Jean-Yves Archer, économiste et membre de la Société d’Economie Politique, analyse pour la Revue Politique et Parlementaire, les conséquences de la pandémie de Covid-19 sur l’euro.
Nombre d’entre nous ont en tête « La bataille du rail » dont le contenu est au demeurant plus signifiant et moins anxiogène que le terme de « guerre » pourtant répété six fois lors de la dernière allocution présidentielle.
La France et d’autres pays européens vont devoir réussir à traverser une phase de récession inédite par son ampleur et par l’indétermination de sa durée directement liée à l’étendue spatio-temporelle de la pandémie de Covid-19.
Des pans entiers de l’économie française sont à l’arrêt et l’anglicisme de « shutdown » se justifie, hélas, chaque jour davantage à tel point que le président Macron a été contraint, le jeudi 19 mars, de préciser que les travailleurs des secteurs névralgiques devaient poursuivre leurs tâches. Sur ce sujet, on comprend le président mais on ne saurait oublier la vie quotidienne d’une caissière de supérette qui voit défiler des centaines de personnes et dont l’employeur est dans l’incapacité de lui fournir un masque de protection. Juridiquement, le droit de retrait est, ici et maintenant, fondé à s’appliquer n’en déplaise à des déclarations hâtives de la ministre Pénicaud. Tout aussi fondées seront les démarches d’évaluation voire d’enquêtes sur ce sujet des masques et des gels. Manifestement, nous sommes en droit de constater la carence donc la possible faute de gestion qui pourrait déboucher sur la notion de mise en danger de la vie d’autrui.
Les lendemains de la récession auront un goût de cendres, celui des faillites qui auront été imparables.
Car enfin, qui ne voit que cette France paralysée va voir les décès dus au virus se coaliser avec la mortalité des PME. Les grands groupes étant épargnés au prix éventuel de nationalisations ou de politique de « renforcement des fonds propres » pour reprendre les mots de Bruno Le Maire.
Pour les économistes, il y a un changement considérable d’échelle. Tout est multiplié par dix. La BCE aligne ce jour 750 Mds, l’État a déjà abondé un fonds de 45 Mds et apporté 300 Mds à un système de cautions afin que les banques puissent honorer des demandes de prêts issues des entreprises.
A cet égard, il faudra être vigilant pour ne pas soutenir des PME en situation de péril inexorable, ce que l’on nomme désormais des entreprises « zombies » qui ne tiennent que par le crédit récurrent.
La politique de soutien de la BCE est techniquement indispensable et évite que la déroute boursière, destructrice de valeurs, ne se poursuive.
Si LVMH était évaluée près de 220 Mds d’euros au 31 décembre 2019, son cours actuel traduit une valeur de près de 140 Mds. Autant dire que la PME de Cholet ou de Figeac voient leurs valorisations s’effondrer comme toute structure non cotée en Bourse.
Si la BCE est fondée à agir du fait des contraintes impérieuses de l’instant, elle engage l’Europe sur un chemin hautement périlleux. En effet, en gonflant son bilan tel un ballon sonde à l’hélium, on risque vite de voir attaquée la valeur même de la monnaie puisque l’on a recours à une forme moderne mais frustre de la planche à billets.
Ce premier risque pour l’euro semble loin pour bien des opérateurs. Je ne partage pas leurs hautes doses de certitudes. Par ailleurs, obnubilés par le « spread » des taux d’intérêts emprunteurs existant notamment entre l’Allemagne et l’Italie, ils se dispensent un peu vite de voir le jour d’après.
Ainsi, deuxième risque, les statistiques de 2020 vont être répulsives pour nos créanciers car le ratio dette publique rapportée au PIB sera d’autant plus dur à accepter que les différents PIB de la zone Euro vont être en repli. Arithmétiquement, un numérateur en hausse certaine tout autant qu’un ressac du dénominateur. Dans le cas de la France, on sera au-dessus du fameux seuil de 100 % ce qui rendra plus complexes nos opérations de refinancement de dette via l’action pourtant efficiente de l’Agence France Trésor.
Troisième risque, nos amis italiens étaient déjà en récession en 2019 et 2020 sera épouvantable en matière de trajectoire de leurs finances publiques.
Comme il y a dix ans, la crise de l’euro devrait mécaniquement ressurgir puissance 10 car si un plan pour la Grèce a déjà été laborieux à élaborer et acter, quid d’un sauvetage de l’Italie ?
Dernier risque, quand le tumulte sera passé, il faudra reconstruire notre potentiel productif et chacun a bien pris note que l’Allemagne et son plan de soutien de plus de 550 Mds d’euros faisait bande à part et n’avait pas de forte inclinaison pour des décisions de format communautaire sans même évoquer le nom de mesures mutualisées.
De nombreux décideurs de haut rang parmi l’élite allemande rêvent de créer quelque chose avec son Hinterland. Quand l’Histoire lui présentera le prix de la solidarité européenne, l’Allemagne mettra peut-être à exécution ses rêves de MittelEuropa reposant sur plus de 160 millions de citoyens plutôt que faire preuve de solidarité.
Ainsi, le rêve européen d’une monnaie unique et d’une grande famille de nations sera dissout du fait d’un virus qui aura été notre Armageddon continental.
Européen convaincu, j’espère que le chas de l’aiguille permettra à notre monnaie de survivre mais une once de lucidité me charge d’une tonne de doutes.
Depuis deux mois, l’euro est une espèce menacée voire en début d’extinction tel un gibier chétif qui attend l’heure de l’ouverture de la chasse sous les regards moqueurs des Superpuissances.
Jean-Yves Archer
Economiste et membre de la Société d’Economie Politique