En 2008, la France et le Kazakhstan signaient un partenariat stratégique, que les deux pays ont souhaité renforcer, à l’aune du déplacement du président du Kazakhstan, Kassym-Jomart Tokaïev, en France, en novembre dernier.
C’est à l’aune de ce partenariat stratégique pérenne, mais désormais à renforcer, et à quelques jours de la tenue, de la deuxième édition de l’Astana International Forum (29-30 mai 32025), que l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), sous le parrainage et en présence de Bruno Fuchs, Député du Haut-Rhin, Président de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, a organisé une conférence portant sur « La France et le Kazakhstan : un partenariat stratégique renforcé, passerelle et accélérateur de la coopération entre l’Europe et l’Asie centrale ».
Cette initiative de dialogue stratégique aura ainsi souligné et tenu à rappeler que les relations privilégiées qui existent entre Paris et Astana, fondées sur de forts liens d’amitié, connaissent depuis quelques années un nouvel essor.
En effet, le partenariat stratégique entre le Kazakhstan et la France scellé en 2008, a été élevé, en novembre 2024, dans le cadre de la visite d’Etat à Paris, du Président du Kazakhstan, Kassym-Jomart Tokaïev, au niveau d’un partenariat stratégique renforcé.
Celui-ci est désormais caractérisé par une volonté claire et commune de diversifier davantage les relations existantes en utilisant le grand potentiel que présentent de nouveaux secteurs d’investissements mutuellement bénéfiques, tels que l’énergie à l’aune de la transition énergétique et le développement durable ; l’exploitation des minerais critiques ; la santé ; les infrastructures et les projets industriels ; le développement des réseaux et hubs logistiques de transport de marchandises ; l’innovation numérique et les technologies avancées – telles que l’intelligence artificielle et le développement numérique ; l’agro-industrie ; ainsi que la lutte contre le changement climatique, comme l’a rappelé, du reste, le président Tokaïev, à Samarcande, lors du Sommet UE – Asie centrale.
Au sein de la région d’Asie centrale, composée de cinq états (Kazakhstan, Ouzbékistan, Turkménistan, Tadjikistan, Kirghizistan) forte de ses 75 à 80 millions d’habitants, dont 35% a moins de 15 ans d’âge, le Kazakhstan renforce ainsi incontestablement son rôle de leader régional, autant sur le plan politique qu’économique, notamment, eu égard à son positionnement diplomatique caractérisé par l’efficacité de son modèle de médiation – à l’instar du processus d’Astana sur la Syrie, à partir de 2017 -, son aspiration envers une diplomatie multi-vectorielle – caractérisée per une politique « zéro problème avec tous ses voisins » – et une multi-appartenance revendiquée aux organisations intergouvernementales (OIG) à l’instar de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE), de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS), de l’Organisation du Traité de Sécurité Collective (OTSC), de l’Union Economique Eurasiatique (UEE), de l’organisation des états turcs (OTS), de la Communauté des Etats indépendants (CEI), ou encore de la Conférence pour l’interaction et les mesures de confiance en Asie (CICA)…
Cette diplomatie, profondément non-alignée, est également « dénucléarisée » sur le plan militaire depuis le Traité de Semipalatinsk, ratifié en 2009, qui confirme le statut de puissance dénucléarisée du Kazakhstan, que le Traité d’interdiction de l’arme atomique voté à l’ONU en 2017 est venu confirmer. Il va de même avec son approche interculturelle des relations internationales.
Rappelons, à cet égard, que le Kazakhstan, plus grand pays enclavé au monde (2,7 millions de Km2, soit quatre fois et demi la superficie française) a lancé, au niveau onusien, une initiative visant à fédérer les 44 états enclavés ou pays ne disposant pas d’accès à la mer.
Cette région a ainsi, ardemment besoin de consolider son « autonomie stratégique », à même de bâtir une intégration régionale plus solide, que le récent sommet UE – Asie centrale de Samarcande, en Ouzbékistan (3-4 avril 2025) en présence de la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, et du président du Conseil européen, Antonio Costa, est venue confirmer.
La première réunion en format Union Européenne – Asie centrale au niveau des Chefs d’Etat avait, d’ailleurs eu lieu à Astana, en octobre 2022, à laquelle avait participé le Président du Conseil de l`Union Européenne de l’époque, Charles Michel.
Cet élan de solidarité inter-régionale dévoile ainsi un nouvel axe bilatéral fort entre l’UE et l’Asie centrale, dont le Kazakhstan présidé par Kassym-Jomart Tokaïev s’est fait, ces dernières années, un porte-parole engagé et apprécié.
