La rentrée géoéconomique 2022 s’avère particulièrement difficile à décrypter car elle est marquée par plusieurs contradictions majeures.
1 – Depuis plusieurs mois, les indicateurs convergeaient sur plusieurs points : une hausse inédite de l’inflation, une dépréciation nette de l’euro face au dollar et surtout l’explosion des prix de l’énergie et de l’alimentation. Pour autant, les marchés financiers restent optimistes, confiant en leur capacité propre à réguler le marché. Face au marketing du pessimisme, les bourses d’échange affichent une certaine bonhomie.
2 – Les évolutions géoéconomiques sont portées par trois vecteurs : la révolution numérique qui capte actuellement les talents tout en provoquant un déficit de main d’œuvre dans les secteurs traditionnels, l’environnementalisme, quête occidentale d’un retour à la nature sauvage et enfin la renaissance géopolitique qui incarne le retour décomplexé à l’usage de la force. Or ces vecteurs tirent dans des sens opposés : la digitalisation du monde accroit massivement les destructions environnementales en des espaces bien précis, notamment au sein des nouvelles usines sino-indiennes du monde. De la même façon, les choix géopolitiques opérés par l’Occident en Europe Orientale génèrent un retour massif au charbon au détriment du gaz, infiniment moins polluant. Ils gênent en outre la révolution numérique qui est fondée sur une énergie bon marché.
Dans ces circonstances, il est assez illusoire de prétendre mener de front une politique de renaissance géopolitique, environnementale et digitale sans privilégier une branche au détriment des deux autres.
3 – D’un point de vue militaire, la plaine d’Ukraine comme le détroit de Formose s’apparentent désormais à des conflits gelés. En Ukraine, les Etats-Unis opèrent avec le visage marchand de leur puissance, fournissant des armes, des fonds et un soutien numérique à Kiev face à l’armée russe. Dans le détroit de Formose, la puissance américaine agit davantage avec son visage naval face à la vieille stratégie d’unification économique chinoise. Il faut en effet être Janus et manier tout à la fois la diplomatie financière et la force militaire tout en guettant les successions impériales ennemies afin de faire perdurer l’Empire. Toutefois, ces prises de forces ne sont qu’apparentes : à Moscou, les affaires continuent entre Américains et Russes comme si de rien n’était… La France avait hâtivement fermé son lycée, elle le réouvre en septembre. Quant à Nordstream II, il est en sommeil en attendant des jours meilleurs. Les fluctuations du prix de l’essence semblent déconnectées de celles du baril de Brent comme si certains États profitaient des grandes incertitudes actuelles pour rembourser la lourde facture générée par leur paralysie décisionnelle depuis deux ans. Ces mêmes États font leur plein de gaz russe afin d’éviter tout chantage gazier sous couvert d’entretien technique au cœur de l’hiver. La récente visite du président de la République française en Algérie se présente ainsi comme la réponse diplomatique au partenariat militaire et gazier signé le 10 mai 2022 entre l’Algérie et la Russie.
Tout se passe en somme comme si nous nous dirigions vers un pic d’incertitudes.
Celui-ci dirigera beaucoup de dirigeants vers un sommet d’indécision. Pourtant les opportunités géoéconomiques sont bien présentes, notamment au sein de l’espace fluide qui échappe aux alignements géopolitiques : en Amérique du Sud, en Asie centrale et en Inde. Qui ne l’aura pas saisi a déjà un temps de retard.
Thomas Flichy de La Neuville
Professeur d’université