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dans International, La Revue, N°1098

La francophonie au Liban : « Elle plie, et ne rompt pas »

Alexandre NajjarParAlexandre Najjar
23 mars 2021
Drapeaux du Liban et de la France

La francophonie au Liban n’est pas liée au Mandat exercé par la France sur ce pays de 1920 à 1943 : le français y existait bien avant cette époque, grâce aux missions religieuses (Lazaristes, Jésuites, Capucins…), à la création par les Jésuites de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth (1875) et aux échanges liés au commerce de la soie ; il a survécu au départ des troupes françaises au lendemain de l’Indépendance proclamée en 1943. C’est dire l’attachement des Libanais à la francophonie, considérée comme une ouverture sur le monde et une source d’enrichissement culturel. Le président libanais Charles Hélou, qui fut aussi un grand journaliste et écrivain d’expression française, ne s’y est pas trompé : « La francophonie n’est pas (et ne peut pas être) un impérialisme politique ni un impérialisme linguistique, répétait-il. Elle est et restera un fraternel dialogue des cultures »…

Le français dans les écoles et les universités du Liban

Membre de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), organisateur du IXe Sommet des Chefs d’État francophones et des VIe Jeux de la francophonie, le Liban compte 2 861 établissements scolairesfrancophones. D’après les statistiques du Centre de recherche et de développement pédagogique (CRDP), 51 % de ses écoles privées et publiques (ou « officielles ») enseignent le français comme deuxième langue après l’arabe, la plupart d’entre elles préparant leurs élèves au baccalauréat français : en 2018-2019, sur 1 076 616 élèves scolarisés, 543 402 suivaient l’enseignement francophone.

Au niveau de l’enseignement supérieur, le Liban compte plusieurs universités francophones membres de l’Agence universitaire de la francophonie (AUF), dont l’USJ, qui accueille plus de 12 600 étudiants, l’École Supérieure des Affaires (ESA), l’USEK, la Sagesse et la filière francophone de la Faculté de droit de l’Université libanaise. De plus, chaque année, près de 1 700 nouveaux étudiants libanais intègrent des universités en France, notamment en master et en doctorat.

Toutefois, ce constat « optimiste » est tempéré par trois facteurs inquiétants : l’invasion de l’anglais et du « globish », perceptible dans la rue, dans les campagnes publicitaires, à la télévision et au cinéma, qui a encouragé la création de nombreuses écoles anglophones, sachant que 70 % des élèves libanais (au lieu des 51 % actuels) étaient scolarisées dans le réseau des écoles francophones il y a vingt ans ; l’engouement pour les universités anglophones qui explique que « 55 % des bacheliers libanais du bac français et des filières scolaires dites francophones rejoignent les universités anglophones du pays ou à l’étranger », selon le recteur de l’USJ, Salim Daccache, ce phénomène pouvant être attribué au « caractère trop scolaire des universités francophones », à « l’attirance de la jeunesse pour la langue anglaise » et à « l’importance de cette langue dans le monde professionnel », d’où l’adjonction de cours en anglais au cursus de plusieurs établissements francophones, contrebalancée, il est vrai, par l’ouverture de classes en français dans certaines universités anglophones, comme l’AUST ; et, enfin, la crise financière et économique aiguë qui frappe le Liban et qui a poussé la France à voler au secours des écoles francophones du pays (y compris les cinq établissements de la Mission laïque française), particulièrement affectées.

Tout compte fait, en dépit des menaces précitées, le français a encore de beaux jours devant lui au Liban.

Au lieu d’être supplanté par l’anglais, considéré comme la « langue de la communication et des affaires », et bien qu’il souffre d’un déficit d’image (le français étant réputé « langue difficile » ou « langue de salon »), il conserve encore son statut de langue seconde, l’anglais arrivant en troisième position – sachant que, de l’aveu même des linguistes, le passage du français vers l’anglais est plus aisé que l’inverse, ce qui devrait encourager les parents à privilégier les écoles francophones. En réalité, le trilinguisme apparaît aujourd’hui comme la meilleure garantie d’une cohabitation pacifique entre la langue de Molière et celle de Shakespeare au pays du Cèdre…
Une importante littérature d’expression française

