Alors que les attentats islamistes se multiplient, et qu’ils n’épargnent aucunement nos sanctuaires que sont les églises et l’école de la République, les français disent leur attachement aux valeurs fondamentales de liberté et de laïcité qui nous sont chères. Cependant ces temps troublés mettent en risque notre cohésion nationale, ce qui nous impose plus que jamais de trouver des solutions pour lutter contre le fléau de l’extrémisme religieux et son corollaire barbare qu’est le terrorisme et œuvrer par la même à cimenter notre société.
Approche historico-critique de L’islam
L’État devrait au nom de l’universalisme républicain assumer ses responsabilités à travers une approche interministérielle (ministère de l’Intérieur/ministère de l’Education/ ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche) et rationaliser ses outils académiques s’agissant de la recherche et de l’enseignement supérieur en sciences sociales en général ou de la formation des imams de France en particulier. Sur ce dernier point un excellent rapport sur « la formation des cadres religieux musulmans » avait été commis par le Professeur Messner proposant déjà en 2013, « la création de pôles d’excellence bien identifiés et structurés en sciences humaines et sociales de l’islam, et en capacité de mobiliser les unités et les formations existantes à Paris et en province ». De nombreux intellectuels, comme Jacqueline Chabbi, François Deroche, Rachid Benzine ou encore des chercheurs comme Pierre Lory ou Hassan Chahdi, produisent de la pensée et contribuent à alimenter le débat, par leurs travaux, sur les origines de l’islam du point de vue anthropologique, sociologique et historique, qu’il conviendrait de vulgariser afin que le plus grand nombre puisse se les approprier. Ces intellectuels qui réinterrogent la manière avec laquelle le texte coranique révélé est apparu dans son contexte historique et sociétal, gagneraient à être connus, reconnus et protégés car certains subissent des pressions certaines, tant leurs publications battent en brèche les fondements même de l’idéologie salafiste qui prospère, notamment au travers des réseaux sociaux ou de la propagande des monarchies du Golfe. Des moyens pourraient également être mis à leur disposition afin de démultiplier l’impact de leur travail grâce notamment à l’apport de l’intelligence artificielle, capable de digérer une quantité considérable de données nécessaire à consolider leurs thèses.
Ce travail scientifique permettrait de lutter efficacement contre l’idéologie wahhabite et les mouvements plus ou moins affiliés aux Frères musulmans au travers du contre-discours offensif qui en découlerait y compris sur le plan théologique pour dévitaliser le message salafiste, littéraliste, en mettant en perspective les similitudes qu’il peut avoir avec d’autres structures sectaires communes aux autres monothéismes.
Liberté d’expression et triptyque républicain
La France pourrait ainsi devenir le lieu où pourrait émerger l’islam des Lumières en s’adossant précisément sur les valeurs républicaines.
L’islam, est en effet, non seulement compatible avec la République, mais il contient dans ses commandements à qui sait les décrypter des proximités avec les valeurs républicaines.
La culture arabe à laquelle l’islam ne saurait se résumer, contient également dans sa tradition littéraire, des éléments particulièrement intéressants. Il convient de rappeler la profusion des textes qui font la part belle à la Satire panégyrique dans la poésie arabe ainsi qu’une littérature regorgeant de contenus inimaginables aujourd’hui, qui font pourtant l’éloge de la liberté d’expression du côté du « levant », alors même que ce concept n’existait pas encore en Europe. Un métier qui à lui-seul était la contestation incarnée a existé à Bagdad autour de l’an mille de notre ère, autour de la profession très lucrative d’« insulteur public », comme en atteste le livre de l’auteur Abou-Moutahhar al-Azdî, traduit par René R. Khawam sous le titre 24 heures de la vie d’une canaille.
Le Coran lui-même fait référence à l’ironie, à l’humour et au canular autour du concept d’« al-makr ». Il contient de nombreuses scènes comiques autour de certaines figures comme Abraham, Sara, Jonas, ou Satan. Il devient impératif de libérer la parole des hommes de foi français et musulmans qui peuvent et doivent s’inscrire dans les pas de certains hommes de sciences des siècles passés qui se sont illustrés par une posture de libre pensée vis-à-vis de la religion. Ce fut par exemple le cas de Rhasès (854-925), empiriste et rationaliste qui a dû faire face à de très nombreuses critiques de ses contemporains, qui ne sont pourtant pas parvenus à réduire au silence ses thèses les plus libérales quant à l’islam et aux sciences.
