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dans N°1114, Politique

La laïcité en France et la liberté de conscience

Blandine KriegelParBlandine Kriegel
10 octobre 2025
La laïcité en France et la liberté de conscience
Analyse

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et des guerres coloniales, dans le contexte de l’établissement d’un nombre important de concitoyens musulmans sur le territoire français, l’affaire du foulard de Creil en 1989 a précipité le renouveau du débat sur la laïcité. Et depuis, en courants contraires, l’eau a coulé sous les ponts.

LAÏCITÉ ET DISPARITÉ

Malgré des divergences visibles et la multitude des sujets abordés concernant l’immigration, on peut estimer, avec Jean- Marc Sauvé, que d’une manière générale la laïcité dans ses principes a été maintenue et confortée en France. Mais un espace de disparité évident s’est dessiné entre les Avis du Conseil d’État, la promulgation de lois nouvelles, l’établissement d’institutions, les interrogations pour trouver un équilibre entre la laïcité, la liberté de conscience et de culte, l’égalité des citoyens de toute confession, tous principes qui se trouvent au cœur de la tradition républicaine, au moment même où celle-ci était brutalement contestée par l’islamisme et le terrorisme.

Rappelons les décisions juridiques adoptées qui ont scandé le débat.
En 1995, le Conseil d’État a levé l’interdiction sur le port du voile à l’École, réclamée par le Proviseur de Creil et des intellectuels de renom (E. Badinter, R. Debray, C. Kintzler).

En retour, la Commission dirigée par Bernard Stasi, mise en place par le Président Jacques Chirac, recommande à l’unanimité, (moins la voix de J. Bauberot), dans un rapport présenté par René Rémond et Alain Touraine, la proposition de loi qui sera promulguée le 15 mars 2004. Elle interdit, dans les collèges et les lycées publics, les signes et les tenues ostensibles d’appartenance religieuse.

On lui doit, selon les rapports officiels, une ou plusieurs décennies de paix civile dans l’école.


En mars 2010, le Conseil d’État après avoir estimé dans un avis commandé qu’il n’existe « aucun fondement juridique incontestable au port du voile intégral », a cassé les arrêts des maires contre le port de la burqa sur les plages.

A contrario, la loi du 12 octobre 2010 interdit le port du voile qui empêche la reconnaissance de l’identité dans l’espace public, le Conseil constitutionnel en excepte les lieux de culte.

Le 27 septembre 2024, le Conseil d’État valide l’interdiction portée par le ministre de l’Éducation nationale de l’abaya et du qamis dans l’enceinte des écoles, collèges et lycées publics…

On peut ainsi en déduire que la constitutionnalisation française et européenne des droits de l’homme, le Conseil constitutionnel et la CEDH, après la loi de 2004 sur l’interdiction des signes religieux ostensibles à l’école, les lois de 2010 et 2021, l’édiction de la charte de la laïcité dans les services publics et à l’école ont donc conforté et appliqué, de novo, le principe de laïcité, inscrit dans la Constitution de la Ve République. Les différentes Hautes autorités administratives et commissions indépendantes (du HCI au Comité interministériel) ont fortifié l’ossature légale et juridique du principe laïque. Appliqué dans le service public,
 et dans les écoles, collèges et lycées, le principe de laïcité n’a pas été jusqu’alors retenu pour les étudiants, les usagers et l’ensemble des citoyens comme s’imposant par-delà la liberté de conscience et d’expression.

Cet état de choses a dessiné l’écart qui sépare le principe de laïcité dans l’espace public et l ’application des libertés individuelles. Peut-on en venir à bout ? Avant de répondre à cette question difficile, rappelons d’abord que la laïcité continue d’être vivement discutée et quelquefois condamnée.


Deux objections ont retenu l’attention : la première est la comparaison avec d’autres formes de sécularisation. La seconde, la mise en cause, selon certains, de la liberté de conscience par le principe de laïcité.

 

HISTOIRE ET COMPARAISON

« Comparaison n’est pas raison » dit la vieille sagesse rhétorique. Cependant on a opposé volontiers à la laïcité française, l’exemple des pays anglo-saxons réputés plus libéraux. Pour promouvoir l’égalité de leurs citoyens, ils ont reconnu et accepté le communautarisme, institué des statistiques ethniques et la discrimination positive. Aux yeux de ceux qui souhaitent les imiter, la laïcité, « une exception française », serait synonyme du refus d’accepter la diversité et le multiculturalisme, à l’âge de la mondialisation.

