La population est inexorablement en cours de vieillissement dans la plupart des pays développés, y compris la Chine. Phénomène au long cours, ce vieillissement s’opère à la fois « par le haut », avec l’arrivée aux âges avancés des générations dites du baby-boom et l’allongement de leur espérance de vie, et aussi « par le bas », avec la baisse du taux de fécondité, qui engendre une baisse des effectifs jeunes et par conséquent de la population active.
A peu près partout sur la planète, l’élévation du niveau de vie a été suivie d’une baisse du nombre des naissances. Ainsi, on remarque l’échec quasi-systématique des politiques natalistes, qui ne réussissent jamais à enrailler la chute du taux de fécondité. Le vieillissement de la population est donc assez clairement corrélé au développement économique. Même si, au total, la population du globe reste encore en augmentation, les projections récentes montrent que le monde va connaitre, d’ici une quarantaine d’années, le début d’une phase de décroissance démographique.
En effet, dans années 1970, la population mondiale augmentait d’environ 2 % par an. La croissance économique tournait alors autour de 4 % en moyenne et l’inflation était à deux chiffres. Le nombre d’individus, qui était d’un milliard au début du XIXe siècle, est aujourd’hui estimé à 8 milliards. Cela exerce une pression évidente sur notre planète, notamment illustrée par le « jour du dépassement de la Terre », qui pose la question de l’équilibre entre population et ressources. Cette relation avait déjà été mise en évidence, à la fin du XVIIe siècle, par l’économiste Robert Malthus.
Dans l’analyse malthusienne, la population augmenterait à une cadence telle qu’elle dépasserait la production alimentaire et engendrerait des famines. Mais, le progrès technique et son impact sur les gains de productivité ont par la suite remis en cause cette théorie.
Les projections récentes montrent qu’un pic de la population mondiale se produirait vers 2065, autour des 10 milliards d’êtres humains. Puis, on assisterait à une baisse. Cela tranche assez nettement avec les analyses précédentes, qui prévoyaient un pic plus élevé, vers les années 2100. En effet, on remarque que la natalité recule plus rapidement que prévu dans les pays en développement. Ainsi, on estime aujourd’hui qu’en 2050 presque tous les pays du globe seront en situation de décroissance démographique, faisant craindre une pénurie structurelle de main-d’œuvre, et donc un ralentissement économique global.
La meilleure illustration de ce phénomène à venir est indéniablement le cas de la Chine : les dernières simulations montrent que la population chinoise chutera à 730 millions à l’horizon 2100, contre près de 1,5 milliard actuellement.
Néanmoins, la Chine aura très largement bénéficié de conjonctions favorables ces quarante dernières années, en connaissant un développement économique fulgurant, grâce à sa main d’œuvre pléthorique et à l’essor du libre-échange.
C’est donc sans surprise, que les économies émergentes qui connaissent de nos jours la croissance la plus forte, ont tous une dynamique démographique favorable, comme le Vietnam, l’Inde, la Turquie, l’Indonésie ou le Brésil. Même si leur taux de fécondité a déjà commencé à baisser, ils ne commenceront pas à vieillir avant 30 ou 40 ans.
Ces pays ont donc encore plusieurs décennies pour profiter de leur « bonus démographique ». En effet, si presque tous les pays vieillissent, ils ne sont pas synchronisés : les pays riches vieillissant les premiers, les pays émergents, qui vieilliront dans quelques décennies, peuvent tirer profit de la situation, en bénéficiant d’un différentiel de croissance économique.
Mais cet avantage, s’il s’inscrit dans la durée, fini toujours par s’inverser. Par exemple, la Corée du Sud, qui faisait partie des plus « jeunes » en 1950, sera un des pays les plus vieux en 2050, à cause de son taux de fécondité, un des plus faible du globe actuellement.
