Le 17 février dernier, Trump lançait en grande pompe (sic) lors de la Sneakers Con de Philadelphie, un événement consacré à la street culture, son nouvel objet publicitaire, à savoir des sneakers à son effigie. Flanquées d’un « T » (initiale de Trump) et d’un drapeau américain, le tout sur fond doré, très bling-bling, elles ont été proposées en édition limitée à un prix de 399 dollars. Malgré la cherté de cette paire de sneakers et son succès immédiat (toutes les paires ont été achetées par ses fans en un temps record), pas sûr qu’elles permettront au milliardaire de compenser la somme de 355 millions de dollars infligée par un tribunal de New York pour la falsification de la valeur de ses biens immobiliers.
Dans ce contexte financièrement délicat pour celui qui tente de revenir dans le bureau ovale, le choix de la dénomination de ces chaussures baptisées « The Never Surrender » (« Ne Renonce Jamais » en français) en dit long sur sa détermination pour devenir le 47eme locataire de la Maison blanche, après en avoir été le 45eme.
Un outil stratégique à plusieurs portées
Mais au-delà de la paire de sneakers, somme toute anecdotique, ces baskets apparaissent comme un outil stratégique de positionnement à double portée en termes de marketing politique (Dosquet, 2022).
Tout d’abord, en termes de ciblage. C’est habile de la part des spin-doctors du président déchu, que de cibler par ce type d’objet publicitaire, la population des jeunes électeurs (18/29 ans). Ce profil avait été nettement déficitaire au candidat républicain lors du dernier scrutin. En effet, cette classe d’âge avait très majoritairement voté lors de l’élection de 2020 pour Joe Biden (65%) contre 31% pour Donald Trump (Edison Research, 2020).
Rappelons que cette génération n’est pas à négliger car elle représente plus de 25 millions d’électeurs potentiels pour le prochain scrutin de 2024, soit un dixième de la population électorale américaine.
Ensuite en termes d’image. Au-delà de l’objet en lui-même, ce sont ses acceptions qui sont intéressantes à triple titre.
Premièrement, le choix de la sneakers n’est pas anodine.
De par son étymologie, du verbe « to sneak » qui veut dire en français « se déplacer furtivement, sans faire de bruit ».
Il est vrai que ce n’est pas vraiment le style de Donald Trump qui fait plutôt dans la surenchère et l’excès, mais cela traduit, cependant, son intention de continuer à avancer avec un côté malicieux, qui ravit ses troupes fidèles. De par également, de l’origine de ce type de chaussures identifiée « made in America ». En effet, c’est sous l’impulsion de la United States Rubber Company que la première paire de sneakers a été commercialisée vers 1916. Puis ce sont deux autres marques emblématiques de la réussite mondiale américaine, Converse et Nike qui vont définitivement imposer cette chaussure montante à usage sportif ou quotidien au reste du monde. Nike, qui en son temps a décroché un contrat avantageux avec la star des Chicago Bulls, Michael Jordan et a fait de ses multiples versions de la sneakers Air Jordan, une machine à profits incomparable. Le fait que ce soit un représentant de la communauté noire qui soit le prototype de la sneakers, n’est pas non plus, un choix fortuit. La sneakers représente une Amérique melting pot, honni, certes par Trump et ses acolytes, mais qui électoralement reste stratégique dans la prise de la Maison blanche (13,60% de la population américaine est d’origine noire ou afro-américaine) et qui reste largement déficitaire pour le camp trumpiste (12% des électeurs noirs ont voté pour Trump en 2020).
Deuxièmement, le choix de ces chaussures permet de donner un coup de jeune à un candidat qui ne l’est pas vraiment (77 ans, né en 1946), mais qui l’est quant même un peu plus que son adversaire déclaré (81 ans, né en 1942). C’est d’ailleurs ce point faible qui est ciblé chez le 46eme Président, Joe Biden. Celui-ci montre en effet objectivement, des signes avancés de vieillesse, tant dans son agilité physique que mentale.
L’âge devient d’ailleurs, un réel sujet de discussions citoyennes depuis le rapport du procureur spécial Robert Hur qui a qualifié Joe Biden, d’« homme âgé à la mémoire défaillante ».
