Alors que les pouvoirs publics vont devoir procéder à une réactivation de l’économie pour rattraper les dégâts causés par la crise du coronavirus, Claude Sicard, économiste, consultant international, plaide pour la création de zones franches industrielles.
La crise du coronavirus aura mis au grand jour une des faiblesses majeures de l’économie française : l’amenuisement considérable des capacités de production de son appareil industriel. Les Français découvrent soudain que l’on ne fabrique plus grand chose en France. Ils s’étonnent de ce qu’il n’y ait pas de fabriquant de masques en tissu pour protéger du virus les personnels soignants des hôpitaux, et de ce qu’il faille aller s’approvisionner en Chine pour cela. Ils découvrent qu’il n’existe pas un seul fabriquant d’appareils respiratoires à poste fixe alors que les Allemands en ont deux et les Suisses un qui est, d’ailleurs, le plus réputé mondialement, et ils apprennent avec stupéfaction que 90 % de leurs médicaments ont leurs principes actifs produits en Chine, ou en Inde. Ils se demandent, alors, ce qui a bien pu conduire leur pays à une telle situation.
Nous avons indiqué, dans un récent article sur Figarovox (cf Figarovox du 8 avril 2020) l’erreur fatale qu’ont commis les dirigeants français en interprétant d’une façon erronée les travaux de l’économiste Jean Fourastié qui avait montré dans son ouvrage Le grand espoir du XXe siècle qu’une économie, en évoluant, voit sa population active passer successivement du secteur agricole au secteur industriel, puis, ensuite, du secteur industriel au secteur des services. Ils en avaient déduit, trop rapidement, qu’il était par conséquent normal que la France voie son secteur industriel fondre et disparaitre, sous l’effet de la modernisation du pays. Il fallait comprendre des travaux de Fourastié qu’une économie en se modernisant voit effectivement ses effectifs industriels se réduire, mais ce secteur devenant « hyper-industriel » conserve néanmoins un rôle important dans la formation du PIB du pays car il est constitué d’emplois à forte valeur ajoutée. Le secteur industriel français s’est tellement réduit qu’il a fallu, pour renouveler les fusils d’assaut de l’armée, que le ministère de la Défense nationale lance un appel d’offre international, la Manufacture d’armes de Saint-Etienne ayant mis la clé sous le paillasson. Ont répondu à cet appel d’offre deux firmes allemandes, une italienne, et une suisse, et c’est finalement l’Allemand Hecker & Koch qui fut choisi, avec son fameux fusil d’assaut HK 416 pour remplacer les vieux Famas.
Avec l’ouverture à la concurrence étrangère qu’a imposé la mondialisation, un grand nombre d’entreprises industrielles françaises ont périclité, puis disparu.
Le gouvernement, pas plus que les syndicats, ne surent prendre la mesure du problème, et, du fait des charges fiscales qui pesaient sur les entreprises du secteur productif et d’un code du travail totalement inadapté, les entreprises du pays se sont révélées non compétitives. Il faut dire, aussi, qu’elles n’avaient aucune expérience des marchés étrangers ayant vécu trop longtemps en vase clos grâce au vaste empire colonial français.
La France est un pays sinistré
L’industrie française n’intervient plus, à présent, que pour 10 % dans la formation du PIB du pays, alors qu’il devrait s’agir de 18 % à 20 % : la Suisse en est à 23 %, l’Allemagne à 24 % et l’Irlande à 32 %.
La France est à présent le pays le plus désindustrialisé de tous les pays européens, la Grèce mise à part.
C’est ce que montre le graphique ci-dessous où les chiffres sur l’industrie incluent aussi la construction (source BIRD) :
Cela explique toutes les difficultés que rencontre l’économie française : un budget de l’Etat en déficit chaque année, et ce depuis une quarantaine d’années maintenant, un taux de croissance de l’économie inférieur, en moyenne, à celui des autres pays européens, un chômage bien plus élevé que partout ailleurs, une balance commerciale fortement négative chaque année, et une dette extérieure qui croit régulièrement au point de s’élever maintenant au niveau du PIB du pays. On doit donc considérer que la France se trouve dans un état d’urgence, et qu’il faut qu’elle prenne à bras le corps son problème de réindustrialisation.