Sur le plan littéraire, force est de reconnaître, à côté de la traditionnelle littérature libanaise d’expression arabe, la présence importante d’une littérature d’expression française. C’est dans la Ville lumière, au début du siècle dernier, que cette littérature a connu ses premiers balbutiements. Exilés à Paris pour fuir les persécutions des autorités ottomanes, des publicistes libanais – qui ont pour nom Khalil Ghanem (rédacteur au Figaro et au Journal des Débats), Nadra Moutran ou Boulos Noujaim – adoptent la langue française comme arme de combat contre la domination ottomane. Mais c’est avec Chucri Ghanem (1861-1929), auteur d’un recueil poétique intitulé Ronces et fleurs où figure un admirable bouquet de poèmes chantant la splendeur du Liban ou prônant la résistance contre « le Turc orgueilleux et cupide », que les contours d’une littérature libanaise francophone commencent à se dessiner. Auteur inspiré, Ghanem compose de nombreuses pièces de théâtre (Ouarda, Tamerlan…) et rencontre le succès avec Antar, tragédie poétique en cinq actes, jouée à l’Odéon en 1910 et saluée par la critique…

La période de l’entre-deux-guerres connaît un essor considérable de la langue française au Liban, placé sous Mandat français, et la naissance d’un courant nouveau qui, pour contrecarrer la poussée du panarabisme, prône le retour aux origines phéniciennes et défend une « certaine idée » du Liban. Ce mouvement du « libanisme phénicien » gravite autour de la Revue Phénicienne, fondée en 1919. Il a pour piliers un quatuor d’exception : Charles Corm, auteur en 1934 d’un recueil poétique intitulé La Montagne inspirée qui le hisse au rang de « poète national » ; Hector Klat, capable aussi bien d’hymnes à la francophonie (Le Cèdre et le Lys, 1935) que de bouleversantes prières à sa mère disparue (Sainte Maman, 1944) ; Elie Tyan, auteur du Château merveilleux et de nombreux chefs-d’œuvre inédits ; et le député de Beyrouth, Michel Chiha, fondateur en 1934 du quotidien Le Jour, essayiste, poète et chroniqueur, qui a laissé dans la vie culturelle et politique du Liban une marque indélébile… De cette époque, il convient de citer aussi le poète Alfred Abousleiman, décédé à l’âge de 23 ans, auteur d’un admirable recueil intitulé Cendres chaudes, et trois femmes, pionnières du roman libanais d’expression française : Eveline Bustros, Amy Kheir et Jeanne Arcache.

À l’heure où le monde balaie précisément les « cendres chaudes » laissées par la Seconde Guerre mondiale, le Liban se dépoussière.

La figure marquante de cette ère nouvelle placée sous le signe du renouveau est Georges Schehadé, celui-là même qui fit dire à Saint-John Perse (qui le publia dès 1930 dans la revue Commerce) : « Poète qui l’est plus, poète qui l’est mieux ? ». Proche des Surréalistes, doté d’un style transparent, dépouillé, Schehadé est l’auteur de plusieurs pièces de théâtre et de recueils poétiques qui le placent au premier rang des écrivains francophones. Fouad Abi Zeyd (1915-1958), auteur d’une œuvre qui a pour pivot le thème du désir, fait lui aussi figure de novateur. Libérant son vers, rompant avec la prosodie classique, Abi Zeyd a osé s’aventurer dans des voies encore inexplorées. Moins novatrice est l’œuvre de Fouad Gabriel Naffah : auteur d’un recueil poétique intitulé Description de l’Homme, du Cadre et de la Lyre, lauréat du prix René Laporte en 1964, Naffah écrit selon le rite classique et les écarts qu’il se permet ne sont pas, à proprement parler, révolutionnaires. La minutie de l’analyse, les élans lyriques, la sincérité du ton font toutefois de son œuvre une des plus attachantes de notre littérature.

Dans le roman, s’il est une voix tout à fait originale, c’est bien celle de Farjallah Haïk, auteur d’une œuvre romanesque abondante (Joumana, Abou Nassif, Barjoute, La Fille d’Allah), dont l’écriture remarquable dissèque la psychologie du Libanais, explore les contradictions de la société libanaise, aussi bien rurale que citadine, et dévoile ses zones d’ombre.

La guerre venue, certains auteurs à la sensibilité exacerbée vivent cette expérience comme une blessure profonde, une déchirure. Nadia Tuéni est de ceux-là. Œuvres émouvantes de sincérité, Archives sentimentales d’une guerre au Liban et La Terre arrêtée portent en elles toute la douleur du monde, tout le courage d’une femme qui, selon ses propres dires, s’identifie à chaque « inconnu qui meurt à genoux ».