Pour saisir le fondement de cette opposition, il faut donc revenir à l’histoire du début des temps modernes au moment où se déchaînaient, à l’intérieur de la chrétienté, les inexpiables guerres de religion entre catholiques et protestants. La redéfinition des rapports du religieux et du politique, que l’historiographie désigne souvent comme « secularism » ou « essor de l’esprit laïc », n’a pas en effet emprunté les mêmes chemins dans les pays dominés par le protestantisme et dans les pays catholiques, par exemple en Angleterre et en France.


Qu’en a-t-il été ?

Pour rétablir la paix civile, dans le contexte de la domination d’une large majorité protestante et de petites minorités demeurées catholiques, les Anglo-saxons et les pays protestants ont reconnu aux individus quelquefois confortés par une Église établie, telle l’Église anglicane, le soin d’instituer de nouvelles normes politiques. Ils ont élargi les libertés individuelles et protégé les droits des minorités ou accepté, comme plus tard aux États-Unis, de nombreuses communautés dissidentes qui se réglaient elles-mêmes, sans intervention de l’État.

Dans la France du XVIe siècle, largement peuplée de 16 millions de gens, la situation était bien différente. Les protestants minoritaires, face à une population catholique majoritaire, représentaient néanmoins deux millions de personnes dont beaucoup comptaient dans les élites aristocratiques et intellectuelles et non
 quelques milliers de dissidents marginalisés. De 1562 à 1598, nous avons connu pas moins de huit guerres de religion qui nous ont effroyablement éprouvés.

La solution recherchée ici par le Parti des Politiques, qui rassemblait les modérés des courants catholique et protestant, s’est finalement réalisée grâce à Henri IV et au fameux Édit de Nantes promulgué en 1598 pour établir la tolérance. L’Édit reconnaissait aux protestants la liberté de culte et de conscience. La victoire d’Henri IV n’est pas celle d’un camp religieux sur un autre, des réformés contre les catholiques, mais à l’opposé, le dépassement des divisions religieuses. Bref, le succès conjoint des modérés des deux partis, catholique et protestant, la victoire du Parti des Politiques, du parti de ceux qui déjà s’appellent républicains et qui ont eu pour penseurs Michel de l’Hospital, Montaigne, Philippe Duplessis-Mornay et Jean Bodin, contre les extrémistes des deux camps religieux. C’est à eux que l’on doit la doctrine de la souveraineté qui met à l’abri des emprises impériales, féodales et cléricales. En Europe, un autre texte, La Lettre de Majesté de Rodolphe II de Habsbourg, promulgué dans la Prague humaniste de Tycho Brahé, fera écho à l’Édit de Nantes qui annonce les multiples traités de tolérance publiés aux XVIIe et XVIIIe siècles (Milton, Spinoza, Voltaire, Locke).


L’idée laïque d’un dialogue et d’un respect des différentes confessions sera perdue avec la honteuse révocation de l’Édit de Nantes.

Mais elle a été reprise par la société civile du XVIIIe siècle dans la philosophie des Lumières et dans la franc- maçonnerie où s’est approfondie et élargie l’idée de la laïcité. Elle aboutira au rétablissement, avant la Révolution, de la liberté des cultes pour les protestants. Mais déjà le fait a précédé le droit pour donner aux protestants dans la société d’ordre de l’Ancien Régime un accès aux responsabilités politiques.

Deux voies donc bien différentes qui ont chacune leur avantage et leur inconvénient. La voie anglo-saxonne a été évidemment plus accueillante aux libertés individuelles mais moins ouverte à l’accueil politique des adversaires catholiques


La voie française, qui fait de la force de l’État le rempart contre tous les conflits religieux, a été plus chiche avec les libertés individuelles mais plus généreuse dans le partage des charges politiques.

On a confié ici à l’État, non aux individus, le soin d’éteindre les guerres de religion et d’établir la paix civile, selon un plan qui a réussi et dans des conditions qui ressemblent, en vérité, à celles que nous connaissons aujourd’hui avec une majorité de Français de confession catholique, et où l’Islam est devenu la deuxième religion en nombre de nos concitoyens.