Pourquoi créer des zones franches industrielles ?
Pour faire repartir l’économie française et combler le retard de production causé par la crise du coronavirus, il faut que le gouvernement rétablisse la durée du travail à 40 heures/semaine (et 48, avec les heures supplémentaires), comme c’est le cas partout ailleurs en Europe. Et il est indispensable qu’il aligne d’urgence la fiscalité des entreprises industrielles sur celle des autres pays européens.
Des études récentes ont montré que les impôts sur la production, en France, représentent 3,2 % du PIB, alors qu’il s’agit de 0,47 % en Allemagne, et 0,8 % aux Pays-Bas ; et la moyenne dans la zone européenne est à 1,6 % seulement.
Et, pour rattraper le retard pris sur ses voisins, en matière industrielle, il serait sans doute utile que la France envisage de créer plusieurs zones franches industrielles. Cette proposition de création de zones franches a déjà été formulée, d’ailleurs, par le président de France Industrie, Philippe Varin, ancien PDG de Peugeot. L’industrie est, en effet, l’élément clé pour générer de la richesse dans les pays, encore aujourd’hui : cela se constate par la corrélation très forte existant, quand on examine un ensemble de pays, entre leur production industrielle calculée par habitant et leur PIB/capita, et le coefficient de confiance de cette corrélation est extrêmement élevé. C’est ce que montre le graphique ce dessous :
L’Allemagne, avec une production industrielle par habitant de 13.088 US $ a un PIB/capita de 47.603 dollars, et la France avec un ratio plus faible, 7.001 US$, a donc un PIB/capita bien inférieur : 41.463 dollars seulement. C’est la Suisse qui est en tête, avec une production industrielle de 20.804 dollars par habitant et un PIB/capita de 82.796 dollars.
Les zones franches constituent un outil très efficace de développement.
Elles sont faites pour attirer des investissements étrangers et rendre les entreprises qui s’y implantent beaucoup plus compétitives. Ce sont des aires géographiques bien délimitées où les entreprises bénéficient d’avantages particuliers : impôts réduits, accès gratuit au foncier et à l’eau, énergie à un tarif préférentiel, etc. Les pays en voie de développement ont eu énormément recours à ce dispositif, et on compte ainsi, aujourd’hui, 2.260 zones franches dans le monde, alors qu’il n’y en avait que 1.735 en 2010. La Chine, comme on le sait, a utilisé très largement cette recette et on voit ce qu’il en est advenu : elle a multiplié les zones économiques spéciales, la plus connue étant celle de Shenzhen, et elle a créé aussi des ZFS (zones franches commerciales) et des ZFE (zones franches frontalières).
Quel type de zones franches dans le cas de la France ?
Ce qu’il faut créer, en France, très vite, ce sont des zones franches industrielles, en les spécialisant. Il va s’agir de combler un certain nombre de manques existant dans le tissu industriel du pays. Et l’on commencerait par deux zones, l’une dédiée aux industries pharmaceutiques, et l’autre aux matériels et équipements médicaux : ce sont des produits et des biens dont le pays a un urgent besoin et qu’il faut être en mesure de produire aux moindres coûts possibles. Bruxelles, qui a une doctrine tout à fait libérale, pourrait y trouver à redire, mais il faut bien voir que des distorsions considérables se constatent, dans toute l’Union européenne, en matière tant de coût du travail que de fiscalité. Bruxelles, pour l’instant, n’a pas été capable d’y mettre de l’ordre, et la politique fiscale, en raison du principe de subsidiarité, est toujours du domaine des autorités budgétaires nationales. Une étude réalisée tout récemment par le cabinet KPMG pour le MEDEF a montré que des entreprises fonctionnant exactement de la même manière et ayant des productions identiques se retrouvent, en fin d’année, avec des résultats comptables tout à fait différents, selon le pays dans lequel elles sont installées.
Pour un résultat, en fin d’année, de 100 pour une entreprise installée en France, on a 190 en Italie, 213 en Allemagne, et 236 aux Pays- Bas.
