en fait contribué à augmenter les écarts et les inégalités entre pays-membres de l’Euroland.
En ce qui concerne la France, qui pourtant en 2000 souffrait d’un déficit de compétitivité moindre que les autres pays (de l’ordre de 8 à 10 %), les mêmes causes auront produit les mêmes effets avec, non seulement un affaiblissement général sur le plan économique et social du fait de l’insuffisance de la croissance, mais surtout une rétrogradation significative de puissance et de capacité notamment dans les domaines suivants : éducation, recherche scientifique et recherche technologique, industrie…
Ce recul est d’autant plus sensible que quarante ans auparavant la France était donnée en exemple et qu’elle était considérée dans tous ces domaines en position de numéro un au niveau européen.
En effet, alors que l’Allemagne a toujours plus ou moins dominé par son poids économique (avec un PIB total aujourd’hui de 40 à 45 % supérieur au nôtre, et de seulement 15 % à population équivalente), un écart spectaculaire s’est en revanche creusé entre les deux pays pour la partie marchande du PIB et le volume de la production industrielle. En quarante ans, la part du produit intérieur brut marchand dans le PIB total est passée en France de 70 à 40 %, certes parce que la sphère non-marchande a continué à croître mais surtout parce que la dynamique de développement des capacités de production marchande a été cassée en tant que telle1. Il suffit, pour s’en convaincre, de constater l’attrition continue de notre potentiel industriel y compris dans les hautes technologies où pourtant la France dominait sans conteste : nucléaire, aéronautique et espace, électronique, électricité… Une entreprise comme EDF, référence mondiale il y a encore vingt-cinq ans pour ses performances techniques et ses prouesses pour financer son développement, est, avec Areva qui lui est étroitement liée, l’illustration même de cette histoire malheureuse.
Ce qui est vrai pour la France, l’est également pour une grande partie de l’Union européenne au moins pour ce qui en est des dix dernières années. La plupart des pays qui la composent, s’enferrent dans une crise qui n’en finit pas et dont surtout on ne voit pas la sortie. Les taux de croissance – surtout dans les pays de la zone euro – y sont faibles, et même anormalement bas comparés à ceux du reste du monde. L’Allemagne elle-même, malgré un endettement comparable (voire légèrement supérieur en volume) à celui de la France, reste à un niveau de croissance médiocre qui préfigure sans doute les limites des avantages de compétitivité dont elle a bénéficié jusqu’alors.
En conclusion, si l’on veut tirer la leçon de l’expérience, l’UE (en raison de ses règles de fonctionnement et de la politique suivie) apparaît aujourd’hui comme un étouffoir, perdue dans ses contradictions : entre identité européenne restant à définir et identités nationales existantes, entre fédéralisme et États souverains, entre processus d’intégration par adoption de règles uniques et diversité des réalités économiques et sociales, entre libre circulation des biens et des personnes et hétérogénéité des espaces nationaux,…2.
D’affaiblissement en affaiblissement, l’UE s’avère ainsi dangereuse et, si elle n’est pas réformée rapidement, pourrait être mortelle pour les pays les plus fragiles. Après avoir profité de la situation, l’Allemagne elle-même, voyant se raréfier la rente dont elle a bénéficié jusqu’alors, pourrait être tentée de revoir sa position…
Des perspectives nouvelles pour une France redevenue forte
L’urgence, pour la France, de changer de politique et, pour l’Union européenne, de se réformer est la même : pour la France, en raison de la gravité de la situation économique et sociale après quarante ans d’échecs ; pour l’Union européenne, en raison de la crise et de l’impasse dans lesquelles le projet européen est tombé. Dans les deux cas, que ce soit pour la France ou l’UE, les changements sont inévitables, et plus tôt ils auront lieu, mieux ce sera.
En effet, en ce qui concerne la France, dont l’économie productive est en train de disparaître (qu’il s’agisse de son industrie ou même de son agriculture) et dont le niveau des inégalités devient insupportable avec une paupérisation des moins favorisés, elle doit nécessairement se libérer des contraintes européennes qu’elle a acceptées de se donner et qui en l’espèce n’ont pas de sens : ces contraintes l’empêchent de s’ouvrir de nouvelles perspectives et en particulier de conduire une politique de redressement effective pour retrouver les moyens dont elle a besoin et tenir la place qui est la sienne en Europe et dans le Monde, et qui est déterminante pour l’équilibre européen.