Du côté académique, Eshima et Smith (2022), ou encore Sevi (2022) mettent eux aussi, en exergue ce paramètre problématique de l’âge des candidats en lice pour l’élection américaine de 2024. Concernant cet enjeu générationnel loin d’être insignifiant quant à la vulnérabilité et le devenir des démocraties, de plus en plus de spécialistes politiques dénoncent l’incapacité des partis politiques américains dominants républicain comme démocrate à faire émerger de nouvelles générations de leaders en capacité de ravir la Maison Blanche (Halévi, 2022 ; Nardon, 2023). Selon une étude publiée par l’Université de Quinnipiac (20 février 2024), le corps électoral américain considérant même que les deux candidats en lice pèchent par leur inaptitude physique (62% pour Joe Biden ; 37% pour Donald Trump) et mentale (34% pour Joe Biden ; 51% pour Donald Trump).
Troisièmement, le choix des sneakers est pertinent. Sémiologiquement, dans un sens second, ces baskets permettent de signifier l’idée d’un candidat resté en forme opposé à un autre, épuisé par l’exercice du pouvoir.
D’un côté, la marche, le mouvement, le dynamisme, en un mot, l’énergie (débordante) d’un Donald Trump regonflé à bloc (malgré ses déboires judiciaires) ; de l’autre, un Président usé et marchant difficilement, voire, chutant, tantôt à vélo ou encore dans la montée d’un escalier d’avion. La symbolique va au-delà du physique et permet à la candidature de Donald Trump de s’affranchir quelque peu de ses turpitudes régulières pour gagner en institutionnalisation dont il manque tant, même si son cœur de cible y est insensible. D’un côté donc, le souhait est d’opposer une simulation de hauteur de vue (être debout), de sagesse platonicienne (marcher) cumulée à de l’action (chaussures de sport) représentée par un Donald Trump vigoureux et dans le mouvement. En comparaison, d’un Joe Biden, fatigué et épuisé, face à terre (tomber), dépendant d’autrui (se faire aider pour se remettre debout) et à l’arrêt.
Ceci n’est pas une sneakers
Au final, l’idée de ces sneakers comme objets publicitaires est loin d’être basique. En référence au tableau de Magritte (ceci n’est pas une pipe), ces sneakers sont stratégiquement multi-usages et polysémiques. D’une pierre, trois coups, le choix par les équipes de Donald Trump, d’une simple paire de sneakers, permet de nourrir le discours nationaliste américain, tout en ciblant simultanément pour les séduire, les jeunes d’origine multi-ethnique et de s’attaquer à son concurrent. En effet, ce choix permet au camp républicain d’appuyer sur le point jugé comme le plus faible chez le candidat démocrate, à savoir l’âge.
Mais cette attaque est subtilement (furtivement « to sneak ») distillée, non pas par velléité de respecter son adversaire, mais plutôt pour ne pas devoir rappeler cette question de l’âge dans son propre camp (77 ans tout de même).
Décidément, ces sneakers sont bien plus qu’un simple gadget (publicitaire) mais apparaissent comme bel et bien, un marqueur stratégique d’une campagne entre deux candidats vieillissants en conquête notamment de la nouvelle génération et au-delà, de la Maison blanche.
Frédéric Dosquet
Docteur HDR- Professeur éklore-ed Business School
Auteur de Marketing et communication politique, EMS, 3eme édition.
Eshima, S., Smith, D.M. (2022). Just a Number? Voter Evaluations of Age in Candidate-Choice Experiments, The Journal of Politics 2022 84:3, pp.1856-1861.
Edison Research (2020), https://edition.cnn.com/election/2020/exit-polls/president/national-results
Dosquet, F. (2022). Marketing et communication politique, Ems, 3eme édition.
Halévi, R. (2022). Le Chaos de la démocratie américaine: Ce que révèle l’émeute du Capitole. Gallimard. https://doi.org/10.3917/gall.halev.2022.01
Nardon, L. (2023). États-Unis : la campagne se met en place: Vers un remake de 2020 ?. Dans : Thierry de Montbrial éd., Ramses 2024 (pp. 228-231). Paris: Dunod. https://doi.org/10.3917/dunod.montb.2023.01.0228
Sevi, S. (2022). Too Old to Be President? American Politics Research, 50(6), pp.752-756. https://doi.org/10.1177/1532673X221118344
Université Quinnipiac (22 février 2024).