Pour Jean-Michel Jacques, la défense ne saurait être réduite aux seules forces armées : elle appartient à la Nation tout entière. Garantir sa cohérence implique de conjuguer prééminence présidentielle, responsabilité gouvernementale et contrôle parlementaire, dans un contexte international marqué par l’instabilité et le réarmement généralisé.
Revue Politique et Parlementaire – Le flou constitutionnel relatif aux attributions du Président de la République, du Premier ministre et du ministre des Armées permet à chaque autorité de ménager sa compétence dans le domaine de la défense. Au quotidien, quelle autorité est la plus présente pour imprimer ses orientations politiques sur ce domaine ?
Jean-Michel Jacques – Je ne suis pas d’accord, les choses sont très claires concernant les compétences de chacun et la mise en œuvre de la répartition de ces compétences, cette dernière étant encadrée par le Code de la défense également.
Le Président de la République est le chef des armées (article 15 de la Constitution). À ce titre, il décide des grandes orientations, comme celle annoncée le 13 juillet dernier concernant la hausse du budget des armées et l’actualisation de la Loi de programmation militaire 2024-2030. Il valide également l’engagement des forces armées et l’emploi des forces nucléaires. Le Premier ministre est responsable de la défense nationale (article 21 de la Constitution) et donc de l’application de ces orientations, qu’il délègue au ministre des Armées en tant que membre de son Gouvernement. Ce dernier fixe ainsi l’organisation des armées, gère les ressources humaines et contrôle par exemple la programmation des équipements et infrastructures. Il en assure la responsabilité devant le Parlement.
Cette répartition est une garantie de cohérence entre prééminence présidentielle, responsabilité gouvernementale et administration opérationnelle.
RPP – Quelle définition de la « défense » retenez-vous ? Y-a-t-il une manière française de penser la défense ?
Jean-Michel Jacques – Je retiendrai la définition énoncée à l’article L1111-1 du Code de la défense (actualisé en 2009), selon laquelle « la politique de défense a pour objet d’assurer l’intégrité du territoire et la protection de la population contre les agressions armées. Elle contribue à la lutte contre les autres menaces susceptibles de mettre en cause la sécurité nationale. Elle pourvoit au respect des alliances, des traités et des accords internationaux […] ». Bien qu’elle soit récente, elle reprend l’idée initiale qu’avait le général de Gaulle de la défense nationale concernant la défense de nos frontières, mais également le respect de nos engagements internationaux et européens. Nous sommes particulièrement attachés au respect du droit international et convaincus de la nécessité d’une politique européenne de sécurité et de défense commune. En effet, dans un monde aussi globalisé, vouloir se défendre seul n’a aucun sens.
S’il y a une manière française de penser la défense, elle doit se situer dans le fait que la défense ne concerne pas uniquement les forces armées. Le Livre blanc sur la défense nationale de 1972 (premier Livre blanc sur la défense français) conduit sous la supervision de Michel Debré, alors ministre de la Défense nationale, l’explique ainsi : « la défense nationale, si elle se manifeste essentiellement par l’existence de forces armées, s’appuie sur bien d’autres réalités, démographiques, économiques, sociales et culturelles notamment ». La défense nous concerne tous, c’est une réalité qui infuse au delà du seul ministère des Armées. La défense appartient à la Nation. Nos forces armées émanent de la Nation. C’est d’ailleurs pour cela que notre commission à l’Assemblée nationale s’appelle Commission de la défense nationale et des forces armées, et pas uniquement « des forces armées ».
RPP – Vous êtes passé du terrain, en tant que militaire, à la direction politique des affaires de défense. Y-a-t-il une cohérence entre les donneurs d’ordres et les exécutants et que retenez-vous de plus marquant dans ce changement de point de vue sur les affaires militaires ?
Jean-Michel Jacques – Je ne pense pas qu’on puisse réellement parler de « donneurs d’ordres » concernant les parlementaires. Nous amendons, allouons et votons un budget et évaluons la cohérence et l’efficience des politiques de défense du Gouvernement. Nous contrôlons son action et autorisons les interventions extérieures de nos forces armées d’une durée supérieure à quatre mois. C’est bien le Président de la République et le Gouvernement qui restent donneurs d’ordres in fine, nous sommes là pour évaluer et contrôler.
