Il est légitime que ce saut dans une situation forcément différente suscite l’inquiétude et les interrogations les plus vives,ce d’autant que la brièveté de la campagne imposée par l’exécutif à des formations politiques prises de court par la soudaineté de la dissolution ne permettra pas un débat approfondi et raisonné sur les programmes. C’est un choix et celui qui l’a effectué n’a enfreint aucune règle constitutionnelle, tout au plus aura-t-il bousculé la marche des événements, avec cette image dérangeante de « la grenade dégoupillée » que beaucoup retiendront comme un des marqueurs de ces législatives inédites … Le coup de pied dans une fourmilière déjà passablement agitée, avec comme illustration les derniers débats perturbés par la gauche extrême au sein de l’Assemblée nationale sortante à grand renfort de drapeaux palestiniens, est aussi un aveu d’impuissance pour une majorité relative arrivée au bout de ses capacités de pilotage à la godille des affaires du pays…
Plus d’un commentateur ont été surpris par la forme brève de l’annonce de la dissolution, à peine les résultats des européennes connus. Dans la même tonalité, la lettre présidentielle adressée au pays quelques jours avant le premier tour semble prendre le même chemin et risque de résonner comme une sorte de testament avant l’heure. Le Chef de l’état choisit de peser de tout le poids de sa fonction sur le choix des électeurs en condamnant sans ambages les programmes des deux blocs en lice contre celui « central » qu’il entend encore incarner après avoir paradoxalement mis fin aux mandats de ses soutiens parlementaires . La droite nationale et le « nouveau » Front Populaire sont désignés comme vecteurs de chaos et le salut ne pourra provenir que du maintien d’Ensemble, une majorité présidentielle en immense difficulté où se dessine l’ombre portée de ceux qui aspirent au sein de son camp à tourner la page du macronisme et à remplacer la figure du chef presque par anticipation avant 2027. On bâtit difficilement du neuf sur des décombres sans les déblayer avant. Les promesses contenues dans cette missive ont elles-mêmes un arrière-goût de candidature à la présidentielle, comme un étrange retour dans le passé, avril 2022, l’année de l’élection aux débats de fond escamotés par l’irruption sur la scène internationale de la guerre en Ukraine, un passage à la trappe payé au prix fort aujourd’hui, même si ce calcul politique « gagnant » explique en bonne partie la reconduction pour un deuxième mandat au Champ de Mars dans un pays encore sous le choc traumatique de la pandémie et confronté à l’inconnu d’une guerre d’attrition à la marge Est d’une Europe en perte de repères… Deux années de tumultes se sont écoulées depuis, fruit amer d’une élection présidentielle par défaut dans un pays où les électeurs, quand ils se déplacent pour aller aux urnes, ont pris la fâcheuse habitude de voter contre une situation (ou un candidat) qui leur déplaît et non plus par adhésion à un programme ou au choix d’une autre gouvernance. « Avec ma confiance » ainsi finit la lettre… Mais n’est-ce pas là une étrange inversion de l’ordre logique des postulats ? C’est habituellement aux électeurs d’accorder leur confiance à tel ou tel candidat ou programme et non l’inverse ; en l’occurrence il appartiendra aux Français de confirmer ou non les choix effectués le 9 juin 2024. Ou alors se cache peut-être implicitement dans cette formule verticale une sorte d’aveu de remise en jeu du mandat reçu en 2022, révocable effectivement quand divorce patent il y a entre les attentes du peuple et l’exercice du pouvoir par le Souverain ? L’avenir nous dira très vite si la missive présidentielle relève de la bouteille jetée à la mer ou du renouvellement du serment originel de la macronie des débuts, une sorte de ralliement/sursaut miraculeux à une cause que les uns pensent perdue d’avance et les autres estiment encore jouable dans le contexte actuel…
La France est à la croisée des chemins dans un climat inquiétant de violence, voire de haine où tous les coups sont permis, les masques tombent les uns après les autres, mais où surtout les pressions les plus contraires à l’exercice d’une saine démocratie semblent désormais admissibles. Organisations syndicales jusqu’à celle de la magistrature (!), corps de fonctionnaires, diplomates, enseignants, professionnels de la santé, presse écrite, médias officiels relais de la doxa dominante et de la « bien-pensance » wokiste ou autre, sportifs, artistes,tout le monde y va de sa dénonciation du RN comme incarnation du mal absolu et de la résurgence de tout ce qu’il y a de plus répréhensible et condamnable en politique, en faisant abstraction au passage de l’opinion de millions de concitoyens qui ont voté pour cette formation le 9 juin et avant. Voudrait-on conduire le « cher et vieux pays » sur le chemin sans issue de la guerre civile dont on observe déjà les prémices dans les violences de rues récentes qu’on ne s’y prendrait pas autrement ! A l’heure des choix, les autorités et les relais d’opinion dans la société francaise de 2024 jouent un jeu dangereux en alimentant cette montée en puissance des tensions et de la haine au lieu de se concentrer sur les débats de fond, les seuls qui soient légitimes. On joue à craquer dangereusement des allumettes dans un paysage singulièrement abîmé par des incendies encore récents, sciemment pour ceux qui ont fait le choix d’agiter les fantasmes les plus délétères et de dévoyer les sujets les plus graves afin d’arriver au pouvoir autrement que par le passage aux urnes, bêtement pour les autres qui n’ont pas conscience de la folie de cette complaisance avec des jeux discutables.