Cette voie française aboutit à la loi de 1905 promulguée sous la IIIe République comme un acte de liberté en résonance avec la Déclaration de 1789. L’article 1 de la loi stipule : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes ». L’article 2 institue la neutralité de l’État en matière religieuse, : « La République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte ». Elle met fin au Concordat signé en 1802 avec Rome par le gouvernement de Bonaparte.

Elle cesse de reconnaître « la religion catholique comme celle de la majorité des citoyens français » pour classer l’ensemble des cultes, catholique, protestant, juif et même musulman dans les départements d’outre-mer, sous un statut de droit privé. Procédant à l’inventaire des biens des églises et laissant à l’État la propriété des édifices, elle confie le libre exercice du culte à des associations privées.

Sans doute cette loi a-t-elle été vécue, hier, comme un déchirement par de nombreux catholiques traditionnels, notamment dans les campagnes de l’Ouest ou des Flandres insurgées, elle a bientôt été acceptée par la majorité des Français comme une loi républicaine de neutralité et de tolérance. Ainsi que l’ont souligné Jean-Marie Mayeur et René Rémond, les partisans de la politique de Léon XIII ont précipité le ralliement des catholiques à la République. Certains y ont vu non pas une humiliation mais une émancipation de l’Église rendue à ses véritables fonctions.


La loi de 1905 a correspondu à la consolidation de la République qui était encore esseulée au cœur d’une Europe monarchique et impériale. Elle a prolongé et conforté la politique laïque de la IIIe République. Au lendemain de l’affaire Dreyfus, les gouvernements de défense républicaine rappelleront qu’il n’y a pas de privilège pour des corps séparés de l’État républicain, et que l’Armée et l’Église doivent se plier aux lois de la
 République caractérisées par la liberté de conscience et le respect des droits des personnes.

La loi de séparation a suscité des émules et fait naître des imitations : en Turquie, avec Mustafa Kemal qui l’a admirée lorsqu’il était stagiaire à l’école d’artillerie de Toulouse et a voulu reproduire dans son pays ; au Mexique avec la révolution républicaine ; puis dans la jeune République espagnole de 1931. L’exception française n’est pas totale.


L’histoire des nations comme la vie individuelle des humains est inscrite dans la finitude et vectorisée. On en peut réorienter le courant que si on connait sa source. Au moment où nous sommes confrontés à la coexistence nécessaire avec une grande minorité religieuse qui est celle de la religion musulmane, il est dangereux de sauter par-dessus notre passé et périlleux d’oublier comment la laïcité, c’est-à-dire un État neutre qui reconnaît la liberté de conscience et de religion, nous a permis jadis de mettre fin aux conflits religieux.


LA LIBERTÉ DE CONSCIENCE

Le second argument soulevé contre le principe de la laïcité est celui de la liberté de conscience. Son impératif est notamment invoqué par le courant salafiste et les Frères musulmans pour imposer naguère le port des signes religieux ostensibles
dans la totalité de l’espace public, professionnel et civil et comme mot d’ordre, aujourd’hui, pour valider la substitution de la loi islamique aux lois de la République, au motif que la laïcité empiète gravement sur la liberté de conscience si elle ne l’anéantit pas complètement. La laïcité est-elle devenue, comme le disait Galilée de la cosmologie médiévale, « un orgue désaccordé » ?

La réflexion s’impose : qu’est-ce que la liberté de conscience ? D’où vient-elle et comment s’applique-t-elle ?

Quelle est-elle ? Disons rapidement que la liberté de conscience est la liberté de penser, et partant, qu’elle est au fondement même de la liberté religieuse comme des libertés politiques, d’opinion et d’expression. 

Elle est inscrite dans une double tradition juridique et historique.

Tradition juridique : la liberté de conscience est amplement affirmée dans les textes français et internationaux qui nous régissent : la Déclaration des droits de l’homme, la loi de 1905, la Constitution de 1958, la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Charte européenne des droits fondamentaux. La Déclaration a été insérée au préambule de la Constitution de la Ve République et reconnue comme faisant partie du bloc de constitutionnalité.

Mais que trouve-t-on de singulier et qui fait notre spécificité dans les articles 4 et
 10 de la Déclaration des droits de l’homme et dubcitoyen?