Quant à l’Union européenne, il en est de même : pour repartir vers une nouvelle dynamique de progrès et de développement, il lui faut organiser, d’une part une convergence sociale pour donner corps à l’idée d’unité et de solidarité européenne, et d’autre part une compétition plus juste et vraie entre les économies nationales, tout en se protégeant de la concurrence extérieure déloyale. À cet égard, la sortie de la Grande-Bretagne devrait autoriser ce minimum de protection économique aux frontières de l’Europe. Dans le même esprit, la réforme de l’euro qui est à faire au plus tôt devra donner aux États la marge de manœuvre qui leur manque pour organiser la politique monétaire la mieux adaptée à leur situation particulière.
À noter qu’en ce qui concerne l’Union, le besoin de réformes n’est pas lié seulement au fait que l’UE ne tient pas ses promesses et n’a aucune chance de les tenir tant que les contradictions internes citées précédemment n’auront pas été levées3 ; il tient aussi aux conséquences internationales de la faiblesse de l’UE sur le plan géopolitique et, partant, à la nécessité de donner du poids à l’Union non pas en s’appropriant technocratiquement des compétences mais en s’appuyant sur les États dont elle ne peut se passer du leadership, en l’espèce la France en concertation avec l’Allemagne, et la Grande-Bretagne.
À cet égard, le décrochage de la France, qui est en soi « une petite Europe » (Fernand Braudel), est particulièrement éclairant pour juger « en négatif » de l’importance de la France dans le concert des Nations et, dans les circonstances présentes, des conséquences dommageables de son affaiblissement pour l’UE elle-même. En cela, le fléchissement actuel de la France ne saurait être considéré comme un simple phénomène d’un pays traversant une période de crise, mais bien davantage comme un signe de l’affaiblissement de l’Union européenne et de l’Europe.
En effet, parce que la France a une dimension internationale, son affaiblissement induit toute une série de réactions en chaîne modifiant – à la manière d’un jeu de dominos – des équilibres établis depuis la fin de la guerre froide :
- en premier, l’équilibre de l’UE et le maintien de sa cohésion, si la France venait à manquer,
- en second, l’équilibre de l’Europe prise dans son ensemble avec la Russie, dans la mesure où l’UE, en se privant des concours d’une France forte et aujourd’hui, avec le Brexit des moyens de la Grande-Bretagne, est de plus en plus poussée à se placer sous le bouclier américain de l’Otan, et ainsi à creuser le fossé qui la sépare de la Russie, rejetant celle-ci du côté de l’Eurasie,
- en dernier, l’équilibre du continent euro-asiatique, selon que l’Eurasie se fera ou ne se fera pas et qu’en particulier il ne s’avérerait pas possible d’organiser – sur un projet politique de défense de l’Europe – un partenariat structuré entre la Russie et les trois autres pays-pivots : la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne.
À ce sujet, outre le fait que cet enchaînement conduit nécessairement à devoir s’interroger sur l’avenir de l’Europe par rapport à l’Eurasie et donc sur le maintien à terme d’un équilibre de paix pour l’ensemble du continent euro-asiatique, l’éventualité d’un désengagement américain en Europe occidentale pose aujourd’hui – dans toute son acuité et actualité – la question de l’organisation d’une défense autonome de l’Europe, non pas au niveau de l’UE mais bien plutôt à celui de la Grande Europe telle que l’avaient d’ailleurs imaginée les stratèges de la fin du XVIIIe siècle et le général de Gaulle.
L’enchaînement des modifications dans les rapports de force résultant de l’affaiblissement de la France pose de la même manière la question de l’avenir du couple franco-allemand, et donc du leadership sans lequel l’Union européenne ne pourrait survivre. Dès lors que la France – après avoir été l’élément-moteur de la construction européenne – n’est plus en capacité d’assurer à égalité, d’une même voix et dans un esprit d’indépendance, la conduite des affaires européennes avec l’Allemagne, la question du relais possible à trouver devient cruciale. En effet, malgré sa puissance relative, l’Allemagne n’est ni assez forte ni surtout en situation pour exercer seule le leadership et assumer les responsabilités, notamment de solidarité, qui y sont associées.