De même est-il important de mettre en exergue le nombre de sourates du Coran qui font référence de manière explicite au principe de liberté de conscience ou de culte, telles que le verset 256 de la sourate 2 (la vache) qui stipule qu’il est « nulle contrainte en religion », ou encore la sourate 18 (la caverne), qui précise que « Quiconque le veut, qu’il croit, et quiconque le veut qu’il mécroie ».
S’agissant de l’égalité, beaucoup de passages y font explicitement référence, d’autres de manière plus implicite au travers par exemple d’une exigence de justice : « soyez justes ! » est-il dit dans la sourate 4 (les femmes) ou la sourate 5 (la table). Le plus intéressant est d’interroger ce principe d’égalité pour ce qui relève des rapports de genres dans le texte coranique. Les places respectives d’Adam et Eve nous en disent long quant à ces rapports que l’on imagine inégalitaires. Adam et Eve naissent, dans la tradition musulmane, de manière concomitante, d’une même âme « asexuée », leur octroyant de manière égale, vie, noblesse et dignité. Eve n’étant, dans cette logique, pas née du péché originel pour tenir compagnie à Adam, elle n’est pas davantage issue de sa côte.
L’islam se veut en réalité avant tout humaniste et universel en s’adressant au genre humain dans son ensemble et dans sa diversité.
La volonté coranique est d’établir le lien qui unit tous les êtres humains quelles que soient les différences qui les caractérisent.
Ce lien se manifeste clairement dans le verset suivant : « Ô hommes ! Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle, et Nous avons fait de vous des peuples et des tribus, pour que vous vous entre connaissiez » (Coran 49/13). Ce verset emprunt d’un fort universalisme, rappelle à l’humanité son origine commune, l’âme commune de laquelle elle est issue. Il établit ainsi le principe de la fraternité humaine sans aucune sorte de distinction
Agir sur le plan géopolitique
Dans la guerre idéologique qui existe et traverse le monde musulman lui-même, la France peut et doit prendre position, car comme le souligne l’ambassadeur Étienne de Gonneville “L’islam est la deuxième religion en France”. Cela permettrait d’une part de souder la jeunesse de culture musulmane à la communauté nationale, ne se percevant pas comme une entité exogène ; cela permettrait par ailleurs de revendiquer au moins au même titre que la Russie un siège de “membre observateur” au sein de l’Organisation de la Coopération Islamique. Cette organisation basée à Djeddah a vocation à promouvoir la coopération dans les domaines sociaux, culturels et scientifiques. Avec six millions de musulmans, la France, pays européen ayant la communauté musulmane la plus importante, pèserait davantage en termes de représentativité de fidèles que le tiers des pays membres. Le procès en islamophobie qui nous est régulièrement fait par la distorsion du principe de laïcité à la française, opérée par nos ennemis, n’auraient plus de légitimité. La France gagnerait ainsi un nouvel horizon d’influence géopolitique dans le monde, en promouvant dans le droit fil de ses valeurs fondatrices une conception éclairée de l’Islam. Ce serait là un élément disruptif au sein même de la Oumma musulmane qui contribuerait à renverser les termes des débats sur la laïcité, le droit au blasphème, l’égalité des genres, les questions coloniales, etc. Cela permettrait en outre sur le plan de l’islam de France de dévitaliser l’islam consulaire et de réduire l’impact des « imams Google » serviteur d’un prêt à consommer dangereusement efficace sur internet, notamment chez nos jeunes. Cela aurait enfin l’avantage de donner crédit et légitimité à nos interventions sur les théâtres extérieurs, au sein des populations musulmanes en particuliers dans nos zones d’influence, notamment dans les pays arabes ou africains, où notre présence géostratégique demeure forte.
Tayeb Benabderrahmane
Président du Club Géopolitique