C’est là que mon parcours est utile pour les fonctions que j’occupe actuellement. Il m’amène à avoir une compréhension approndie de la manière dont sont organisées et fonctionnent les forces armées. C’est toujours plus utile de connaître une maison de l’intérieur pour évaluer la mise en application des décisions qui la touchent ! D’autre part, le fait d’avoir été sur des théâtres d’opération et en situation de donner la mort ou de la recevoir me permet de mieux comprendre ce qu’est véritablement la singularité du militaire français.
C’est néanmoins en arrivant dans mes fonctions de député à l’Assemblée nationale, au cœur des dossiers, que j’ai pris conscience de la nécessité d’arbitrer certains choix, au nom de la cohérence et de l’efficience. On ne s’en rend peut-être pas suffisamment compte lorsqu’on est sur le terrain car on ne peut pas avoir de vision globale et stratégique des problématiques.
RPP – La mobilisation citoyenne autour des questions de défense semble avoir clairement faibli depuis la Ve République, notamment par rapport aux Républiques précédentes où l’armée tenait une place importante dans la citoyenneté. Comment expliquez-vous ce changement ?
Jean-Michel Jacques – Il ne faut pas oublier que pendant les Républiques précédentes, les Français ont dû faire face à des conflits, dont deux guerres mondiales, qui se sont déroulés sur notre territoire. Notamment lors de ces deux conflits majeurs, l’ensemble de la population a été mobilisé, sur le front ou à l’arrière. Ça n’a plus été le cas pendant la Ve République, bien que la guerre d’Algérie et d’Indochine (entre autres) aient touché un grand nombre de nos concitoyens. Plus récemment, la fin du service national obligatoire en 1997 n’a pas contribué à familiariser les Français avec les forces armées et les enjeux de défense.
Je persiste néanmoins à penser que le contexte géostratégique – dès les attentats de 2015 mais d’autant plus avec la résurgence du conflit russo-ukrainien aux portes de l’Europe – a permis aux Français de redécouvrir les enjeux de défense. Une étude de l’IRSEM réalisée en 2024 indiquait que 52 % des jeunes déclaraient s’intéresser aux questions militaires. D’après une étude Ipsos réalisée début 2025, 87 % des Français sont favorables au retour d’un service militaire. Ces chiffres sont assez parlants ! Enfin, suite à l’appel du ministre des Armées pour un doublement de la réserve, on a pu constater un engouement sans précédent pour l’engagement dans la réserve opérationnelle. 12 000 personnes étaient volontaires à l’engagement entre janvier et mars 2025, contre 17 000 pour toute l’année 2024. J’ai moi-même plusieurs réservistes au sein de mon équipe !
RPP – Le Président de la République, Emmanuel Macron, n’a jamais caché son ambition de mobiliser la jeunesse, notamment à travers le service universel. Quelle est votre position sur cette question ?
Jean-Michel Jacques – Beaucoup de responsables politiques, militaires, think-tank, réfléchissent aux contours d’un nouveau service national. Cette question s’inscrit elle-même dans le cadre plus large du lien Nation-Armée et du renforcement de la cohésion nationale pour faire face aux nouvelles menaces et au durcissement du contexte géostratégique.
Si l’on exclut le retour d’un service militaire obligatoire pour des raisons budgétaires, d’infrastructures et parce que ce n’est pas forcément adapté au mode de fonctionnement de notre société, une réflexion globale tournée vers la sensibilisation de la jeunesse aux enjeux de défense, et plus globalement aux enjeux qui affectent la vie de la Nation, est effectivement indispensable. Pour que toute action de ce type fonctionne, elle devra être au service de toute la Nation et de sa cohésion, et pas uniquement tournée vers les armées.
Le ministre des Armées devrait faire des annonces à l’automne sur le sujet. Je ne peux que vous inviter à y être attentifs.
RPP – La Nation vous paraît-elle prête à « l’effort de défense » en matière financière ? Quelles sont les voies pour mobiliser autour de cette question ?
