La condamnation de Marine Le Pen et l’exécution provisoire de son inéligibilité agissent comme un crash test du fonctionnement de nos institutions et de ses acteurs. Au lieu de s’interroger sur la loi qu’ils avaient voulue, beaucoup de responsables politiques ont préféré accuser le système démocratique lui-même, dans une posture semblable à celle de leaders étrangers qui ne veulent pas du bien à la France.
Il y a belle lurette que plus personne ne s’abstient de commenter une décision de justice. En débattre est même devenu l’exercice consacré sur les chaînes d’information en continu. Ces débats sont bienvenus dans la mesure où ils éclairent le fonctionnement de l’un des piliers de notre système républicain qui est l’autorité judiciaire. Mais ces débats ont été pervertis par les accusations du RN qui a tout d’un coup pris conscience de la gravité et des conséquences des faits reprochés à sa cheffe de file. Marine Le Pen – qui a fait appel – a été condamnée pour avoir organisé pendant plusieurs années un système de détournement de fonds publics en prétendant lors du procès qu’il n’avait rien d’illégal.
La première stupeur passée, le RN s’en est violemment pris aux juges et à la Justice en tant qu’institution, en dénonçant une « décision politique » des magistrats, un « jour funeste pour notre démocratie », un « déni de démocratie », une décision « contraire à l’État de droit ».
Face à cette attaque en règle de notre système démocratique, au lieu de le défendre, beaucoup de réactions se sont souvent concentrées sur les conséquences du jugement, certains allant jusqu’à remettre en cause le système lui-même, le Premier ministre faisant dire qu’il était « troublé », des parlementaires parlant de « jour sombre pour la démocratie », estimant « pas sain dans une démocratie » ce dispositif qui « devrait revenir au peuple ». Le fait qu’une condamnation puisse empêcher un acteur politique de se présenter à une élection alors qu’il fait appel peut être discuté. Mais ce principe n’a pas été créé à destination unique de Marine Le Pen, d’autres élus l’ont expérimenté avant elle sans susciter beaucoup d’émoi. Ce principe n’a pas été inventé non plus par les magistrats contre les politiques. Ce sont les acteurs politiques, les parlementaires qui ont souhaité donner cette capacité aux magistrats parce qu’ils cherchaient à garantir la probité des acteurs publics. Une exigence des Français que personne n’oserait aujourd’hui contester. Si l’arme mise entre les mains des juges apparait disproportionnée, c’est au législateur de corriger l’excès qu’il a créé. Il en a la capacité. Accuser l’institution judiciaire relève de la pirouette politicienne dangereuse pour nos institutions.
Que Marine Le Pen cherche à attiser la colère de ses électeurs ne constitue pas une nouveauté, mais que ses adversaires empruntent le même chemin du discours antisystème n’est pas sans risque. Participer à la fragilisation de nos institutions dans un contexte international où le « partenaire » américain tourne le dos à l’Europe pour embrasser la Russie qui mène la guerre en Ukraine est un acte lourd de conséquences. La célérité avec laquelle Moscou a volé au secours de Marine Le Pen en dénonçant une « violation des normes démocratiques » tandis que D. Trump sautait sur l’occasion pour trouver des « ressemblances » avec sa remise en cause de la justice américaine prouvent combien notre démocratie a besoin d’être défendue. La déstabilisation de nos institutions est un outil de pression que nos rivaux économiques et géopolitiques utilisent sans scrupules, y compris lors d’une campagne électorale ou durant une crise sociale.
A l’heure de la guerre hybride, la politique intérieure n’est plus une affaire franco-française. L’annonce de la condamnation de Marine Le Pen vient de le démontrer. C’est le premier enseignement de ce crash-test.
Marie-Eve Malouines
Editorialiste