L’article 4 établit la liberté comme un droit naturel qui n’est pas fondé sur la volonté d’un sujet « maître de lui comme de l’univers » et n’agit pas comme un coureur des bois dans une nature dépeuplée ou un cartésien dans un monde vide et désenchanté. Sa liberté est bornée par l’interdit de « nuire à autrui » et limitée par l’exercice des mêmes droits assurés aux « membres de la société ». Avant Paul Ricœur et Emmanuel Lévinas, la Déclaration s’intéresse déjà à « autrui » et les droits de la Déclaration ne concernent pas des solitaires.


De même, la liberté d’opinion et la liberté religieuse sont subtilement et minutieusement encadrées dans l’article. On interprète trop souvent le « pourvu qu’elle ne trouble pas l’ordre… » comme un principe administratif d’état de police.Mais c’est mal lire le texte qui vise non le trouble à l’ordre public mais « l’ordre établi par la loi » c’est- à-dire l’ensemble du système juridique des lois. Autrement dit les tenants des libertés individuelles ne peuvent empiéter sur leurs droits réciproques ni déroger aux lois pu
bliques. Les droits de l’homme jusqu’aux lois républicaines exclues.

La liberté expressément affirmée se trouve également strictement articulée « à la jouissance de ces mêmes droits pour tous » et subordonnée à l’ordre établi par la loi. Articulation aux autres droits humains, subordination à la loi signifient explicitement le refus d ’absolutiser l’un de ces droits au détriment du droit et de la loi. Aucun droit si « inaliénable et sacré » qu’il soit ne peut être absolutisé et dissocié des autres.


C’est dire que la tradition juridique de l’énoncé des droits naturels est parallèle, en quelque sorte, à la mise en place de la laïcité. Les droits de l’homme sont liés aux droits des citoyens et s’ils ne relèvent pas directement de l’État, ils sont étroitement associés au droit politique. Ils sont individuels mais appliqués aux membres du corps social et limités par le système entier des lois. Ils ne sont pas, comme le voudra la doctrine libérale du XIXe siècle, fortement influencés par l’Angleterre protestante, des droits purement privés.


Mais d’où vient la liberté de conscience ?

De la tradition historique : la liberté de conscience s’est affirmée en France dans une longue histoire du XVIe au XVIIIe siècle afin d’installer la liberté religieuse et la tolérance, par le refus de la dogmatique et pour enraciner la liberté politique par le rejet de la servitude et de la tyrannie. Parmi d’autres, Sébastien Castellion, Montaigne, Étienne de La Boétie, Jean-Jacques Rousseau ont joué un rôle éminent.

Pour discréditer le massacre des hérétiques et disqualifier le blasphème, Castellion a observé combien illusoire était le projet de se débarrasser des idées par « des hallebardes et des épées » car elles relèvent de l’âme et non du corps.

On ne peut combattre les idées que par les idées. La pensée dure après la mort de celui qui l’a conçue.


Montaigne dans le chapitre 19 du livre II des Essais intitulé « De la liberté de conscience » commence par déclarer que la sagesse est de se rallier à la religion de la majorité. Mais il choisit incontinent d’exalter l’attitude de l’Empereur Julien l’Apostat décrié pour avoir rétabli le paganisme après Constantin. Pure provocation ? Pas exactement. Que retient-il de l’attitude de Julien l’Apostat ? Sa bienveillance à l’égard d’un évêque aveugle qui l’a insulté dont il ne tire pas vengeance mais aussi ses efforts pour faire respecter les diverses confessions et les multiples courants sectaires à l’intérieur de l’une d’entre elles. Pour Montaigne la liberté de conscience c’est l’accommodement raisonnable de la pluralité des confessions.


Étienne de La Boétie dans le Discours de la servitude volontaire a exclu la liberté de ne pas être libre car : « il ne peut tomber en l’entendement de personne que na
ture nous ait mis en servitude alors qu’elle nous a mis en compagnie ». Cette liberté – ajoutait-il – « qu’on doit défendre avec les dents et les ongles comme le font naturellement les animaux ». Les humanistes combattent le consentement à la servitude imposée également par les Églises ou les tyrans, pour lui substituer la liberté. L’idée est relayée par Rousseau : « les esclaves perdent tout dans leurs fers jusqu’au désir d’en sortir ».