Jean-Michel Jacques – J’ai participé en mars 2025 à une réunion sur ce sujet à Bercy. Les modalités de financement de la défense, en particulier de la base industrielle et technologique de défense (BITD), ont été largement abordées lors des débats. Au-delà de cette expression politique claire, portée par le ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, en plus de celui des Armées, la Nation semble prête à financer « l’effort de défense ». Début 2025, 59 % des Français annonçaient ne pas être opposés à l’idée de souscrire à un emprunt national rémunéré au taux du livret A pour financer l’augmentation des dépenses liées à la défense, d’après une étude de l’Ipsos. C’est une mesure que je porte. Mobiliser autour de cette question demandera de communiquer autour des questions de défense, au travers du nouveau service national, du recrutement de réservistes mais aussi via une réflexion plus globale autour du lien Nation-Armée. Les actions de communication des hauts responsables civils et militaires de la défense nationale – comme en juillet le Président de la République et le général d’armée Thierry Burkhard – ainsi que la parution de la Revue nationale stratégique 2025 devraient permettre de mieux faire connaître les enjeux de défense et de favoriser l’émergence d’une réflexion commune autour de ceux-ci. Il est néanmoins nécessaire que nous réussissions également à mobiliser le monde économique afin de faciliter le financement de nos entreprises de défense. Ce financement de « l’effort de défense » ne peut pas reposer uniquement sur les particuliers. Il doit être privé, public et populaire. Ce doit être un effort collectif, de tous.
RPP – Alors que les secteurs (spatial, cyberdéfense, etc.) et moyens matériels (drône, plus largement IA, etc.) dans lesquels l’armée se modernisent ne cessent de croître, comment la France doit-elle prioriser ses choix dans un contexte financier déjà difficile ?
Jean-Michel Jacques – La France est la première armée d’Europe car elle a su maintenir un modèle d’armée complet et cohérent, en termes d’équipements, de formation, de maintien en conditions opérationnelles et de capacités opérationnelles. Choisir d’abandonner tel ou tel domaine de lutte, c’est s’assurer une perte de compétences industrielles et opérationnelles sur plusieurs années si l’on souhaite y revenir ensuite.
Maintenir ce modèle complet a un coût. Si la LPM 2024-2030 était déjà sans précédent, nous devons la revoir cet automne afin de tenir compte de l’accélération du contexte géostratégique. Il ne faut néanmoins pas oublier que nous devons depuis 2017 remédier à des années de coupes budgétaires en matière de défense – depuis les années 1990 le budget de la défense était considéré comme une variable d’ajustements des choix de finances publiques justifiée par la fin de la guerre froide, les dividendes de la paix et la crise financière – alors que les menaces se sont accrues.
Nous devons aujourd’hui continuer à investir en priorité dans certaines capacités et technologies clés pour faire face à ces évolutions : le spatial, le quantique, la cyberdéfense, le renseignement, l’intelligence artificielle, les drones, la haute altitude comme les grands fonds marins.
Des arbitrages clairs devront être faits, notamment à l’occasion de cette actualisation budgétaire à l’automne. Ce choix reste politique, stratégique et économique et doit se baser sur les éléments apportés par la Revue nationale stratégique 2025. Ces choix appartiennent au Président de la République et à son Gouvernement.
Cependant, le risque d’un nouveau décalage des discussions budgétaires à l’automne pourrait repousser la validation de la marche LPM prévue pour 2025, et, par effet domino, retarder la passation de nouvelles commandes auprès des industriels. Il s’agit d’un point sensible puisqu’il touche directement au maintien du plan de charge des entreprises de défense, à la sécurisation des approvisionnements et des chaînes de production, ainsi qu’à la confiance de la base industrielle et technologique de défense, dans un contexte où la situation internationale rend nécessaire le maintien des cadences annoncées et l’ajustement des investissements prévus.
RPP – Vous avez eu la responsabilité de la loi de programmation militaire à l’Assemblée nationale dans votre rôle de président de la Commission de la défense. Les orientations en la matière sont elles suffisamment juridiquement contraignantes ? Le consensus politique sur ces questions existentielles est-il illusoire et comment le trouve-t-on ?
Jean-Michel Jacques – J’aurai effectivement la responsabilité de veiller au bon déroulement des débats et travaux liés à l’actualisation de la Loi de programmation militaire, tout en participant activement à ces derniers en tant que président de la Commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale cet automne. C’est une responsabilité que je prends d’autant plus à cœur que j’ai été rapporteur de la Loi de programmation militaire 2024-2030 lors de son examen et vote, et que je conduis d’ailleurs aujourd’hui une mission flash concernant sa mise en application.