Ce qui pourrait ressembler, de prime abord, à une énième réunion de coopération de l’Union Européenne avec une région voisine révèle en filigrane une volonté pour ces Etats enclavés d’asseoir leur position aussi stratégique que multilatérale, mais aussi l’occasion idoine pour l’UE d’étendre plus fermement sa légitimité au cœur du continent asiatique.
Faut-il rappeler qu’en juin 2019 déjà, l’Union Européenne adoptait une « Nouvelle stratégie pour l’Asie centrale », qui soulignait, déjà, l’importance grandissante de cette région aux yeux des Européens, et ce, en instaurant des accords d’investissements stratégique et de coopération diplomatique.
Cette nouvelle approche du « deuxième cercle » de notre voisinage (en complément du Partenariat oriental, autour de la Mer Noire et dans le Caucase du Sud) a été renforcé, du reste, en septembre 2022, avec l’objectif du « Global Gateway », présenté par la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, lors de son discours sur l’état de l’UE, visant à renforcer l’interconnexion de l’UE avec le reste du monde.
Il s’agit d’une stratégie de plus de 40 milliards d’euros de dépenses en technologie et en infrastructures, considérée par beaucoup et, à juste titre, comme la matérialisation de cette recherche d’influence en Asie centrale, voulue et perçue, notamment comme une réponse aux nouvelles routes de la Soie, à l’instar de la « One Belt, One Road – OBOR » lancée en novembre 2013, en présence des présidents chinois, Xi Jiping et kazakh, Nursultan Nazerbayev, à Astana, devenue depuis la « Belt and Road Initiative – BRI ».
L’UE a, en effet, de multiples intérêts dans cette zone qui est – tout aussi géographiquement que politiquement – un couloir naturel entre l’Europe et l’Asie, au cœur de l’Eurasie, pourvoyeuse de nombreuses ressources énergétiques et porteuse d’un marché potentiel fort.
Ce sont ainsi 10 milliards d’euros, qui avaient été mobilisés, en 2022, à l’occasion du premier forum d’affaires UE – Asie centrale. Ce sont désormais 12 milliards supplémentaires qui ont été identifiés, lors du récent sommet de Samarcande, que le prochain deuxième Investment forum devrait confirmer d’ici quelques semaines.
Par ailleurs, en 2024, le Kazakhstan aura ainsi consolidé sa position de première économie d’Asie centrale sur la base de plusieurs indicateurs clés, tels que :
- Le PIB national ait atteint 288 milliards de dollars US, soit le niveau le plus élevé de toute la région et représentant 50% du PIB régional ;
- Le PIB par habitant s’élève désormais à 14 300 dollars, soit près de 20 fois plus qu’en 1993, ce qui place le Kazakhstan au seuil des économies à revenu élevé.
Cette performance économique s’appuie sur une croissance qui, en 2024, a atteint + 4,8 %. Du reste, les prévisions pour 2025 s’élèvent à + 5,4%. Le Kazakhstan demeure aussi le principal pôle d’attraction des investissements directs étrangers dans la région : en 2024, ce pays a attiré 17 milliards de dollars US de nouveaux projets – soit 63 % de l’ensemble des IDE en Asie centrale.
Aujourd’hui le Kazakhstan s’affirme également comme un carrefour logistique incontournable entre l’Europe et l’Asie : grâce à sa position stratégique au cœur de l’Eurasie. Ce sont, désormais 80 % du fret ferroviaire entre la Chine et l’Europe qui transite d’ores et déjà par le territoire kazakh via le Corridor du Milieu (Middle Corridor) reliant Asie et Europe. Ainsi, en 2024, le volume des transports de conteneurs – via ce corridor – a augmenté de 62 %, atteignant 4,5 millions de tonnes. L’objectif est désormais de porter ce chiffre à 10 millions de tonnes d’ici 2027.
Grâce à ces investissements structurants et à une coordination régionale renforcée, les délais de livraison entre la Chine et l’Europe, via cette route commerciale, sont aujourd’hui compris entre 19 et 23 jours, avec des expéditions prioritaires pouvant atteindre leur destination en à peine deux semaines.
Dans ce contexte, il convient aussi de rappeler que le Kazakhstan représente aujourd’hui 80 % du commerce entre la France et l’ensemble de l’Asie centrale, ce qui fait de ce pays le partenaire strategique naturel de la France dans la region. Ce chiffre, à lui seul, illustre aussi la centralité stratégique d’Astana dans les chaînes d’approvisionnement mondiales et les plans de développement régionaux des entreprises françaises.
