Dimanche 26 septembre 2021 marquera la fin d’une époque dans une Europe singulièrement bouleversée par la pandémie et en quête de repères.
Une de ses dirigeantes emblématiques, la Chancelière Angela Merkel, qui aura incarné depuis 2005 à la tête de l’Allemagne une forme indéniable de stabilité et de solidité, va s’effacer de la scène politique mondiale au moment où tous les Européens ont sans doute plus que jamais besoin d’un point d’ancrage et d’un cap à tenir dans les eaux tumultueuses de l’heure. Nul ne sait encore quelles gouvernance et coalition émergeront des urnes de l’autre côté du Rhin, ni quel chemin empruntera l’un des partenaires les plus importants de la France en ce début d’automne d’ores et déjà porteur de nuées inquiétantes…
C’est dans ce contexte lourd d’incertitudes, à peine dépassé le paroxysme de la crise des sous-marins, qui vient de malmener profondément notre relation d’alliance traditionnelle avec les États-Unis à travers la rupture du contrat australien sans qu’on puisse à ce stade en mesurer totalement les répercussions dans le long terme, qu’intervient une annonce industrielle préoccupante pour l’avenir dans un autre secteur stratégique majeur et vital, le spatial, un des rares domaines où l’Europe peut encore faire montre d’une réelle autonomie et enrayer son effacement si elle en a collectivement la volonté politique.
Le leader européen des lanceurs spatiaux ArianeGroup, co-entreprise franco-allemande, est en effet contraint de supprimer 600 postes et va transférer la production du moteur réallumable de l’étage supérieur du lanceur Ariane 6, VINCI, de son usine de Vernon dans l’Eure vers le site d’Ottobrunn en Allemagne. La société forte d’un effectif de 7600 salariés, qui a généré un chiffre d’affaires de 2,5 milliards d’euros en 2020, espère ainsi améliorer sa compétitivité alors qu’elle est confrontée aux surcouts engendrés par des retards dans le développement de ce lanceur successeur d’Arizne 5 qui devrait diviser par 2 le prix des lancements, 7 par an au lieu des 11 prévus initialement, avec un premier tir officiellement prévu au cours du deuxième trimestre de 2022…
Ĺe plan d’adaptation des effectifs dans le cadre de départs volontaires ne devrait concerner que les fonctions de support sans engendrer de fermeture de sites des deux côtés du Rhin ; il éloigne la perspective d’un autre schéma où il était question de 2500 personnes en moins d’ici 2025… Le secteur spatial européen est donc confronté lui aussi à la fin d’une époque et à la nécessité d’une profonde mutation devant la féroce compétition de l’américain Space X et ses lanceurs réutilisables, dans une lutte et une course à l’innovation implacables et cela dans un environnement où la cohésion et le partage d’objectifs de politique industrielle commune sont de plus en plus difficiles à maintenir et justifier. Un accord franco-allemand conclu cet été a prévu un support financier de 140 millions d’euros supplémentaires par an à l’ESA (Agence spatiale européenne) pour mener à bien le programme Ariane 6. Cet accord comportait le volet transfert d’activité mentionné plus haut.
De sa capacité à maintenir son autonomie en matière de lancement, dépendent en grande partie la place que l’Europe peut prétendre occuper dans le concert des puissances spatiales et sa crédibilité tout court. L’Allemagne et la France sont au cœur de ce défi à relever pour autant que l’ensemble de leurs partenaires continuent à partager cette ambition. Une ère s’achève avec le départ d’Angela Merkel, Mutti comme l’ont surnommé affectueusement ses compatriotes, un modèle de persévérance, de force discrète et de fidélité à ses valeurs de liberté et de probité morale, auquel nombre d’Européens pouvaient s’identifier en période de crises, et une femme politique qui savait aussi reconnaître ses erreurs et redresser les situations hasardeuses. Il faut espérer que son retrait de la scène politique dans le difficile contexte actuel, illustré notamment par l’annonce industrielle du jour relative au développement d’Ariane 6, n’ouvre pas une période de turbulences encore plus inquiétantes…
Eric Cerf-Mayer