Il y a chez certains une joie mauvaise à clamer que l’homme est aujourd’hui puni par une nature maltraitée, note Bernard Attali.
Nous payons le poids de nos fautes disait-on en 1940 ! La naïveté de certains ayatollah de l’écologie avoisine le ridicule. Combien d’entre eux ont soutenu, à l’occasion de la crise, que seul le retour à la nature pouvait pallier les maux de notre époque ? Avec, à la clé, la décroissance, bien sûr. À peine une vieille réminiscence désagréable leur a interdit de soutenir que la terre ne ment pas.
Bien sûr ces prêcheurs ne sont pas les seuls à profiter des circonstances pour nous resservir leurs vieilles rengaines au lieu d’explorer des voies nouvelles. Mais dans leur cas ils prennent leurs obsessions pour des idées. Il y a dans les écrits de Stefan Zweig une page magnifique qui remet le débat sur la nature là où il doit être. L’écrivain, si sensible aux merveilles du monde, remarquait à la fin de la Première Guerre mondiale combien au cours du conflit le paysage le plus beau lui était apparu glacé, hostile, indifférent à la souffrance des hommes. Il écrivait en 1918 : « L’invariable beauté de la nature me faisait frissonner presque haineusement… Plus elle déployait sa beauté sous nos yeux plus c’était douloureux de voir son absence de regard, d’éprouver cette insensibilité que nous appelons, en les aimant, paysages et nature.. »
Au moment où un simple virus fait comprendre aux hommes que leur espèce est menacée cette leçon mérite d’être méditée.
Contrairement à ce que répètent quelques penseurs de plateaux télé la nature, même très belle, ne saurait être déifiée.
Comme nous le voyons en ce moment elle est porteuse de menaces mortelles. C’est la grandeur de l’homme que de savoir l’admirer tout en s’efforçant de la domestiquer. Ce serait aussi la grandeur de l’homme que de contrôler les effets du progrès sur la nature, de trouver la juste distance entre maîtrise et hubris, entre éthique et technique. S’il est critiquable de ne pas respecter la nature il est absurde de lui vouer un culte aveugle. Cela s’appelle la mesure.
Les philosophes grecs, passionnément modérés, l’avaient compris. Lorsqu’ils appelaient bonheur la recherche d’une harmonie avec le Cosmos, il ne disaient rien d’autre.
Bernard Attali
Président honoraire d’Air France
Ancien chargé de mission au Plan
Ancien délégué à la Datar