C’est donc Jean-Jacques Rousseau qui disqualifie définitivement la volonté de servitude en portant le coup décisif contre Grotius qui prétendait légitimer l’esclavage établi par un contrat volontaire. Rousseau tonne « qu’on ne peut faire de contrat sur la vie d’autrui sur laquelle on a aucun droit […] Ces mots, esclavage et droit, sont contradictoires ». À l’opposé de la conception métaphysique de la liberté, on ne peut absolutiser la liberté subjective fondée sur la seule volonté. Parce qu’il y a des droits inaliénables reconnus à tous. « Inaliénables et sacrés », reprendra la Déclara- tion de 1789 inscrite au préambule de la Constitution.


Revenons sur la burqa, présentée par certains islamistes comme un symbole de la liberté de conscience. Finalement interdite dans l’espace public par la loi de 2010, au motif qu’elle dissimule l’identité de celle qui la porte, elle a donné lieu à un débat très vif sur les relations entre la laïcité et la liberté de conscience.


Remarquons au préalable que ceux qui défendent la burqa n’ont cessé d’affirmer leur sympathie pour le petit nombre d’États islamiques qui ne reconnaissent aucunement la liberté de conscience. Ceux-ci rejettent, en effet, la liberté de croire ou de ne pas croire, criminalisent le blasphème, interdisent le changement de religion et ne reconnaissent pas davantage l’égalité devant la loi : « sans distinction d’origine, de race ou de religion », pas plus qu’ils n’appliquent l’égalité des hommes et des femmes. Le résultat est que dans les pays qui n’ont pas procédé, comme au Maroc, à la réforme de la Moudawana, les femmes sont profondément inégales aux hommes, au civil comme au pénal : dans le mariage, la femme demeure sous la tutelle de son père ou de son mari et elle n’hérite pas dans les mêmes conditions. Devant un tribunal, son témoignage n’a pas la même valeur que celui d’un homme. La complémentarité invoquée par certains juristes musulmans ne suffit pas à remplacer l’égalité.

C’est à l’occasion du projet de loi sur le port de la burqa que le Conseil d’État, sollicité, a rendu un avis défavorable à l’interdiction, mis en ligne le 30 mars 2010, parce qu’il estimait : « qu’une interdiction générale absolue du voile intégral en tant que tel ne pouvait trouver aucun fondement juridique incontestable ». Était-ce le cas ? Je reviens sur son argumentation.


Après d’autres considérations, le rapport s’était arrêté sur le principe d’égalité. Il ne pouvait selon lui : « être opposé à une femme
 qui revendique personnellement la liberté d’être inégale ». À ce point le rapport entre en délicatesse avec la longue tradition historique républicaine qui, contre la soumission des consciences et des personnes, a exclu la liberté de ne pas être libre. Mais il heurte également la lettre des textes juridiques. Elle ne provient pas de l’ego cogito et de la liberté métaphysique chers à Descartes. Dans le système des droits inaliénables reconnus à tous, on ne peut absolutiser une liberté subjective fondée sur la seule volonté. « Droits inaliénables et sacrés » proclame la Déclaration de 1789 qui sera inscrite dans notre droit constitutionnel. Il est exclu de ne pas être libre. Il est interdit d’être inégal. Aucun homme n’a le droit de se vendre, aucune femme n’a le droit de s’assujettir.

 

L’idée qu’on puisse fonder un droit humain sur la seule volon- té d’un individu est une idée contraire à la tradition républicaine comme à ses textes juridiques.

 

D’où vient alors la liberté de conscience ? Aussi individuelle qu’elle doive être, elle est issue de la longue élaboration historique théologico-politique du système des libertés religieuses et politiques, des principes républicains de la liberté qui comprennent aussi, chez nous, la laïcité. Bref d’ « une pensée politique qui n’est pas seu- lement l’affaire du Prince » (Descartes).

Tout cela est bel et bon me direz-vous, mais à quoi servent ces vieilles lunes dans le débat actuel qui prend souvent l’allure d’une foire d’empoigne ?


D’abord, à exprimer un regret. Ce devrait être au rapporteur du Conseil de se réclamer de la tradition historique et juridique de la République plutôt qu’à la modeste philosophe, auteur de ces lignes. Ensuite à souligner que ces vieilles lunes gardent une actualité.

Celle d’abord de substituer l’articulation à l ’absolutisation des différents droits humains. C’est parce que la laïcité possède un lien très profond avec la République, qu’elle est si mal acceptée par tous les intégrismes qui prétendent substituer la loi de Dieu, entendez la charia, aux lois de la République.


