Dans cet article, Patrick Martin-Grenier revient sur l’utilisation faite par le président Emmanuel Macron du mot “guerre” à l’occasion des crises sanitaire et terroriste que traverse en ce moment le pays, et son inadéquation par rapport à la situation réelle.
Depuis le début de son quinquennat, Emmanuel Macron a, à plusieurs reprises, utilisé le mot « guerre ». « Nous sommes en guerre » est une expression qu’il avait abondamment employée lors de sa première intervention du 17 mars 2020 à propos du coronavirus avant d’adoucir son discours sur ce point. Puis il employa de nouveau ce terme pour illustrer la lutte de la France contre le terrorisme islamiste, à la fois sur le front extérieur (au Sahel avec l’opération Barkhane) et encore récemment sur le front intérieur depuis les assassinats perpétrés à Conflans-Sainte-Honorine puis à Nice.
Un vide juridique et politique
Mais il existe un vide abyssal entre le terme lui-même et la réalité juridique et politique que cette expression recouvre.
Une guerre, dans le sens premier sens du terme est « une lutte armée entre Etats ». Elle commence par une déclaration de guerre puis s’achève par un armistice ou un traité de paix.
Ni s’agissant du coronavirus, ni en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme, nous ne sommes dans cette situation.
S’agissant du coronavirus, le langage guerrier du président de la République a laissé la place à un langage de résilience et d’unité à l’instar des autres chefs d’Etat et de gouvernement qui n’ont jamais légitimé cette terminologie. Ainsi que l’avait alors déclaré le président de la République allemande, nous ne sommes pas en guerre car les gouvernements ne luttent pas contre leurs peuples. Il s’agit d’une initiative sanitaire destinée au contraire à les protéger. Que cela passe par des mesures de police qui deviennent de plus en plus inacceptables relève d’un autre débat.
En ce qui concerne les interventions sur les terrains extérieurs, plus aucun Etat en Europe ne peut, en conformité avec les principes des Nations-Unies, se déclarer en guerre. Si la France et d’autres pays interviennent au Sahel, ce n’est pas contre des Etats, mais dans le cadre de la lutte contre le terrorisme islamique. Là aussi, on voit bien les limites de ce type d’intervention militaire qui n’a, jusqu’à présent, fait l’objet d’aucun bilan, aucun audit, par le parlement français mis aujourd’hui complètement sous le boisseau.
Un discours présidentiel en décalage avec la Constitution
En parlant de guerre, le président de la République s’appuie implicitement sur la Constitution.
Or, celle-ci ne lui confère aucun autre pouvoir que celui de déclarer la guerre à un Etat étranger.
L’article 35 de la Constitution prévoit que « La déclaration de guerre est autorisée par le Parlement. Le Gouvernement informe le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées à l’étranger, au plus tard trois jours après le début de l’intervention. Il précise les objectifs poursuivis. Cette information peut donner lieu à un débat qui n’est suivi d’aucun vote ». Cet article est devenu obsolète sauf évidemment si la France était attaquée par un Etat es-qualité, ce qui n’est pas définitivement exclu.
Mais en même temps, la France ne pourrait s’en prendre à un Etat, ce qui a failli survenir cet été en Méditerranée entre les navires militaires turcs et français. Si tel avait été le cas, alors que l’intégrité de la France n’était pas en cause, une telle intervention aurait pu être qualifiée de « guerre » faite à un Etat et entraîner des représailles de la part de la Turquie. Après l’épisode dramatique des caricatures de Mahomet, il n’est pas exclu qu’un « Etat voyou » (selon l’expression consacrée en droit anglais « rogue state ») puisse d’une façon ou d’une autre provoquer une agression contre la France, mais un tel cas de figure paraît hautement improbable.
L’article 35 de la Constitution n’est donc plus opérationnel aujourd’hui et le chef de l’Etat ne peut se fonder sur les dispositions qu’il prévoit pour intervenir sur des terrains extérieurs, même au nom de la lutte contre le radicalisme musulman.
Une « guerre » intérieure ?
L’autre guerre selon le président de la République, se déroulerait sur le front intérieur. Il s’agit de lutter contre le radicalisme musulman. Mais là aussi, il semble bien démuni lorsqu’il emploie le terme de « guerre ». Il ne peut pas davantage s’appuyer sur l’article 35 de la Constitution, car l’idéologie combattue n’est pas un Etat étranger. Il s’agit de lutter contre un ennemi intérieur.
Certains ont alors évoqué l’article 16 de la Constitution qui octroie au président de la République des pouvoirs exceptionnels. Mais ce n’est tout simplement pas possible car les institutions de la République ne sont pas à l’arrêt, l’indépendance de la France n’est pas en cause, ni même l’intégrité de son territoire et les pouvoirs publics fonctionnent régulièrement sans difficulté.
L’article 16 ne fut utilisé qu’une seule fois du 23 avril au 29 septembre 1961 après ce qui fut regardé comme une tentative de coup d’Etat par les généraux en Algérie encore française. Nous ne sommes évidemment pas dans ce cas.
Reste alors l’article 36 de la Constitution relatif à l’état de siège décrété en conseil des ministres. Mais là encore, cette disposition est obsolète et inadaptée.
En effet, cet état de siège est décrété soit en cas de péril imminent résultant d’une guerre étrangère, soit en cas d’une insurrection armée. La conséquence immédiate est que cette situation a pour effet de transférer à l’autorité militaire les pouvoirs dont l’autorité civile est investie pour le maintien de l’ordre et la police (art. L. 2121-2, alinéa 1er, du code de la défense). La police devient alors assurée par l’armée. Sous la Ve République, l’état de siège n’a jamais été appliqué. Toutefois, les déclarations du président de la République après les assassinats islamiques de Nice annonçant un renforcement du plan Vigipirate et des effectifs militaires de l’opération Sentinelle à 7000 militaires a pu faussement laisser penser à une telle situation. Tel ne saurait être le cas, l’armée n’étant pas habilitée à contrôler les citoyens français.
La Constitution prive donc de base légale toute les déclarations relatives à la guerre faites par le chef de l’Etat.
L’état d’urgence, le seul outil opérationnel
Reste alors un autre outil qui n’est pas dans la Constitution mais qui n’autorise pas plus à parler de « guerre » : l’état d’urgence. L’état d’urgence résulte d’une simple loi votée alors qu’Edgar Faure était président du Conseil sous la IVe République, la loi n°55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, modifiée à plusieurs reprises, notamment en 2011 puis 2015 et 2016.
L’article 1er de la loi du 3 avril 1955, modifié par la loi n°2011-525 du 17 mai 2011 prévoit que « L’état d’urgence peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain, des départements d’outre-mer, des collectivités d’outre-mer (…) et en Nouvelle-Calédonie, soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ».
Il s’agit du seul outil aujourd’hui utilisable. François Hollande, alors président de la République, avait introduit un projet de réforme constitutionnel visant à intégrer l’état d’urgence dans la Constitution, en rajoutant un deuxième alinéa à l’article 36. Hélas, cette réforme, parasitée par le débat sur la déchéance de la nationalité, fut enterrée sans gloire.
En tout état de cause, l’état d’urgence ne transfert aucun pouvoir à l’armée, mais aux préfets et forces de police.
Il fut utilisé en 2005 par Jacques Chirac pour lutter contre les émeutes dans les banlieues, puis lors des séquences terroristes depuis 2015. Manifestement, il s’agit bien de lutter contre un ennemi ou un danger intérieur. Il serait très utile, afin de défendre les libertés publiques et constitutionnelles, que la notion d’état d’urgence soit intégrée dans la Constitution et devienne de fait invocable devant les juridictions.
En conclusion, il n’y a donc pas de guerre au sens juridique du terme ni à l’extérieur, ni à l’intérieur. Politiquement, cette expression suscite des passions et débats. Elle permet aux responsables politiques d’inscrire le pays dans un tel cadre qui n’existe pas et au chef de l’Etat de se poser en chef de guerre qu’il n’est pas.
Patrick Martin-Genier
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