Décidément la crise emporte beaucoup de certitudes sur son passage dévastateur. D’un côté, elle approfondit la puissance de la politique monétaire au moyen d’une BCE aux actions survitaminées afin de parer une crise du crédit et un manque corrélatif de liquidités. Au prix de sérieuses réserves émises par le juge constitutionnel allemand dont certains pans du raisonnement méritent attention et même considération. Analyse de Jean-Yves Archer
économiste et membre de la Société d’Economie Politique
Vers un nouvel emprunt
Le lundi 18 mai 2020 restera, dans notre histoire communautaire, comme la date du projet d’un nouvel emprunt dont la jauge est, pour l’heure, fixée à 500 milliards d’euros. L’orientation clairement keynésienne des pays de l’Union est affichée à travers cet acte qui doit, toutefois, encore recueillir l’accord de nos 25 partenaires. Le temps où l’axe franco-allemand fixait le tempo de toute l’Union est assurément révolu et tant la Chancelière Merkel que le Président Macron devraient y prendre garde. Il a probablement manqué à leur conférence de presse commune une jolie once d’humilité qui n’aurait pas déplu à certains pays de l’Europe du Nord.
Un emprunt crucial pour un nouvel émetteur
Ce qui caractérise cet emprunt de 500 milliards, c’est le fait qu’il va être émis par l’Union elle-même ce qui est une première absolue. Le vieux rêve de Jacques Delors assistés alors de Pascal Lamy et de Philippe Lagayette se réalise enfin : l’entité Europe décide de s’endetter. Autrement dit, le produit de cet emprunt va être issu de la qualité de la signature d’un nouvel emprunteur qui ne vit que par les économies des États et singulièrement par la surface financière de l’Allemagne.
Concrètement, les 500 milliards issus de l’appel aux marchés seraient bien évidemment assortis d’une garantie des États et l’emprunt aurait une maturité faciale initiale de moyen terme, soit probablement à horizon 2027 voire plus.
En agissant ainsi, l’Union fait sauter une goupille qui a valeur de précédent mais elle ne fait que déplacer une question.
Confrontée à la masse financière que représente désormais la dette des États, on a recours à l’étage du dessus pour s’assurer de la bonne fin du nouvel emprunt et ainsi bénéficier – autant que faire se peut – des taux allemands.
Si nous étions en droit privé, nous serions face à l’endettement de la holding – la société faîtière – découlant du blocage imminent des ressorts de levée de fonds des filiales.
En devenant primo-émetteur, l’Europe n’hésite pas à rudoyer l’esprit et la lettre des Traités à l’instar de la BCE. Tout le monde a compris que ce plan de relance est conçu pour le bien commun mais il n’est pas interdit de penser que le Droit doit précéder l’action et non l’inverse. Quand la force des choses l’emporte sur le référentiel juridique commun, on instille de facto un vent mauvais au regard des fondements de l’état de droit.
500 milliards qui ne suffiront pas
Pour certains, la somme de 500 milliards est « énorme », « gigantesque ». Plus sérieusement, on ne parle pas de construire un rond-point à Semur-en-Auxois ou un hôpital à La Châtre : on a besoin de soutenir tel ou tel secteur d’activité ou telle région dans un ensemble au sein duquel 500 milliards ne représente que le déficit annuel cumulé de l’Allemagne, la France, l’Italie et l’Espagne.
Autant dire que ces 500 milliards vont vite être consommés au regard de la brutalité sans fard de la récession qui recouvre le court terme de la vie des pays de l’Union.
Pour un gouvernement comme celui des Pays-Bas, la ficelle est un peu grosse. France et Allemagne veulent pulvériser un plafond de verre pour mieux séquencer le début d’un cortège d’émissions de dettes européennes d’autant plus indolores que les agences de notation vont accorder au nouvel emprunteur un « rating » superbe.
Faute d’être parvenus à la mutualisation des dettes étatiques, les zélateurs de la dette ont accouché d’un projet supranational sans que les peuples aient été consultés sur cette césure virginale.
En revanche, ici et là les Parlements nationaux vont être amenés à se prononcer formellement. Au Bundestag, rien n’est écrit d’avance pour cette innovation sans retour introduite sans tabou. En matière de dette publique, la création d’un tel émetteur peut ne pas rimer avec rigueur dans l’emploi des fonds ainsi rendus disponibles. L’Histoire monétaire occidentale récente le démontre même si, face au chaos social de la récession, il faut bien agir avec vigueur.
Jean-Yves Archer
Economiste et membre de la Société d’Economie Politique