Et une étude du ministère français de l’Economie, réalisée par Yves Dubief et Jacques Le Pape, a montré que les impôts sur la production, en France, sont beaucoup plus élevés que dans les autres pays : ils représentent 3,2 % du PIB, alors qu’il s’agit de 0,8 % aux Pays-Bas et de 0,47 % en Allemagne. Et si le coût de l’heure de travail est sensiblement le même en France et en Allemagne : 37,7 € en France, et 37,1 € en Allemagne, pour l’industrie et les services marchands (source Rexecod ), il faut bien voir que les entreprises allemandes pour être fortement compétitives ont recouru à la sous-traitance dans les divers pays de l’Europe de l’Est qui les bordent. Elles ont considérablement utilisé cette facilité.Dans ces pays on a, en effet, des coûts de main d’œuvre extrêmement bas, allant de 8 à 12 euros de l’heure, et les marchandises circulent librement dans toute la Communauté économique européenne.
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a adressé tout récemment un tweet aux chefs de gouvernement des pays membres dans lequel elle leur dit : « Aujourd’hui, et c’est nouveau et n’a jamais été fait, nous déclenchons la clause dérogatoire générale. Cela signifie que les gouvernements nationaux peuvent injecter dans l’économie autant qu’ils en ont besoin ». Faisons le, donc, et de la manière qui nous convient. Il faut donc qu’un pays comme la France ne manque pas de saisir cette opportunité pour mettre en place plusieurs zones franches industrielles dans le pays. Ce serait une disposition temporaire, d’une vingtaine d’années vraisemblablement, qui pourrait permettre de relever quelque peu le niveau du secteur industriel de ce pays, qui en a bien besoin. Il faudrait que la puissance publique, pendant un certain nombre d’années, dans ces zones franches industrielles, prenne à sa charge la part employeur des charges sociales pour les personnels travaillant dans ces territoires, en plus évidemment des allégements de fiscalité propres à ce type de zone. Nous avons calculé que cela permettrait de ramener le coût de l’heure à 24 euros environ. La prise en charge des charges patronales pourrait, par exemple, s’appliquer seulement pendant les cinq premières années, pour chaque entreprise, et elle serait financée par la Région concernée.
La France a déjà connu, avec les zones franches urbaines (ZFU), une première expérience en matière de zones franches. Créés en 1997 pour une durée très limitée, dans des zones urbaines sensibles, elles avaient pour finalité de résoudre des problèmes sociaux. Cette expérience qui relevait de la politique de la ville n’a pas été très concluante : trop de clauses administratives paralysantes et des avantages par trop réduits pour les bénéficiaires. Il conviendrait que ce relatif échec serve de leçon pour que l’administration française ne retombe pas dans les mêmes erreurs.
Dans le cas des zones franches que nous suggérons à ce pays de créer, il va s’agir, avant tout, d’attirer des investissements étrangers plus encore qu’il ne le fait aujourd’hui, ce qui n’était nullement l’objectif des ZFU.
On se trouve au moment où s’opère le Brexit, et des zones industrielles bien conçues correspondraient parfaitement aux exigences des investisseurs étrangers.
Dans le baromètre EY de juin 2019, qui renseigne sur l’attractivité des pays pour les IDE, il était rappelé ce que souhaitent avant tout les dirigeants étrangers qui envisagent d’ investir en France : simplification des procédures administratives, fiscalité plus compétitive, réduction du coût du travail, et plus de flexibilité dans le droit du travail. Précisément, les zones franches industrielles que nous suggérons de créer répondraient à toutes ces exigences. Elles constituent toujours un levier important pour créer de nouvelles activités industrielles, mais, bien évidemment, elles ne feront pas tout : elles ne sont que l’un des éléments du nouveau dispositif à mettre en place par la France pour relancer son industrie, et résorber ses problèmes de chômage. Au moment où les pouvoirs publics du pays vont devoir procéder à une réactivation de l’économie pour rattraper les dégâts causés par la crise du coronavirus, créer plusieurs zones franches industrielles devrait être une initiative faisant partie du plan de relance.
Claude Sicard
Economiste, consultant international