Des écrits d’Andrée Chedid, auteur d’une œuvre très dense, la guerre du Liban a été rarement absente. Malgré l’éloignement de la poétesse du pays aimé, malgré le ton généralement serein qu’elle adopte, son lecteur palpe la profondeur de la blessure ouverte par le drame libanais : « Comment se détourner de votre image, mes frères ? », clame-t-elle dans Cérémonial de la violence.

L’œuvre de Vénus Khoury-Ghata, couronnée par de nombreux prix, dont le Prix Goncourt de poésie, le Prix de poésie de l’Académie française et le Prix de poésie de la SGDL, est également imprégnée de cette douleur attisée par l’absence. Une tristesse infinie se dégage des vers de la poétesse qui a senti la mort annoncée du Liban la hanter en même temps que la mort de l’être cher et qui, néanmoins, parvient à puiser dans son intériorité la force nécessaire pour « ouvrir la porte au jour ».

Si un poète comme Jad Hatem a su préserver son œuvre dense, nourrie de philosophie et de mysticisme, de ce qu’il appelle « le dard de la guerre », il n’est pas certain que le poète et essayiste Salah Stétié, qui, après un silence éloquent de dix ans, a publié chez Gallimard L’Autre Côté brûlé du Très Pur, bientôt suivi par plusieurs autres recueils poétiques à la langue admirablement ciselée, soit sorti tout à fait indemne de la guerre – cette guerre qui a pour symboles l’épée et la neige, et qu’il considère comme l’envers du « très pur ». Ancien diplomate et responsable de L’Orient littéraire dans les années 1960, homme à l’érudition éblouissante, Stétié a toujours milité pour un Islam éclairé. Quant à Amin Maalouf, élu à l’Académie française en 2011 et auteur de nombreux ouvrages à succès (Léon l’Africain, Samarcande…) parus pendant et après la guerre, il a, en publiant Le Rocher de Tanios, couronné en 1993 par le Prix Goncourt, offert au Liban le roman qu’il attendait de lui : un roman qui lui parle de son passé, de ses contradictions, des intrigues qui font et défont les alliances conclues sur son sol, et des croyances ancestrales qui hantent ses enfants…

La paix revenue, de nouveaux auteurs libanais ou d’origine libanaise ont fait irruption dans le paysage littéraire francophone.

Dramaturge et romancier qui partage sa vie entre le Québec et la France, Wajdi Mouawad a connu un vif succès avec des pièces aux accents de tragédie grecque comme le quatuor Littoral, Incendies, Forêts et Ciels, marquées par des tirades percutantes et une mise en scène audacieuse. Écrivain exigeant au style ample, Charif Majdalani s’est penché dans ses romans (Histoire de la Grande maison, Nos si brèves années de gloire) sur les itinéraires singuliers de familles libanaises confrontées à des drames personnels ou régionaux, et sur le Liban des années 1960, époque de révoltes, de liberté et de doutes. Son livre Beyrouth 2020 a été couronné par le prix Femina de l’essai. Quant à Percy Kemp, romancier à l’écriture subtile et à l’humour très « british », il a divisé son œuvre entre romans intimistes sur les sens (Musc) et thrillers dans la veine d’un John Le Carré (Le Système Boone). À ces auteurs, il convient d’ajouter les romanciers Dominique Eddé, Ghassan Fawaz, Ramy Zein, Hyam Yared ou Diane Mazloum, et les essayistes Gilbert Achkar, Georges Corm, Antoine Basbous, Samir Kassir, Joseph Maïla, Antoine Messarra, Tarek Mitri, Bahjat Rizk, Ghassan Salamé et Antoine Sfeir, auteurs d’essais destinés à éclairer l’actualité et les rapports de l’Occident avec le monde arabe…

La presse et l’édition en crise

Le Liban a longtemps bénéficié d’une importante presse francophone comprenant, à côté du quotidien L’Orient-Le Jour, fruit de la fusion de deux journaux concurrents, et son supplément L’Orient littéraire, deux hebdomadaires (Magazine et La Revue du Liban), une revue économique (Le Commerce du Levant) et une multitude de mensuels. Mais la plupart de ces périodiques ont dû mettre la clé sous la porte ou se convertir au numérique à cause de la crise. Quant à l’édition libanaise francophone, elle a perdu de nombreuses maisons, incapables de maintenir leur activité en raison de nombreux obstacles : crise économique, dévaluation de la livre, hausses du prix du papier et du coût d’impression, recul du pouvoir d’achat, annulation de tous les salons du livre et fermeture des librairies à cause du coronavirus… Les éditeurs qui survivent se concentrent sur le secteur scolaire et diffusent leurs parutions aussi bien au Liban que dans le monde arabe, voire en France, ou concluent des accords de coédition avec leurs homologues français afin de proposer au lectorat libanais des livres à prix réduits…

Le Liban occupe également un rang appréciable parmi les importateurs de presse et de livres en français, rang qu’il risque de perdre en raison de la dévaluation de sa monnaie ; il organise le Salon du livre francophone de Beyrouth qui accueille chaque année des écrivains de renom et près de cent mille visiteurs. Certaines régions du pays, comme le Chouf ou Nabatiyeh, autrefois dominées par la langue anglaise, privilégient désormais la langue française grâce à l’action de l’Institut français et au retour de nombreuses familles chiites qui vivaient dans des pays francophones d’Afrique. Le français n’est plus la chasse gardée de la bourgeoisie chrétienne d’Achrafieh : il est actuellement pratiqué par toutes les classes sociales aux quatre coins du pays. Il suffit pour s’en convaincre de considérer le nombre d’étudiants inscrits en Lettres françaises dans la section de la Békaa de l’Université libanaise….

Un soutien politique accru

Sur le plan politique, la francophonie, chapeautée par l’OIF, constitue un espace de dialogue pour les États membres et a toujours adopté des résolutions appelant à la souveraineté du Liban. Les bonnes relations avec la France, renforcées au temps du général de Gaulle qui séjourna au pays du Cèdre quand il était commandant, et consolidées sous le mandat de Jacques Chirac qui a œuvré à l’évacuation des troupes syriennes du Liban suite à l’assassinat en 2005 du Premier ministre libanais Rafic Hariri dont il était proche, se sont poursuivies sous le mandat d’Emmanuel Macron qui a tenu à visiter Beyrouth à deux reprises : au lendemain de l’explosion du port le 4 août 2020 et lors de la commémoration du centenaire de la proclamation par le général Gouraud de l’État du Grand-Liban, le 1er septembre 1920. Sous son impulsion, au cours de l’année scolaire 2020-2021, une aide de 5 millions d’euros a été accordée aux familles libanaises des écoles francophones homologuées sous forme d’une prise en charge partielle ou totale des scolarités de 9 000 élèves nécessiteux au sein des 45 établissements scolaires à programme français. « Cette aide exceptionnelle s’inscrit dans la réponse d’urgence sans précédent que la France a bâtie à hauteur de 15 millions d’euros pour aider le réseau des écoles homologuées au Liban », a affirmé l’ambassadrice de France au Liban, Anne Grillo, qui a aussi rappelé l’engagement du président français à « accroître ce soutien par une aide plus spécifique de 7 millions d’euros pour la reconstruction des écoles endommagées par l’explosion du 4 août ». Le Liban apparaît ainsi comme le seul partenaire de la France à bénéficier d’un tel dispositif de soutien qui combine à la fois une aide aux familles libanaises et françaises, une aide à la trésorerie pour les établissements francophones, une aide à la reconstruction, un soutien spécifique aux « écoles d’Orient », sans compter de nombreux dons de manuels scolaires et d’outils pédagogiques et culturels…

Enfin, grâce à sa connaissance de la langue française, le Libanais s’est toujours intégré facilement au sein des communautés francophones qui l’ont accueilli. Pendant la guerre, il a naturellement trouvé refuge dans les pays ayant avec lui « le français en partage », comme la France, le Canada, la Belgique, la Suisse ou plusieurs pays africains, élargissant ainsi la diaspora libanaise déjà bien fournie…