Étant député membre de cette commission depuis 2017 et ayant donc pu étudier deux LPM, leurs ajustements annuels et leurs mises en application, je suis convaincu qu’elles sont suffisamment contraignantes. Leur objectif n’est en réalité pas tant de contraindre que de donner des orientations budgétaires pluriannuelles : la défense se construit sur le temps long. Comme tout budget de l’État, le budget de la défense fait face à des contraintes qui nécessitent de le revoir constamment à la marge et annuellement tandis que la pluriannualité lui donne de la visibilité et de la cohérence.
La censure du Gouvernement à l’hiver 2024 a par exemple eu des répercussions sur l’application de ce budget, engendrant des retards de paiement ou un décalage des commandes, qui seront normalement rattrapés d’ici cette fin d’année pour la défense.
Au delà de la temporalité, l’actualisation de la LPM, qui doit intervenir prochainement, devrait également permettre d’ajuster son cadre juridique et réglementaire, afin de disposer notamment d’outils de suivi et de contrainte plus robustes vis-à-vis des engagements pris. Cela permettrait ainsi aux pouvoirs publics de consolider l’efficacité de la LPM en bénéficiant de moyens plus sûrs pour garantir la mise en œuvre des décisions votées.
Concernant les questions de défense, on peut se réjouir que lors des débats sur la LPM nous avons trouvé un grand nombre de points convergents. Restent bien entendu des différences de pensées, sur nos partenariats européens et internationaux par exemple, mais il est souhaitable que nous puissions débattre et confronter des idées avant de voter le budget de l’État.
Le contexte stratégique s’étant particulièrement durci ces derniers mois, de même que l’évolution rapide des menaces, c’est pourquoi nous nous devons d’être à la hauteur pour accompagner la transformation de nos armées et adapter en permanence notre outil de défense.
RPP – La France est-elle en retard par rapport à ses homologues européens quant au caractère central des politiques (et des moyens) de la défense ?
Jean-Michel Jacques – En moins de dix ans, nous aurons doublé le budget de notre défense. On ne peut pas dire que ce soit le cas de beaucoup de pays ! Nous sommes le deuxième pays de l’Union européenne à investir le plus dans la défense, derrière l’Allemagne.
Si on rapporte ce budget au PIB par habitant, ce sont effectivement les pays du Nord-Est de l’Europe qui investissent le plus dans leur défense, notamment la Pologne qui y investit plus de 4% de son PIB. Cela s’explique néanmoins par leur proximité avec la Russie et le conflit russo-ukrainien. Au-delà de ces chiffres, le processus de réarmement est global en Europe. En effet les pays européens se sont engagés lors du récent sommet de l’OTAN en juin 2025 à La Haye à porter leurs budgets de la défense à 5 % du PIB d’ici 2035 dont 3,5 % pour les dépenses militaires (armes et troupes) et 1,5 % supplémentaire pour des investissements liés à la défense au sens large, incluant cybersécurité, protection contre les infrastructures critiques et renforcement des industries stratégiques.
Nous, Français, n’avons donc pas à rougir, tant en termes de moyens alloués que de place donnée aux politiques de défense. D’autant que nous investissons dans la dissuasion nucléaire, ce que ne font pas les autres qui en sont dénués. D’après le classement Global Firepower paru en juin 2025, et qui prend en compte de nombreux critères (budgétaires, nombre de militaires, moyens logistiques…), la France reste la première puissance militaire de l’Europe et la 7e mondiale.
RPP – La souveraineté militaire et nucléaire de la France peut-elle pâtir d’une défense européenne ? Peut-on garantir la parfaite intégrité tant de la souveraineté nationale que de la souveraineté européenne sur un secteur aussi central que la défense ?
Jean-Michel Jacques – J’en suis convaincu. Concernant la dissuasion nucléaire, seul le Président de la République peut décider de l’emploi des armes nucléaires françaises. Nos intérêts vitaux peuvent être imbriqués dans des intérêts sécuritaires européens et c’est en cela que notre dissuasion peut être considérée comme « incontournable de la défense du continent » (discours de la Sorbonne, 2024). Ce sera néanmoins à lui, Président de la République française, de déterminer si tel est le cas le moment venu. Il ne demandera pas un consensus à 27 pays avant de la déclencher, il n’en a jamais été question. Comme l’a très bien rappelé le ministre des Armées, la production des armes, des vecteurs, leur contrôle et la mise en œuvre des forces nucléaires sont françaises et le resteront.