Tous les voyants sont au rouge dans ce climat politique déplorable et les prédicateurs d’apocalypse, si tel ou tel bloc en dehors de celui qui est responsable du mauvais état actuel du pays remporte les législatives, ne se rendent même plus compte que le chaos est déjà bien installé dans les esprits et dans les faits. Quand face au drame révulsant de Courbevoie, un grand quotidien, qui a « formaté » les éléments de langage de générations entières de dirigeants français, publie une tribune osant établir une distinction entre des formes d’antisémitisme plus ou moins tolérables selon la couleur politique des indignes qui le professent, on mesure à quel point de naufrage moral on a pu descendre. L’affaiblissement du discernement intellectuel chez les uns, alliée à l’ignorance la plus confondante chez les autres, constitue un brouet des plus nauséabonds à quelques jours d’un vote décisif. Pouvons-nous continuer à avancer avec un personnel politique hors sol qui voit dans la statistique mortifère dès 120 coups de couteaux au quotidien une proportion non négligeable d’accidents domestiques ou bien qui affirme que le salaire moyen des Français qui s’élèverait à 4000 € ?Tout laisse à penser que nombre de nos concitoyens pensent qu’il est vital de changer de logiciel, de gouvernance et de méthode.
5 jours avant le 30 juin 2024, la France observe la triste destruction du hameau de la Bérardière en Isère, imputable au non-entretien d’une digue visiblement inefficace pour éviter le ravage des habitations par la montée subite des eaux. Image symbolique d’une France périphérique rurale, abandonnée et délaissée au profit des métropoles globales,. Dans le même temps, la Nouvelle-Calédonie s’embrase à nouveau avec le transfert dans des prisons métropolitaines de 7 indépendantistes kanaks, notamment Christian Tein tête du CCAT. Singulière interprétation des promesses de dialogue et appels à l’apaisement de l’exécutif au lendemain des émeutes de Nouméa, comme si on voulait là aussi engager les uns contre les autres dans la voie de la fracture irrémédiable et précipiter ce territoire vers l’indépendance de manière violente…
On le constate, l’actualité en cette veille de potentielle bascule n’incite pas à l’optimisme . Ainsi , une édile se préoccupe de sa baignade dans une Seine épurée pour la modique somme de 1,4 milliards d’euros, tandis que l’on reproche aux autres de ne pas chiffrer leurs programmes ?Ainsi des injures qui fusent entre adversaires ou au sein des mêmes camps, jusqu’à se réjouir ignoblement de la mort prématurée d’une députée européenne originaire de Corse à peine élue ? Est-ce là la France que l’on souhaite voir se déchirer dans un lent delitement insupportable ? Celle où dans un cortège du NFP on peut lire sur le panneau d’un manifestant « un flic mort = 1 voix en moins pour le RN » ? Ou alors un microcosme de responsables gouvernementaux, bien éloignés des combats d’antan évoqués par le Guépard , qui n’hesitent pas à traiter de cloportes des conseillers présidentiels issus de leur propre camp ?
Il faut bien sûr espérer qu’il existe une autre voie ainsi que d’autres solutions pour s’extraire de l’ornière dans laquelle le « cher et vieux pays » s’enfonce depuis de très nombreuses années…
L’heure des choix est à nouveau de retour par la « grâce » de cette dissolution qu’on promeut comme mûrement réfléchie. La France aspire à un réel changement de paradigme pour conjurer son déclin. En témoigne le nombre important de procurations qui semble indiquer que les électeurs s’apprêtent à se réconcilier avec les urnes et à surmonter leur lassitude pour des promesses jamais tenues, incarnée dans un taux d’abstention anormalement élevé, unique en Europe. La colère des Gilets jaunes et toutes celles qui ont suivi ont peut-être réveillé un instinct/réflexe de révolte devant la morgue d’une partie des élites qui a trop souvent inversé l’ordre naturel des consultations électorales en ignorant et confisquant les résultats ou en les enjambant sans vergogne quand ils n’allaient pas dans le sens souhaité par la pensée dominante.