Ensuite d’interroger la nécessité de creuser si profondément aujourd’hui, comme la jurisprudence nous y invite, la séparation de la sphère publique et de la sphère privée qui n’est pas celle de nos textes.


La jurisprudence est tout à fait nécessaire pour distribuer, au cas par cas, toutes nos libertés qui ne sont pas interchangeables. Nécessaire également pour les relier à nos lois. Nécessaire enfin pour rappeler que la neutralité de la République laïque ne peut être une neutralité de méconnaissance du fait religieux, mais doit être une neutralité de reconnaissance. Reconnaissance de la liberté de conscience et de la liberté de culte, reconnaissance dans les différentes questions de l’éthique de la sagesse accumulée par les autorités spirituelles diverses. La laïcité doit non seulement vivre avec les religions, mais elle
 doit aussi les accueillir puisqu’elles sont une partie de la vie des hommes. Ce qui alimente leur soif de liberté, leur sens de la dignité, c’est aussi toutes les spiritualités qui se sont épanouies grâce précisément à la laïcité. En matière de dogme, en matière de conviction, l’État n’a pas à légiférer, il doit en revanche concentrer toute sa force pour maintenir, contre les prosélytismes sectaires qui veulent agir par la persécution, l’intimidation ou la terreur, la neutralité sans partage de l’espace public laïque.

Mais changeons de terrain, comment ne pas comprendre aujourd’hui que les difficultés d’intégration en France d’une minorité de migrants et non de la majorité de nos concitoyens musulmans, difficultés attisées par les islamistes, sont liées au fait qu’ils ont eu le sentiment que la promesse républicaine n’a pas été suffisamment tenue pour eux en matière sinon de santé, du moins d’emploi, d’ascension sociale et de respect comme ils le demandaient souvent c’est-à-dire de liberté de conscience etdeculte.
Nousdevonsyfairedroitmais à partir et en raison de nos principes.

Il est juste en raison du nombre de musulmans en France, situation nouvelle, de remédier à l’inégalité foncière dans laquelle ils se sont retrouvés notamment en matière d’édification des bâtiments de leur culte. Il est temps de les y aider.

Les malheureux insensés qui croient pou- voir stigmatiser et chasser nos compatriotes musulmans, en assignant la belle et grande religion de l’Islam à ses seuls travers intégristes que toutes nos religions ont connus par le passé, ou en appelant le retour à une seule religion catholique d’État comme l’a connu l’Ancien Régime s’installent dans un rêve que la réalité se chargerait de transformer en cauchemar.

D’autres, qui ne sont pas plus solides, croient dévier la colère populaire en se logeant derrière le drapeau du Hamas et en consentant à, ou en activant l’infamante logique du bouc émissaire juif. Les uns comme les autres confortent les extrémistes et les terroristes dans une poussée antirépublicaine violente qui pervertit la jeunesse dans ce moment de fragilité des républiques démocratiques.

Nous devons leur résister pour affermir et non détruire la tradition républicaine aujourd’hui si nécessaire à tous.

La laïcité bouscule et transcende le communautarisme dont tout humain,
par ses communautés naturelles, ethniques et confessionnelles, est issu. Elle demande à chacun d’entre nous, et pas seulement aux immigrés récents, un effort d’intégration, un effort de volonté et de consentement à la paix sociale et à la loi civile. Elle ne nous invite pas à renoncer à ce que nous sommes, à oublier d’où nous venons. Elle nous appelle à dépasser ensemble dans le droit politique républicain toutes les particularités afin de nous rassembler dans un espace plus large, plus neutre et plus ouvert, où nous pourrions être associés dans le respect réciproque de notre liberté.

La voie française qui affirme conjointement la laïcité et la liberté de conscience n’est pas morte. Elle ne met pas en cause la liberté et nous appelle à développer toute la diversité dans le respect des droits humains et des lois républicaines qui doivent s’articuler les uns aux autres. La République ne peut renoncer à associer sa diversité à la poursuite de l’unité.

Blandine Kriegel

Philosophe Professeur émérite des Universités Ancienne présidente du HCI
À la mémoire de Neelan Tiruchelvam

Blandine Kriegel

Philosophe, écrivain, Blandine Kriegel a publié de nombreux ouvrages sur l’histoire de la pensée politique, la généalogie de l’Etat de droit et de la République. Elle a été présidente du Haut conseil à l’Intégration et conseillère à la Présidence de la République.

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