Des accords peuvent être faits, comme avec le Royaume-Uni en juillet, mais la souveraineté et les doctrines de chaque État conservent leurs fondamentaux. Concernant les autres matériels militaires, il faut garder en tête que c’est dans notre intérêt de développer la défense européenne, pour ne pas nous défendre seuls. Pour une meilleure efficacité opérationnelle (plus de forces armées, sur plus de fronts en même temps et interopérables), pour une meilleure efficacité industrielle et économique (économies d’échelle sur le matériel, faciliter l’émergence de leaders européens sur des technologies de pointe) et finalement plus de souveraineté car nous ne dépendrons plus de matériels sur lesquels on nous impose des conditions d’utilisation ou d’exportation qui ne correspondent pas aux intérêts de la France et de l’Europe.
RPP – À l’heure des 80 ans de la Libération, considérez-vous que nous sommes à l’aube d’un changement de paradigme des relations internationales et notamment du rôle de la France (Afrique, conflit au Moyen-Orient, guerre sur le sol européen) ?
Jean-Michel Jacques – Le contexte international a suffisamment évolué pour que nous ne l’appréhendions plus de la même manière qu’il y a deux ans, lors du vote de la LPM 2024-2030 (juillet 2023). Cette incertitude, le retour de la guerre au Moyen-Orient, le départ des troupes françaises du continent africain, le prolongement de la guerre russo-ukrainienne… Ce n’est pas la fin d’un paradigme, mais le début de l’incertitude quant à la fiabilité du soutien américain. Le monde est devenu une poudrière, plus instable, dangereux.
Je pense que le rôle de la France est de rester une puissance d’équilibre. Nous devons rester un pays cadre, qui peut emmener d’autres nations en coalition si besoin. Nous devons nous préparer aux conflits de demain, encourager une Europe de la défense capable de peser, d’agir, de se protéger.
RPP – La diminution des théâtres d’action de la France, notamment en Afrique, pèse-t-elle sur notre vision opérationnelle de la défense ? Plus précisément quelle analyse faites-vous de notre désengagement au Mali, au Sénégal, etc. ?
Jean-Michel Jacques – Est-ce que ça pèse sur notre efficacité et notre vision opérationnelle : non. Notre armée reste une armée d’emploi donc opérationnelle en tout temps et tous lieux.
La lutte contre le terrorisme était la justification de notre engagement militaire dans certains de ces pays à la demande de leurs gouvernements. Dans cette optique, nous ne pouvions rester présents si les autorités politiques ne désiraient pas que nous restions. Comme le constate la Revue nationale stratégique en 2025, en Afrique subsaharienne, la remise en question par certains pays des offres partenariales de sécurité occidentales, dont celle de la France, nous ont conduit à reconfigurer notre dispositif de sécurité alors que nos compétiteurs stratégiques ont mené de véritables campagnes anti-françaises et renforcé leur entrisme et leur stratégie de prédation sans se soucier de la stabilité régionale. C’est pourquoi on y constate aujourd’hui une résurgence de la menace terroriste djihadiste et des menaces liées à la criminalité organisée (narcotrafics, trafics d’armes et d’êtres humains). En Afrique orientale et centrale, l’échec du multilatéralisme et l’implication d’acteurs étrangers se sont traduits par une multiplication des crises (Soudan, RDC, etc.).
En Afrique centrale et de l’Ouest, la France a mené depuis 2023 des dialogues bilatéraux avec les pays hôtes de ses bases militaires afin de mettre en œuvre une reconfiguration concertée de son dispositif. Nos bases ont été rétrocédées et pour certaines transformées en pôles de formation (Côte d’Ivoire, Gabon). La forme du partenariat sécuritaire avec le Sénégal et le Tchad a également récemment évolué. Je rappelle enfin que le traité de coopération en matière de défense (TCMD) avec Djibouti, avec qui la France partage des intérêts stratégiques particuliers, vient d’être renouvelé.
En conclusion, je partage la vision selon laquelle la présence militaire française sur le continent africain doit être fondée sur des logiques de coopération et d’accès, et différenciée selon les attentes des partenaires. J’avais d’ailleurs conduit des travaux à ce sujet en 2020 dans le cadre d’une mission d’information sur le continuum sécurité-développement.
Jean-Michel JACQUES
Député Président de la Commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale
Propos recueillis par Anne-Charlène Bezzina et Bruno Cautrès



