Si la décroissance de la population mondiale permettra peut-être de remédier à certains problèmes chroniques à travers le monde, notamment écologiques (épuisement des ressources), économiques (inflation) ou sociaux (chômage), elle pose également de nouveaux défis : les pénuries de main-d’œuvre ; le financement des dépenses concernant les seniors (retraite, santé) ; la mutation des structures de consommation, du taux d’épargne et de l’investissement (notamment la baisse de l’investissement productif).
De plus, il existe une incompatibilité entre des généreux mécanismes fiscaux de redistribution, la maitrise des finances publiques, et la baisse de la population active.
Ainsi, la Commission européenne note que si l’Europe affiche une immigration supérieure à l’émigration, le déclin progressif sa population et de sa main-d’œuvre va se poursuivre. Or, en théorie économique, cela implique un « tournant » décrit par le prix Nobel d’économie Arthur Lewis, ou la raréfaction de la main-d’œuvre entraîne une augmentation rapide des salaires, une contraction des marges bénéficiaires des entreprises et donc une chute du niveau d’investissement, qui finit par peser sur la croissance.
Certaines études plus récentes montrent que la raréfaction du facteur travail rend le capital relativement plus abondant, entrainant une baisse de son coût (qui n’est d’autre que le taux d’intérêt).
En outre, pour certains économistes, le vieillissement soutiendrait le taux d’épargne et permettrait également aux taux d’intérêt de se maintenir à des niveaux peu élevés. De fait, dans les économies vieillissantes, il y aurait concomitance de taux d’intérêts réels faibles, voire négatifs, et d’une faible croissance économique. A ce titre, l’exemple du Japon est particulièrement frappant. On assisterait donc à une « japonisation » des économies développées ou depuis plusieurs décennies, le taux d’intérêt réel à long-terme baisse tendanciellement, sous l’effet du vieillissement, pour atteindre des niveaux négatifs.
Mais, le vieillissement de la population n’est pas totalement incompatible avec la croissance économique. En effet, la rareté du facteur travail pourrait fournir de puissantes incitations à l’innovation permettant de répondre au défi d’une population plus âgée.
La transition numérique et la montée en compétences des travailleurs pourraient soutenir les gains de productivité, permettant à la création de richesse de progresser plus rapidement que la population.
Mais, pour y parvenir, il s’agit de mettre en place des politiques adaptées. Or, en France, les facteurs démographiques ne s’invitent dans l’espace public que dans le cadre restreint des sempiternelles débats sur le financement des retraites, alors que leurs impacts à long-terme sur l’économie sont évidemment beaucoup plus larges.
En théorie, les États pourraient profiter de l’influence du vieillissement de la population sur la baisse des taux d’intérêt à long terme, pour privilégier une expansion budgétaire devenant alors indolore (notamment pour financer la transaction énergétique).
Mais, le monde subit actuellement le contrecoup des politiques monétaires non conventionnelles, dites de « quantitative easing », mises en œuvre depuis la crise financière de 2008 et qui ont contribué à relancer l’inflation. Ainsi, la récente brutale remontée des taux d’intérêt pourrait créer des tensions sur les refinancements, voire une nouvelle crise des dettes souveraines. Car, la soutenabilité de la dette publique dépend de la pyramide des âges, puisque c’est principalement la population active qui génère le PIB.
Sans l’immigration, bon nombre d’économies développées ne sont déjà plus en mesure de satisfaire leurs besoins en main-d’œuvre et certains pays se mettent désormais en quête de travailleurs supplémentaires. L’Allemagne, l’Australie, le Japon, entre-autres, se font concurrence pour attirer des employés qualifiés dans certains secteurs spécifiques. Ainsi, les dynamiques démographiques pourraient bien faire apparaitre un nouveau type de concurrence entre les pays, dont l’objectif serait d’attirer les compétences des meilleurs travailleurs étrangers. Un des enjeux dans les prochaines années pour les pays développés, mais vieillissant, est donc de réussir à attirer une jeunesse à la fois entreprenante et innovante.
Guillaume du Cheyron
Spécialiste de la Finance d’Entreprise
Président de G2C Corporate Finance