Ancienne présidente du CNRS et membre de l’Académie des sciences, Catherine Bréchignac interviendra lors de « La Cité des Débats à Saint-Raphaël – L’événement de la Revue Politique et Parlementaire ». La physicienne, qui a notamment publié Retour vers l’obscurantisme (Cherche Midi), considère qu’une culture scientifique doit être donnée à tous. Entretien.
Revue Politique et Parlementaire – « Savoir, pouvoir et démocratie ». Comment concilier ces trois notions ?
Catherine Bréchignac – Aujourd’hui, avec une masse de connaissances croissante et ouverte à tous, le pouvoir qui réside dans la capacité à utiliser le savoir pour guider la politique, tout en évitant la dictature du savoir, impose de connaitre ceux qui l’ont assimilé. Est-ce les experts qui l’ont appris, ou est-ce les scientifiques qui l’ont construit ? La démocratie directe ou représentative, qui est devenue un système politique dans lequel la souveraineté est attribuée aux citoyens, nécessite que les citoyens soient correctement informés et pour cela suffisamment instruits. Ce n’est cependant pas suffisant, car comme l’exprime Tocqueville dans son ouvrage De la démocratie en Amérique, un des dangers de la démocratie est la tyrannie de la majorité. Cette tyrannie s’installe d’autant mieux que le savoir fait place à l’opinion.
Dans notre société où chacun se forge une opinion à partir des informations qui circulent sur les réseaux sociaux, où le savoir scientifique et technologique se complexifient, concilier savoir, pouvoir, et démocratie relève de l’utopie.
RPP – Comment retrouver une plus grande confiance en la science ?
Catherine Bréchignac – La science est « un ensemble structuré de connaissances qui se rapportent à des faits obéissant à des lois objectives et dont la mise au point exige systématisation et méthode » nous dit le trésor de la langue française. Mais aujourd’hui le mot science perd de sa substance, et devient polysémique ; la physique, la chimie, la biologie, dont les lois sont dictées par la « nature », la médecine, les sciences humaines, sociales, politiques ou économiques dont les lois sont dictées par l’homme sont toutes sous le vocable « science. » De plus toutes ces disciplines du savoir accroissent leur contenu en se complexifiant. Elles deviennent de moins en moins accessibles à ceux qui n’ont pas de culture générale.
La frontière entre la science établie et celle qui est en construction, est mouvante, donnant une impression d’insécurité.
L’opinion publique prend peur. Donner une culture scientifique à tous, enseigner l’histoire des sciences, éviter la confusion entre science et opinion, déjouer les faux experts, laisser aux scientifiques le soin de mettre de l’ordre dans les connaissances et instaurer des débats sociétaux quant à l’utilisation de la science, redonnera une plus grande confiance en la science.
RPP – Comment éviter que les idéologies ne se faufilent dans le savoir ?
Catherine Bréchignac – L’idéologue cherche à convaincre l’autre de ses opinions. Avec le développement des réseaux sociaux qui ouvrent un espace de débat sans précédent, la liberté d’expression voit sa diffusion s’accroître considérablement. On ne peut nier à personne le droit de disposer des faits et de les présenter à sa façon, mais si on veut utiliser une interprétation scientifique, celle-ci doit suivre le protocole de la démarche scientifique pour être validée. Elle ne peut être scindée, mise en pièce et débattue comme une opinion.
La science n’est pas une opinion.
Pour insidieusement introduire de l’idéologie dans la science on voit arriver les néo-sophistes, des penseurs développant des raisonnements dont la structure rigoureuse s’appuie sur des données non vérifiables. Ils utilisent dans une phrase reliant deux évènements, les connecteurs logiques tels que car, effectivement, comme, parce que, pour donner l’illusion du raisonnement déductif qui se colporte avec délice pour arriver là où les manipulateurs d’information, veulent nous entrainer. C’est cette logique trompeuse dont il faut se méfier.
Catherine Bréchignac
Physicienne
Ancienne présidente du CNRS
Membre de l’Académie des sciences
Propos recueillis par Mathilde Aubinaud