Il apparaît ainsi que la France est un élément-clé de l’ordre européen mais aussi de l’équilibre international, et qu’en particulier l’Europe ne saurait se passer d’une France tenant son rang.
En effet, à la différence de l’Allemagne, la France n’est pas seulement une puissance européenne ; elle est aussi une puissance internationale à la fois par son histoire et sa culture, par la configuration de son territoire et sa zone d’influence sur les cinq continents. Rappelons que le territoire national est seulement pour 7 % en Europe et 93 % hors d’Europe, et que le territoire métropolitain proprement dit, souvent comparé à un isthme, est un territoire de passage et de brassage des peuples et cultures sur fond d’héritage gréco-romain. En cela, la France reste un pôle d’équilibre exceptionnel en Europe entre le Nord et le Sud, et sur le plan international un facteur d’influence déterminant.
Fors de ces avantages, et alors même que ces territoires sous souveraineté française recèlent des ressources inexploitées, il est clair que l’avenir de la France – pour des raisons à la fois stratégiques, économiques et même culturelles – se joue tout autant outre-mer et sur le plan international qu’en Europe au sein de l’Union européenne.
Or, pour être satisfaite, cette vocation internationale tout autant qu’européenne suppose un double changement : d’une part un changement radical de la politique à mener pour la mettre en conformité avec cette vision d’avenir de la France, d’autre part une transformation du projet européen.
En ce qui concerne la nouvelle politique à mener, il convient de définir une politique volontariste de redressement nécessitant entre autres, comme en 1958, un ajustement monétaire préalable pour gommer les écarts de compétitivité, un emprunt international de retour des capitaux pour relancer l’économie et rétablir la confiance, enfin un plan de modernisation des investissements d’avenir.
En ce qui concerne le projet européen, il s’agit non seulement d’observer une pause dans la poursuite du processus d’intégration de manière à assouplir les règles de fonctionnement de l’Union et de les adapter à la diversité des réalités nationales, mais également de se préparer – dans l’optique de la défense et de la sécurisation de l’espace européen – à l’élargissement de l’Union en vue de la constitution d’une Grande Europe de type confédérale comme le Plan Fouchet en fut la préfiguration.
Dans les deux cas, il sera indispensable de prendre les mesures en adéquation avec les objectifs suivants :
- Primo, réintroduire entre les économies nationales des mécanismes d’ajustement pour organiser une concurrence juste et vraie entre elles, et ainsi progressivement organiser leur rapprochement structurel au fur et à mesure de leur développement respectif.
- Secondo, et dans le même esprit, réformer l’Euro et organiser un ordre monétaire européen fondé sur des systèmes nationaux bi-monétaires4.
- Tertio, redonner aux pays membres la maîtrise des instruments de leur action, tout en assurant la coordination nécessaire dans le cadre d’une concertation structurée et permanente.