Franbanais et libanismes

Sur le plan linguistique, nombre de Libanais, à l’instar des Maghrébins, mêlent le français et l’arabe (on parle alors de « franbanais »), parfois même le français, l’arabe et l’anglais, comme dans la formule : « Hi, kifak, ça va ? ». Des mots comme « bonjour », « merci », et plusieurs vocables empruntés au lexique de la mécanique (échappement, parfois prononcé « achkmane », chambre à air, bougie…) sont devenus courants dans le parler libanais. Certains mots en français ont également été arabisés : « chawfar » veut dire faire le chauffeur, « akkas » mettre un X (une croix), « tallat » faire tilt, « mkankan » rester chez soi comme dans un cocon, alors que « sayyav » est l’équivalent arabe de « save » ou « sauvegarder ». À vrai dire, c’est la langue arabe qui semble aujourd’hui menacée au Liban : la nouvelle génération se tourne davantage vers l’anglais et le français, jugés plus séduisants et plus utiles ; elle emploie l’alphabet latin pour échanger courriels et SMS en arabe – cette « romanisation » ayant pour conséquence de marginaliser l’alphabet arabe.

Cela dit, le Libanais qui s’exprime en français reste libanais : il est souvent trahi par son accent chantant et sa manière de grasseyer maladroitement ou de rouler les « r » qui a fait dire à Amin Maalouf dans son discours de réception à l’Académie française : « Ce léger roulement qui, dans la France d’aujourd’hui, tend à disparaître a longtemps été la norme. N’est-ce pas ainsi que s’exprimaient La Bruyère, Racine et Richelieu, Louis XIII et Louis XIV, Mazarin bien sûr, et avant eux, avant l’Académie, Rabelais, Ronsard et Rutebeuf ? Ce roulement ne vous vient donc pas du Liban, il vous en revient. Mes ancêtres ne l’ont pas inventé, ils l’ont seulement conservé, pour l’avoir entendu de la bouche de vos ancêtres, et quelquefois aussi sur la langue de vos prédécesseurs…. »

Quant aux « libanismes », ils n’ont pas réussi à intégrer les dictionnaires de langue française, contrairement à certains mots en usage au Québec, en Belgique, en Suisse ou aux Antilles, admis au titre de « régionalismes ». Pourquoi cet ostracisme ? Parce que les « libanismes » sont plutôt des erreurs de langage ou des fautes dues à une traduction littérale de l’arabe, et ne représentent pas vraiment un enrichissement pour la langue de Molière, déjà assez malmenée comme ça. Parmi les « libanismes » les plus en répandus : « Fais-toi voir » (pour signifier : « Revoyons-nous »), traduction de l’arabe « khallina nchoufak » ; « Il est brave à l’école » (pour dire : « Il travaille bien ») ; « Crier ou rire sur quelqu’un », par analogie avec l’arabe : aayat aw déhék aalé ; « Je quitte » (pour dire : « Je m’en vais ») ; « Un jour oui, un jour non » (« Un jour sur deux »), expression inspirée de l’arabe : « yom é, yom la’ » ; « Direction d’une voiture », au lieu de « volant » ; « Faire un accident » (aamel hadess), pour dire : « Avoir ou subir un accident » ; « Ne me dis pas ! » (Ma t’éllé !) pour exprimer l’étonnement ; « Faire ses cheveux » (émlet chaara) pour signifier : « Aller chez le coiffeur » ; « Hausser le son » (aalla el sawt) au lieu de : « Augmenter le volume » ; « Débrouiller quelque chose » (dabbar chi), alors que le verbe débrouiller est intransitif ; « Parler avec quelqu’un » (yehké maao) au lieu de « Parler à quelqu’un » ; « C’est un numéro » (nomra) à propos d’une personne excentrique… Même pour lire l’heure, la déformation est patente : on entend parfois « trois heures et demie cinq » au lieu de « trois heures trente-cinq », par référence à l’arabe où l’on dit : « tlété w noss w khamsé ». Ces écarts ne sont pas bien graves : ils sont devenus tellement courants dans la société libanaise que même les puristes ne s’en émeuvent plus !

On le voit : la francophonie au Liban résiste encore malgré les vents contraires : elle « plie, et ne rompt pas » comme le roseau de la fameuse fable de La Fontaine. Mais en raison des crises graves que le pays traverse actuellement, elle devrait pouvoir compter sur le soutien de l’OIF et celui de ses partenaires francophones, dont bien entendu la France, pour être en mesure de maintenir le cap… 

 

Alexandre Najjar
Avocat et écrivain
Responsable de L’Orient littéraire, lauréat de l’Académie française,
Médaillé d’or de la Renaissance française
Il est l’auteur du Dictionnaire amoureux du Liban, Plon, 2014. Il a reçu le Grand Prix de la Francophonie de l’Académie française (2020).

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