Qui aurait cru que le reportage de Zone interdite sur l’islamisation de Roubaix allait générer un tel déferlement de haine, jusqu’à des menaces de mort à l’encontre des journalistes ? Mais surtout, qui aurait cru que le Président de la République puisse s’enfermer dans un tel silence ?
Cinq années de mandat présidentiel ont permis de démontrer, amplement, qu’Emmanuel Macron ne comprend pas la problématique liée à l’islamisation des territoires. Il n’est pas le seul ; les responsables politiques atteints d’une cécité civilisationnelle identique sont légion. C’est même à ce seul critère qu’il est possible de distinguer les responsables politiques restés figés dans le XXe siècle de ceux qui ont réussi à entrer dans le XXIe. Pour Emmanuel Macron comme pour son entourage, le reportage de Zone interdite, les tags haineux sur les murs de Roubaix à l’encontre de la chaîne M6, les insultes sur les réseaux sociaux, et les menaces de mort à l’encontre du courageux juriste Amine Elbahi et de la journaliste Ophélie Meunier sont rangés dans la catégorie « faits divers ». Faits divers regrettables, certes, mais faits divers tout de même. C’est pourquoi une simple prise de parole du ministre de l’Intérieur à l’Assemblée nationale a semblé suffisante aux yeux de l’exécutif… et encore, prise de parole consentie en raison du buzz médiatique.
Si Emmanuel Macron comprenait ce qui se passe à Roubaix (comme dans de nombreuses autres villes de France), sa prise de parole serait inévitable. Son silence est la marque la plus nette de son incompréhension de ce que l’on peut nommer le « fait civilisationnel ». C’est la même incompréhension qui a poussé la majorité présidentielle à rejeter ce lundi l’amendement sur l’interdiction des signes religieux (et donc du hijab, car c’est de ce signe dont il est en réalité uniquement question) dans le sport. Comment parler, en effet, de quelque chose que l’on ne comprend pas ? Quel discours prononcer, à quelques semaines d’échéances électorales cruciales, sur un sujet qu’on ne maîtrise pas, un sujet qui a glissé entre les doigts du gouvernement durant 5 années, un sujet que le Président a évacué de toutes ses allocutions en début de mandat malgré son caractère parfois brûlant, parce qu’il ne savait qu’en dire. Le drame ? Cinq ans après, Emmanuel Macron n’a pour ainsi dire rien appris. Qu’est-ce qui coince ?
Le « fait civilisationnel » échappe à beaucoup de gens, de par sa nature singulière, récente et métapolitique.
Ceux qui ne le voient pas (les plus nombreux) le confondent avec le terrorisme, l’islam politique, la laïcité, l’immigration, le grand remplacement, la créolisation, etc. – autant de thèmes connexes, mais néanmoins différents. D’autres, ne le voyant pas non plus, en nient tout simplement l’existence. Emmanuel Macron a compris que ce concept n’était pas assimilable à la laïcité, et qu’il fallait le ranger dans la catégorie « culturel » – ce qui est un point positif. Sauf que c’est une catégorie dont il ne perçoit pas la dimension politique. Pour lui, celle-ci appartient en propre à la société civile, au sein de laquelle un gouvernement libéral n’a pas vocation à intervenir (tant qu’il n’y a pas de trouble à l’ordre public). Les poupées sans visage ? Les commerces halal ? Les devantures islamiques ? Les librairies salafistes ? La multiplication des voiles ? Aucun trouble à l’ordre public ! Donc : circulez, y a rien à voir ! Le président reste muet !
Le problème avec le fait civilisationnel, c’est qu’une fois qu’on l’a vu, on ne voit plus que lui ! Une fois qu’on a compris que la civilisation ne repose pas sur le Contrat social, mais que c’est le Contrat social qui repose sur le socle civilisationnel, on ne peut que s’inquiéter du basculement civilisationnel ; car on voit venir le jour et l’heure où et le Contrat social et la République basculeront aussi. Mais, pour Emmanuel Macron comme pour tous ceux qui ne voient rien, tout ceci n’est que chimère, fantasme fasciste, utopie d’extrême droite. Jean-Jacques Rousseau fait pourtant reposer son Contrat Social sur un tel socle culturel, lequel constitue « la véritable constitution de l’Etat ». Le philosophe Vincent Coussedière le rappelle dans son excellent Le retour du peuple. An I, où il écrit : « Ce conservatisme des mœurs du peuple est ce qui permet de maintenir celui-ci dans une forme d’unité ; alors même que les lois politiques “vieillissent ou s’éteignent”, il les “ranime ou les supplée”. » Roubaix est la marque de cette désunion du peuple, de cette sécession. Emmanuel Macron, les yeux fixés sur la République et ses « valeurs », ignorant du fait civilisationnel, ne voit rien. Et donc, il ne dit rien.
Frédéric Saint Clair
Écrivain, Politologue