En résumé et conclusion
L’on retiendra :
- que ce n’est pas l’Europe qui sauvera la France, mais bien plutôt l’inverse : c’est la France qui fera l’Europe en en étant le moteur. L’Union européenne n’a pas en effet les moyens de soutenir la France dans son effort de redressement, et en même temps elle ne peut se passer de celle-ci pour assurer une cohésion à l’ensemble européen ;
- qu’en conséquence la France doit recouvrer une certaine indépendance et capacité d’action pour retrouver des perspectives d’avenir nouvelles et renouer avec sa vocation internationale d’ouverture sur le monde, notamment vis-à-vis de sa zone d’influence traditionnelle l’outre-mer ;
- qu’en cette période de campagne présidentielle, c’est à ce niveau que le débat doit se situer : s’agissant de la désignation du chef de l’État et non de celle d’un Premier ministre, l’enjeu de cette élection est le choix d’une personnalité capable de donner un avenir à la collectivité et de lui redonner confiance, en lui proposant tout à la fois un projet de société et des perspectives de développement dans le respect des valeurs républicaines « liberté, égalité, fraternité » ;
qu’à cet égard, il s’agit à l’occasion de cette élection de se prononcer entre deux orientations diamétralement opposées : d’un côté, la poursuite du double choix fait en 1977, à l’extérieur, d’une mondialisation sans frontière et, à l’intérieur, d’une politique libérale associée à l’acceptation de l’option supranationale pour le projet européen ; de l’autre, la mise en œuvre d’une politique volontariste de relative indépendance, fondée sur la défense de nos intérêts stratégiques et sur la valorisation des atouts exceptionnels dont disposent encore la France pour continuer à exister. La gravité de la situation économique et sociale du pays devrait de toute évidence, au regard de l’échec des quarante dernière années, pouvoir inspirer la décision à prendre !…
Jacques Perget
Président fondateur de la Convention pour l’Indépendance de l’Europe5
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- À propos de l’attrition de la sphère marchande de l’économie et de son évolution comparée par rapport à la sphère publique, il convient de corriger une erreur souvent commise pour des raisons tenant à l’idéologie. Cette erreur consiste à laisser entendre que la réduction de la sphère publique pourrait entraîner ipso facto l’augmentation de la sphère des activités de production. En l’espèce, le « principe des vases communicants » ne saurait fonctionner en tant que tel. La réduction des activités publiques ne facilitera en rien l’augmentation des activités marchandes et productives, sauf si d’une part les ressources libérées par cette diminution des dépenses publiques sont réemployées au profit de ces dernières et si d’autre part l’ensemble des conditions nécessaires à la création de nouvelles activités marchandes ont été préalablement réunies : infrastructures indispensables, y compris publiques (plans de développement à prévoir) ; transferts fiscaux ; offre de travail adaptée à la nouvelle demande (plans de formation à prévoir) ; etc.
En ce qui concerne le cas français, c’est le secteur productif marchand qui s’est détruit indépendamment de la sphère publique, et non cette dernière qui – en s’étendant – a réduit le champ de l’économie productive. ↩ - Jacques Perget, « L’Union européenne peut-elle se passer de « frontières » », RPP n°1079 (avril-juin 2016), p 72 à 74. Le seul moyen de lever la contradiction entre libre circulation des biens et personnes et hétérogénéité des espaces économiques nationaux, est le rétablissement de « frontières », non pas comme moyen de protection défensive mais comme variable d’ajustement destinée à établir une concurrence plus juste, elle-même susceptible de dynamiser le tissu économique, et non pas de le détruire. ↩
- Tant que les contradictions internes citées dans l’article n’auront pas été levées, la fuite toujours plus en avant des tenants du fédéralisme à l’américaine pour surmonter les crises, n’aura jamais d’autre effet que d’aggraver la situation existante. ↩
- Jacques Perget, « La construction européenne, et si l’Euro était une utopie ! », RPP n°1060-1061 (juillet-décembre 2011), p 115 à 120. Il s’agit non pas de supprimer l’euro (ou d’en sortir) mais de le réformer, de manière à ce que le système monétaire correspondant, tout en satisfaisant les exigences d’une monnaie internationale, soit adapté aux particularités économiques et sociales d’un pays. Pour cette raison, il est proposé de réfléchir à un système bi-monétaire composé de deux monnaies, l’une européenne l’autre nationale, dont les valeurs seraient liées par un rapport légal initial, évoluant lui-même par la suite en fonction des décisions d’arbitrage des acteurs économiques, comme ce fut le cas au temps du franc germinal. En d’autres termes, la monnaie européenne n’est pas une monnaie commune indépendante, elle est liée – et réciproquement – à la valeur de la monnaie nationale. Avec le temps et le développement économique qui devrait suivre, on peut espérer que ce lien aboutira à la convergence des valeurs des deux monnaies comme ce fut le cas d’ailleurs avec le franc germinal. À noter que ce type de système bi-monétaire a correspondu en France à une période de stabilité et de prospérité considérée comme exceptionnelle. ↩
- La longue élaboration du concept d’énergie – Roger Balian – mars 2013 – Académie des Sciences. ↩