La France figure ainsi parmi les cinq premiers investisseurs étrangers dans le Kazakhstan. Depuis 2005, ce pays a attiré plus de 20 milliards de dollars d’investissements français – un chiffre en constante hausse qui témoigne de la solidité et de la profondeur de nos relations économiques bilatérales.
Le pays d’Asie centrale reste le premier exportateur régional de pétrole brut (avec 88,4 millions de tonnes produites dont 68,8 millions exportées) que ses immenses réserves pétrolières (30 milliards de barils) place au 12ème rang mondial des réserves mondiales.
De plus, le Kazakhstan demeure le premier producteur mondial d’uranium, représentant près de 37% de la production mondiale (23 270 tonnes) ; sans oublier qu’avec 815 200 KT, le Kazakhstan détient la deuxième place en termes de réserve prouvées d’hydrocarbures, derrière l’Australie.
En 2024, la production a atteint 23 270 tonnes, grâce, notamment à la relance de plusieurs sites miniers. Mais aussi le Kazakhstan est l’exportateur régional le plus crédible et fiable, de minerais d’uranium, cuivre et concentrés, ferro-alliages, blé, ainsi que de minéraux critiques – essentiels pour les chaînes de valeurs industrielles et énergétiques.
Le Kazakhstan dispose ainsi de plus de 130 gisements connus, sur les quelques 380 recensés par l’US Geological Survey, incluant des éléments stratégiques tels que le phosphore, le néodyme, le praséodyme, l’yttrium, le cérium, le scandium, ou encore, le tantale.
Cette situation permet paradoxalement de sceller l’entente entre le bloc d’Asie centrale mené par un Kazakhstan friand d’ententes multilatérales et l’Union Européenne dont les membres ne veulent pas être dépassés par une nouvelle crise migratoire.
L’UE est, d’ailleurs, toujours un partenaire économique majeur, c’est même par exemple le partenaire commercial principal du Kazakhstan puisqu’elle représente 40% de la balance commerciale du pays.
Si l’Asie centrale souhaite se rapprocher davantage de l’Union Européenne et que l’inverse est réciproque, cela ne se fera en revanche pas sans garanties et engagements sur des réformes démocratiques pour ces anciennes républiques soviétiques, après 34 ans d’indépendance, au contraire des partenariats conclus avec la Russie, la Chine, ou encore la Turquie.
L’Union Européenne trouverait, ainsi, de réels intérêts à valoriser sa relation avec les pays d’Asie centrale à l’occasion de cette crise afghane, et reconnaître le poids de cette région tant que partenaire politique à part entière, notamment par le biais du Kazakhstan qui fait preuve d’une réelle volonté, du reste, fréquemment renouvelée, de coopération internationale, en particulier dans le domaine de la sécurité de ses frontières.
Aujourd’hui, la région de l’Asie centrale revêt une importance stratégique croissante pour l’Europe. Les 27 états membres de l’UE et les 5 pays d’Asie centrale, sont, en effet, unis par la même conviction que la prégnance du droit, la légitimité des normes juridiques et la pertinence des critères sociaux convergents, notamment ceux tendant vers une harmonisation des règles ESG (environnementales, sociales et la gouvernance) et DEI (diversité, équité et inclusion). Cette diplomatie juridique, serait non seulement mutuellement bénéfique, par le truchement d’une harmonisation socio-économique et une coopération diplomatique à explorer, mais elle aurait aussi l’insigne avantage pour l’UE de revisiter les dogmes d’une relation trans-Atlantique qui bat de l’aile et, en parallèle, permettrait à l’Asie centrale de s’émanciper quelque peu de la « tutelle » que Moscou entend maintenir vis-à-vis de ses anciennes républiques socialistes soviétiques.
L’invasion de l’Ukraine par la Russie, depuis le 24 février 2022 a profondément modifié les moyens traditionnels d’obtenir les ressources énergétiques et les produits alimentaires nécessaires. Par ailleurs, la politique étrangère erratique de la nouvelle administration Trump offre moult avantages à se tourner vers les pays d’Asie centrale.
Le Kazakhstan en particulier, par sa taille critique, ne serait-il ainsi pas la meilleure chance de l’UE de sortir de son régionalisme extérieur pour redevenir une force de médiation, de stabilisation et d’affirmation de sa puissance singulière sur la scène internationale ?
Emmanuel Dupuy
Président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE)