Alors que l’Occident est traversé par des mouvements politiques susceptibles de profondément le déstabiliser et qu’il doit affronter une crise économique qui s’annonce tenace, la Chine semble, à la sortie de la crise mondiale engendrée par le coronavirus, encore plus puissante. Si l’économie de l’empire du Milieu étaye cette hypothèse, un autre marqueur permet de la confirmer : sa nouvelle communication affirmée et décomplexée.
Diplomatie du masque et opération de communication
Alors que les Européens se muraient dans un strict confinement et pleuraient leurs morts, leurs Gouvernements constataient les tristes conséquences de leur désindustrialisation. À l’exception notoire des pays d’Europe du Nord, les Européens ont été complètement désorganisés face à cette crise : manque de masques, de gel ou de visières, réactions confuses et surtout absence de réponses fortes à proposer à la population pour la rassurer. Dans ce contexte, la Chine s’est muée en secouriste, capable de pallier les manques du Vieux Continent. L’occasion était alors trop belle pour que Pékin ne s’attribue pas le beau rôle. Une fois mise en place, la « diplomatie du masque » devait lui permettre de faire : la promotion de l’excellence de son système de santé, qui a vaincu le virus ; la démonstration de sa force économique et industrielle, volant désormais au secours d’un Occident déclinant ; et enfin de légitimer un système autoritaire, agile et résilient face à cette crise mondiale.
Twitter et exportation du modèle chinois
Cette opération de communication, à peine dissimulée, a trouvé sur les réseaux sociaux l’un de ses terrains de jeu les plus prospères. Quel meilleur réseau social que Twitter pour affirmer sans vergogne les multiples qualités du système chinois ?
Au royaume de la fake news et des haters, la communication péremptoire de la Chine trouve ainsi toute sa place.
Le héraut de la voix chinoise en France sur ce réseau est le compte officiel de l’ambassade de Chine en France. Entre deux paysages mirifiques de la Chine profonde qui nous invitent au voyage, le compte relaie les actions de la Chine et n’hésite pas à critiquer vertement ceux qui dénoncent la campagne de communication chinoise. L’apogée de cette communication décomplexée se résume à un thread du 27 mars qui rappelle l’Europe à sa faiblesse systémique et érige en exemple le modèle chinois.
« Quand bien même la Chine serait aussi efficace qu’eux (les autres pays asiatiques) contre l’épidémie, elle fait face à une difficulté de 10 fois à 100 fois supérieure. Gouverner si bien, et même mieux que d’autres pays, une nation aussi immense sans un bon régime est absolument inimaginable. Certaines personnes, dans le fond, sont très admiratives des succès de la gouvernance chinoise. Ils envient l’efficacité de notre système politique et haïssent l’incapacité de leur propre pays à faire aussi bien ! (…) Lorsque l’épidémie a commencé à faire rage partout, c’est à la Chine que le monde entier a demandé de l’aide et non pas aux États-Unis, ‘’phare de la démocratie’’. C’est la Chine qui a tendu une main secourable à plus de 80 pays. Ce ne sont pas les États-Unis ».
Ce positionnement est tout à fait révélateur de l’affirmation, par la Chine, de son nouveau statut. Longtemps habituée à une communication minimaliste et accommodante, Pékin déploie ici une batterie d’arguments qui, en plus de mettre en avant son modèle, incrimine son principal concurrent. L’aisance avec laquelle la Chine rappelle son statut met en exergue l’évolution de sa doctrine qui, aujourd’hui, promeut l’affirmation décomplexée de sa superpuissance. Après les domaines politique et économique où l’empire du Milieu s’était déjà pleinement affirmé, il n’hésite désormais plus à le faire dans sa communication institutionnelle.
Jeu de dupes ?
Selon les commentateurs, l’opération de communication chinoise n’a pas atteint son objectif, à savoir convaincre l’opinion publique occidentale que le modèle chinois était le plus efficace.
Le manque de transparence de Pékin et la défiance de l’opinion envers un régime présenté comme autoritaire auraient persuadé les Européens que la Chine n’est pas le sauveur qu’elle prétend être.
L’exportation du modèle chinois aurait donc échoué et l’Occident, plus que jamais, regarderait à l’Est avec circonspection.
Cette analyse des commentateurs européens mésestime cependant deux aspects essentiels. D’abord, elle traite cette opération de communication selon une grille occidentale de pensée qui implique que le maintien et le développement de la puissance d’un État passent nécessairement par l’exportation de son système de pensée. Or, il n’est pas certain que la Chine souhaite exporter son système et l’imposer aux Occidentaux. Si ce fut le dessein des États-Unis en période de Guerre Froide, la Chine n’a pas besoin d’exporter son système pour développer son économie et son influence. En revanche, cette communication a permis de souligner les erreurs des gouvernements européens durant cette crise sanitaire, les exposant plus que jamais à la défiance de leurs populations. Par ailleurs, les conséquences terribles qu’elle a engendrées sur l’économie américaine ont contribué à l’affaiblissement de son principal concurrent dans la course à la suprématie mondiale.
En plus de discréditer certains gouvernements occidentaux, cette communication singulière de la Chine a par ailleurs permis de juguler les accusations croissantes contre son régime, à un moment où il rencontrait des difficultés politiques en interne. À l’instar des entreprises, en temps de crise, il ne faut pas minimiser l’importance de la communication interne. En détournant l’attention des gouvernements occidentaux des heurts à Hong-Kong et en concentrant l’opinion de leurs citoyens sur les failles béantes de leurs systèmes, la Chine a pu déployer toute son énergie pour rappeler à sa population, avec sa bonne gestion de cette crise sanitaire, ô combien le Parti est puissant et bienveillant. Un rappel nécessaire car pour un régime autoritaire, le plus important ce n’est pas que les autres croient en sa valeur, mais bien que les citoyens qui l’éprouvent soient intimement persuadés de son bien-fondé.
Bastien Vandendyck
Consultant chez Vae Solis Communications et analyste en relations internationales