Proportionnalité : à chaque mesure d’exception dont le but est de répondre à la pression pandémique, le mot est prononcé.
Les dispositifs (passe sanitaire, passe vaccinal) auraient pour caractéristiques d’être d’autant plus proportionnés qu’ils s’appuieraient sur des motifs scientifiquement validés. A voir car sur les deux légitimations, le double caractère mesuré et scientifique, il y aurait beaucoup à redire tant la science a été malmenée depuis le début de la crise par ceux qui la font dans son appréciation de la situation et que la proportionnalité qui en découle s’avère mécaniquement sujette à cautions.
Le passe vaccinal aujourd’hui est bien plus un objet politique que sanitaire, dont l’ambiguïté quelque peu perverse – contraindre les non-vaccinés à la vaccination sans les en obliger – pose la question de sa motivation. À vrai dire celle-ci repose sur la volonté de laisser une forme de liberté de choix permettant de ne pas être associé à des régimes parfois peu démocratiques qui de leur côté ont décrété l’obligation vaccinale, mais aussi sans doute de contourner toute potentielle responsabilité pénale au cas où.
La réalité est que tout ceci est langue de bois et casuistique communicante. Il y a longtemps que la proportionnalité est un argument écran de fumée qui assoit dans l’ordre juridique une valeur absolue – la santé – sur tout autre principe. Encore faut-il s’interroger sur la logique de cette prééminence car si l’on suit le cours de cet absolutisme philosophique ne faudrait-il pas prendre des mesures aussi préventives concernant des pathologies beaucoup plus meurtrières comme les AVC ou les cancers qui tuent chaque jour environ 800 de nos compatriotes ? Dans cette hypothèse, il conviendrait dès lors de restreindre encore plus, voire d’interdire, la consommation de nombre de substances et autres produits dont l’on sait parfaitement qu’ils constituent d’évidents facteurs de risques. Le sanitarisme est néanmoins contraint par d’autres logiques, économiques principalement, qui démontrent s’il le fallait le véritable étalon normatif de nos sociétés.
Plutôt que de proportionnalité, faut-il alors évoquer la notion d’opportunité qui de facto motiverait les conduites dirigeantes, loin au demeurant de toute dimension proportionnée. Car rien ne démontre le bien-fondé de cette justification qui permet surtout à ce stade de détricoter toujours plus les principes libéraux qui ont vertébré patiemment notre édifice politique depuis des décennies. Le recul est d’autant plus inquiétant qu’il s’indexe sur une acceptation majoritaire fondée sur l’indifférence à la liberté et la peur du virus, la seconde déterminant la première, et qu’il ne se fixe plus aucune butée temporelle, le Premier ministre ayant refusé lors de la discussion sur le passe vaccinal à l’Assemblée nationale d’en fixer une. Ce n’est pas être complotiste, ni populiste que de s’en émouvoir. C’est être fondamentalement démocrate et sincèrement libéral au sens politique que de s’en inquiéter. Mais la raison nous gouverne t-elle encore ?
Arnaud Benedetti Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne