Dans la perspective du discours qu’Emmanuel Macron devrait prononcer sur la laïcité, d’ici la fin de l’année, la Revue Politique et Parlementaire a souhaité interviewer Jean-Éric Schoettl, ancien Secrétaire général du Conseil constitutionnel et spécialiste du sujet.
Revue Politique et Parlementaire – On invoque beaucoup le principe de laïcité. On publie des chartes à ce sujet. Quel est son contenu juridique ?
Jean-Éric Schoettl – Il existe un flou considérable autour d’une notion qu’on voudrait nette, mais qui ne le devient qu’à condition d’y regarder de près. On l’invoque d’ailleurs souvent dans des sens opposés. Pour les uns, le principe juridique de laïcité cantonne la religion dans l’espace privé. Pour d’autres, il oblige l’État à une égale bienveillance active à l’égard de toutes les croyances et de toutes leurs manifestations. Les deux pèchent par exagération, les premiers en surestimant sa portée, les seconds en la sous-estimant.
Défions-nous de l’impressionnisme dans ce domaine : les malentendus s’y paient cher. Refuser le vague en la matière oblige à faire du droit. Celui-ci n’est pas hermétique, mais il ne manque pas de subtilité. Et qui dit droit dit textes et jurisprudence.
RPP – Quels textes ?
Jean-Éric Schoettl – C’est d’abord la Constitution qui, à son article 1er, définit la République comme laïque.
C’est aussi et surtout la loi du 9 décembre 1905 « concernant la séparation des Églises et de l’État », dont on parle beaucoup, mais que l’on connaît peu.
RPP – La loi de séparation ? Parlons en…
Jean-Éric Schoettl – C’est là que se trouve le contenu juridique du principe de laïcité, même si le terme « laïcité » n’y est pas prononcé une seule fois. Ce contenu n’est pas mince, comme le montre l’affaire des crèches de Noël dans les hôtels de ville. Mais il ne recouvre pas tout le champ des disciplines collectives que les us et coutumes ont entérinées en France, sous le terme de laïcité, depuis le début du siècle dernier.
Comme son intitulé l’indique, la loi de 1905 détache l’État du religieux. C’est l’aboutissement d’une série de législations qui, depuis la fin du XIXe siècle, rompent les amarres entre l’Église catholique et l’État, affranchissant celui-ci de l’emprise de celle-là et consommant un divorce voulu par l’un et subi par l’autre. Pour la fille aînée de l’Église, ce ne fut pas rien. Ce fut de la chirurgie lourde1, plus particulièrement dans les domaines de l’éducation, de la santé et de l’aide sociale. Pour autant, la loi de séparation institue un État areligieux et non pas un État anti-religieux. Elle comporte même des dispositions positives à l’égard du fait religieux.
RPP – Comment la loi de 1905 règle-t-elle les nouveaux rapports entre l’État et les églises ?
Jean-Éric Schoettl – La loi de 1905 forme un ensemble composite. Ses deux premiers articles posent les principes généraux de la séparation.
L’article 1er en présente le versant « positif » : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. »
Pour le professeur Gaudemet, « c’est la première fois que la liberté religieuse est élevée au rang de principe autonome en droit français et non dans la dépendance de la liberté d’opinion, comme à l’article 10 de la Déclaration de 1789 ».
Notons toutefois que l’article 1er de la loi de 1905 proclame surtout la liberté de conscience, dont « le libre exercice des cultes » est le corollaire. C’est donc la liberté de conscience (croire ou ne pas croire, croire telle chose ou telle autre…) qui est la liberté matricielle. En cela, l’article 1er de la loi de 1905 présente non un contraste, mais une parenté avec l’article 10 de la Déclaration de 1789 (« Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public »), où le « même » signale que les opinions religieuses sont un produit dérivé et non un produit premier…
Cette première composante – positive – de la laïcité, telle que l’énonce l’article 1er de la loi de séparation, se décline au moins en trois principes : pas de discrimination en faveur ou défaveur du religieux en général ou de telle religion en particulier ; liberté totale de conscience ; liberté d’expression des croyances sous réserve de l’ordre public.
Pour sa part, l’article 2 de la loi de 1905 énonce le versant prohibitif du principe de laïcité, assorti du tempérament prévu par son deuxième alinéa pour les aumôneries :
- « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l’État, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l’exercice des cultes.
- Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des services d’aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons. »
Le titre III (articles 12 à 17) régit les édifices des cultes. Il dispose notamment que « L’État, les départements, les communes et les établissements publics de coopération intercommunale pourront engager les dépenses nécessaires pour l’entretien et la conservation des édifices du culte dont la propriété leur est reconnue par la présente loi ». Cette disposition constitue l’une des principales dérogations reconnues par la loi de 1905 elle-même à la prohibition du subventionnement des cultes.
Le titre IV (articles 18 à 24) crée les associations cultuelles, qui devront « avoir exclusivement pour objet l’exercice d’un culte » (article 19).
Le titre V (articles 25 à 36) est consacré à la « police des cultes ». Ainsi :
- L’article 26 interdit « de tenir des réunions politiques dans les locaux servant habituellement à l’exercice d’un culte » ;
- L’article 27 prévoit que « Les sonneries des cloches seront réglées par arrêté municipal, et, en cas de désaccord entre le maire et le président ou directeur de l’association cultuelle, par arrêté préfectoral. ». Plus généralement, ce même article limite l’exercice des cultes aux lieux de culte. Les cérémonies, processions et autres manifestations extérieures d’un culte sont soumises aux règlements de police municipale. Ce qui montre bien que, si son adoption marque la victoire du libéral Aristide Briand sur les anticléricaux durs, à la manière d’Émile Combes, la loi de 1905 organise rigoureusement la séparation des ordres temporel et spirituel, et pas seulement dans la sphère publique stricto sensu ;
- L’article 28 (qui constitue à vrai dire moins une mesure de police qu’une déclinaison du principe de neutralité religieuse des collectivités publiques, lui-même corollaire du principe de « non reconnaissance ») interdit « à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions » ;
- L’article 34 punit d’une peine d’amende « Tout ministre d’un culte qui, dans les lieux où s’exerce ce culte, aura publiquement par des discours prononcés, des lectures faites, des écrits distribués ou des affiches apposées, outragé ou diffamé un citoyen chargé d’un service public » ;
- L’article 35 dispose que « Si un discours prononcé ou un écrit affiché ou distribué publiquement dans les lieux où s’exerce le culte, contient une provocation directe à résister à l’exécution des lois ou aux actes légaux de l’autorité publique, ou s’il tend à soulever ou à armer une partie des citoyens contre les autres, le ministre du culte qui s’en sera rendu coupable sera puni d’un emprisonnement de trois mois à deux ans, sans préjudice des peines de la complicité, dans le cas où la provocation aurait été suivie d’une sédition, révolte ou guerre civile ».
RPP – N’y a-t-il pas contradiction entre les articles 1er et 2 de la loi de 1905 ?
Jean-Éric Schoettl – On a souvent relevé en effet une tension entre ces deux dispositions : « La République garantit le libre exercice des cultes » et « La République ne reconnaît aucun culte ». Il faut cependant souligner la différence entre « culte » (que la République ne doit pas reconnaître) et « exercice du culte » (que la République doit garantir, au nom de la liberté de conscience, sous réserve des restrictions édictées par l’ordre public).
Il faut aussi souligner que la loi de séparation parle de culte et non de religion. La tradition républicaine, corroborée par la jurisprudence, comprend le terme « culte » plutôt largement (religion, croyance) et l’expression « exercice du culte » plutôt strictement (cérémonie religieuse dans un lieu consacré aux rites et pratiques de cette religion2).
La non reconnaissance des cultes par la République conduit donc celle-ci non seulement à n’aider matériellement ou institutionnellement aucune croyance, mais encore à bannir du droit et des pratiques officielles toute référence religieuse (ou anti-religieuse). En cela, nous différons beaucoup des États-Unis où la référence religieuse est omniprésente dans un cadre officiel (« in God we trust », prestations de serment sur la Bible…), même si, comme en France, les subsides publics aux cultes – ou la préférence publique pour telle ou telle croyance – y sont proscrits.
Les tenants d’une laïcité dite « inclusive » ou « ouverte » réinterprètent la loi de 1905, cent dix ans après, en majorant son article 1er et en minorant son article 2. À les entendre, non seulement l’État devrait respecter toutes les croyances, mais encore il aurait l’obligation de favoriser leur épanouissement, y compris dans l’espace public ou la sphère publique et, au besoin, par la voie concordataire. La garantie du libre exercice des cultes fonde, à leurs yeux, le droit de tout croyant à manifester sa foi en toutes circonstances et ce droit subjectif est gagé sur l’obligation qu’aurait l’État de favoriser, par des actions positives, la libre et égale expression des croyances religieuses (y compris hors des sanctuaires). Quant à la non reconnaissance des cultes, elle se réduirait, selon eux, à l’absence de religion officielle.
Ce retournement de sens de la loi de séparation est doublement inacceptable :
- D’abord, il contredit l’esprit d’un texte dont l’objet est de régler les rapports entre la République et les cultes non en instituant des « droits créances » dans le chef des croyants, mais, au contraire, en désengageant l’État de la religion (par l’obligation faite aux personnes publiques d’adopter une posture de neutralité, c’est-à-dire d’indifférence juridique, à l’égard des croyances) ;
- Ensuite, parce que, sémantiquement, l’ « exercice du culte » (qui doit être garanti) ne peut avoir une acception plus large que le « culte » lui-même (que la République doit s’interdire de reconnaître).
Cela ne veut pas dire que la loi de séparation exclut toute action positive de l’État envers les croyants. Mais ces actions sont l’exception plutôt que la règle. Elles se déduisent de la loi de 1905 elle-même (institution d’aumôneries auprès des « publics captifs » et droit de ceux-ci à la pratique religieuse) ou de lois postérieures dérogatoires (par exemple : baux emphytéotiques administratifs accordés en vue de la construction d’un édifice cultuel).
RPP – En quoi la loi de 1905 est-elle une loi de séparation ?
Jean-Éric Schoettl – La loi de 1905, c’est sa portée historique majeure, énonce trois prohibitions à son article 2 (« La République ne reconnaît, ne subventionne et ne salarie aucun culte »).
La première prohibition (« la République ne reconnaît aucun culte ») impose une obligation de neutralité à toute la sphère publique. C’est sans doute cette composante du principe de laïcité qui est la plus spécifiquement française. Elle relève de notre « identité constitutionnelle », au sens que donne à cette expression le Conseil constitutionnel : elle est même à l’abri du droit européen. Sa remise en cause par une cour supranationale (Strasbourg ou Luxembourg) créerait une crise « systémique »3.
L’obligation de neutralité se décline de diverses façons :
- obligation d’ « indifférence » des pouvoirs publics à l’appartenance religieuse ; pas de discrimination (ni négative, ni positive) entre cultes, ni entre croyance et incroyance ;
- avec sa réciproque du côté des citoyens : nul ne peut se prévaloir de ses croyances pour s’affranchir de la règle commune. Ainsi, une musulmane voilée ne pourra exciper de sa liberté de croyance pour refuser de poser tête nue pour une photographie d’identité officielle ;
- la sphère publique doit être autonome par rapport au fait religieux ; les décisions publiques ne doivent pas être fondées sur des conceptions religieuses (ni anti-religieuses)4 ; les collectivités publiques ne doivent pas se réclamer d’une religion (ni de l’athéisme) ; les manifestations publiques officielles ne doivent pas faire ostentation de signes religieux (ni anti-religieux).
Les deux autres prohibitions (« La République ne subventionne et ne salarie aucun culte ») ont une portée pratique considérable aussi, d’autant qu’elles ont pour corollaire que les collectivités publiques ne subventionnent pas le fonctionnement des églises. En revanche, ces prohibitions ne font obstacle ni à certaines aides publiques à l’investissement, ni à certaines aides publiques indirectes aux activités cultuelles (possibilité donnée aux particuliers de déduire de l’impôt sur le revenu, sous certains plafonds, les dons aux associations cultuelles).
RPP – Qu’y a-t-il de constitutionnel dans la séparation ?
Jean-Éric Schoettl – Les prohibitions énoncées par l’article 2 de la loi de 1905 sont, pour l’essentiel, de niveau constitutionnel.
Rien d’étonnant à cela : en déclarant que la République est laïque, le constituant de 1946, puis celui de 1958, se sont nécessairement référés à la loi de séparation, laquelle était en vigueur depuis des dizaines d’années.
Le caractère laïc de la République est affirmé par le premier alinéa de l’article 1er de la Constitution de 1958 : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée ».
L’article 1er de la Constitution doit être rapproché :
- De son article 3, sur la souveraineté nationale (« Aucune section du peuple ne peut s’en attribuer l’exercice ») ;
- Des articles 1er, 3, 6 et 10 de la Déclaration de 1789 (égalité en droits de tous les hommes, les distinctions ne pouvant être fondées que sur l’utilité commune ; égale admissibilité aux dignités, places et emplois publics sous le seul critère des vertus et des talents ; exclusion de l’autorité de tout corps qui n’émanerait pas de la Nation ; liberté d’opinion « même religieuse » sous la réserve de l’ordre public) ;
- Du Préambule de la Constitution de 1946 qui énonce que : « Tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance possède des droits inaliénables et sacrés (…) ; La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme (…) ; Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances » ; (…). L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État », étant observé que le premier alinéa de ce Préambule, en renvoyant aux « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République », consacre indirectement le principe de séparation.
Le Conseil constitutionnel a précisé la portée du principe de laïcité, tel qu’il résulte de l’ensemble de ces dispositions, dans deux décisions importantes (n° 2004-505 DC du 19 novembre 2004, Traité établissant une Constitution pour l’Europe ; n° 2012-297 QPC du 21 février 2013, Association pour la promotion et l’expansion de la laïcité), complétées sur certains points par d’autres décisions.
Cette jurisprudence peut faire regarder les deux premiers articles de la loi de 1905 comme en grande partie de niveau constitutionnel et, dans cette mesure, non modifiables par une loi ordinaire.
Citons les considérants topiques de ces décisions :
- Les articles 1er à 3 de la Constitution s’opposent à ce que soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe que ce soit, défini par une communauté d’origine, de culture, de langue ou de croyance » (n° 2004-505 DC du 19 novembre 2004, cons 16). Ce considérant fait écho à la décision rendue le 15 juin 1999 sur la Charte européenne des langues régionales et minoritaires ;
- « Les dispositions de l’article 1er de la Constitution, aux termes desquelles « la France est une République laïque », interdisent à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers » (n° 2004-505 DC, cons 18) ;
- Le principe de laïcité est un élément inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, que le droit européen ne saurait remettre en cause (n° 2004-505 DC, combinée avec la jurisprudence sur le respect du droit de l’Union européenne : 2006-540 DC du 27 juillet 2006) ;
- « Le principe de laïcité figure au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit ; il en résulte la neutralité de l’État ; il en résulte également que la République ne reconnaît aucun culte ; le principe de laïcité impose notamment le respect de toutes les croyances, l’égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion et que la République garantisse le libre exercice des cultes ; Il implique que celle-ci ne salarie aucun culte » (n° 2012-297 QPC du 21 février 2013, cons 5) ;
Si le régime concordataire en vigueur en Alsace Moselle n’est pas inconstitutionnel, c’est seulement parce « qu’il ressort tant des travaux préparatoires du projet de la Constitution du 27 octobre 1946 relatifs à son article 1er que de ceux du projet de la Constitution du 4 octobre 1958 qui a repris la même disposition, qu’en proclamant que la France est une « République… laïque », la Constitution n’a pas pour autant entendu remettre en cause les dispositions législatives ou réglementaires particulières applicables dans plusieurs parties du territoire de la République lors de l’entrée en vigueur de la Constitution et relatives à l’organisation de certains cultes et, notamment, à la rémunération de ministres du culte » (n° 2012-297 QPC, cons 65).
À la lumière de cette jurisprudence, il apparaît que les principales prohibitions édictées par l’article 2 de la loi de séparation ont rang constitutionnel.
RPP – De quelles prohibitions s’agit-il ?
Jean-Éric Schoettl – Sont nommément cités par le Conseil constitutionnel deux items figurant à l’article 2 de la loi de séparation :
- La République ne reconnaît aucun culte ;
- Elle n’en salarie aucun
Le Conseil constitutionnel ajoute à la non reconnaissance des cultes par l’État deux obligations qui pourraient en être le corollaire, mais qui trouvent un fondement complémentaire ailleurs dans le « bloc de constitutionnalité » (principe d’égalité, liberté d’opinion…) :
- La « neutralité de l’État » par rapport aux croyances religieuses ;
- L’absence de distinction, dans la loi, selon la religion (ou la non religion) des citoyens.
La portée ainsi donnée par le juge constitutionnel au principe de laïcité, dans son versant prohibitif, recoupe largement ce que, de façon convergente, la jurisprudence et la doctrine, administrative et universitaire, avaient placé derrière les termes de l’article 2 de la loi de séparation :
- Les collectivités publiques doivent être autonomes par rapport aux cultes, c’est-a-dire ne pas fonder leur organisation, leur fonctionnement, leurs décisions, leurs références symboliques ou les règles qu’elles édictent sur telle ou telle prescription ou considération religieuse ou antireligieuse ;
- Elles doivent être neutres par rapport aux cultes, c’est-a-dire n’en favoriser ou défavoriser aucun et proscrire toute ostentation ou tout prosélytisme religieux ou antireligieux de la part de leurs agents ;
- Elles doivent être juridiquement indifférentes à l’appartenance religieuse, c’est-a-dire ne moduler aucune norme (du règlement intérieur à la loi), ni aucune prestation en fonction de cette appartenance. Par exemple, le mariage civil doit être sans lien avec le mariage religieux ; les repas proposés par une cantine publique peuvent être personnalisés selon les goûts (de la même façon qu’un menu végétarien peut être offert, pourquoi ne pas donner aussi le choix aux usagers entre divers types de viande ?), mais leur composition ne saurait directement reposer sur la religion réelle, déclarée ou supposée (CE, 25 octobre 2002, Renault, 361441). Fait problème, à cet égard, la circulaire du 18 mai 2004 qui permet des autorisations d’absences « pour les grandes fêtes religieuses qui ne coïncident pas avec un jour de congé ».
RPP – La loi de 1905 ne pourrait-elle être assouplie ?
Jean-Éric Schoettl – Une tentative d’assouplissement, en vue par exemple d’établir un régime concordataire, se heurterait vite aux limites constitutionnelles qu’on vient de voir, pour ne pas parler des clivages qu’elle susciterait dans l’opinion.
Au demeurant, l’utilité de ces assouplissements serait très relative :
- La loi de séparation comporte toute une série d’exceptions aux prohibitions édictées par son article 2 et ce, dès l’article 2 (aumôneries ; entretien des édifices cultuels existants). La prohibition de subventionnement est limitée aux associations cultuelles, ce qui n’interdit pas la reconnaissance d’utilité publique (avec son statut fiscal favorable) ou les aides publiques aux associations charitables ou culturelles liées à une croyance, ou l’aide aux aspects d’intérêt public – hygiène, sécurité – de l’activité des associations cultuelles ;
- Ni le principe de laïcité, ni la loi de séparation n’interdisent le dialogue entre responsables publics et religieux. Peuvent se nouer, nationalement ou localement, des échanges entre pouvoirs publics et représentants des cultes, qui, pour être officieux, n’en sont pas moins utiles, comme le montre à l’occasion l’actualité ;
- Des lois spéciales ont encore réduit le champ des prohibitions (pour la construction des édifices de culte : garantie des emprunts de l’article L. 1311-2 et baux emphytéotiques de l’article L. 2252-4 du code général des collectivités territoriales) ;
- La formation universitaire publique (dans les disciplines non religieuses) et la protection sociale des imams (au même titre que celle des ministres des autres cultes) ne se heurtent ni au principe de laïcité, ni à la loi de séparation. La formation des imams, pour sa part non religieuse (connaissance de l’histoire et des institutions françaises etc), a sa place à l’université. Le principe de laïcité n’interdit pas au législateur de se préoccuper de la couverture sociale des ministres du culte, y compris les imams (CAVIMAC) ;
- Comme toutes les exigences constitutionnelles, les prohibitions de rang constitutionnel édictées par la loi de 1905 (« La République ne reconnaît aucun culte ; elle n’en salarie aucun ») peuvent être conciliées avec d’autres exigences constitutionnelles (ainsi, les aides publiques à l’abattage halal sont justifiées dans la mesure où elles protègent la santé publique) ;
- S’agissant de la visibilité religieuse dans l’espace public, la jurisprudence est libérale, qu’il s’agisse du costume ecclésiastique (Richard, 18 janvier 1929) ou des célébrations traditionnelles (Rerolle, 5 mai 1928) ;
- La loi de 1905 n’interdit pas que des carrés musulmans soient aménagés dans nos cimetières ;
- Elle n’interdit pas non plus que des associations cultuelles soient usagères de services publics locaux ou occupantes du domaine public local, dès lors qu’elles y ont accès au même titre que d’autres usagers ou que d’autres occupants, sans faveur ni défaveur particulière, et sans qu’il soit porté atteinte à l’ordre public (CE, 30 mars 2007, Ville de Lyon6) ;
- Sous la même réserve de l’ordre public, des annonceurs dont le message comporte une référence religieuse ont accès, comme tout autre annonceur, aux supports publicitaires fournis par une entreprise publique ou un service public (voir l’affaire du concert du groupe « Les Prêtres » en faveur des chrétiens d’Orient, dans laquelle les responsables de la RATP ont invoqué à contresens le principe de neutralité). Neutralité n’est pas hostilité à l’égard du religieux ;
- Des zones d’ombre se dissipent (crèches de Noël dans les Hôtels de ville ; accompagnatrices voilées lors des sorties des élèves des écoles publiques), quoique débouchant sur des solutions de mise en œuvre parfois délicate (dérogations à l’article 28 de la loi de 1905 au titre des usages traditionnels ou des manifestations culturelles ; non assimilation des mères voilées à des agents publics, sous réserve du bon fonctionnement du service et de l’ordre public7).
Vouloir tout régler par la loi soulève des problèmes souvent sans rapport avec l’intérêt objectif de la solution, d’autant que, dans ces matières, l’impact est très incertain. Il est symptomatique à cet égard que la proposition de loi sur l’interdiction de l’ostentation religieuse par le personnel des crèches privées soit plutôt en retrait sur la jurisprudence la plus récente de la Cour de cassation (Baby-Loup, 25 juin 2014).
Ceci étant, la jurisprudence peut errer ou devenir imprévisible ou illisible : l’intervention du législateur peut alors s’avérer nécessaire afin d’énoncer une règle générale claire.
RPP – On entend souvent dire que l’obligation de neutralité est opposable aux agents des services publics et non aux salariés du secteur privé. Qu’en est-il ?
Jean-Éric Schoettl – L’obligation de neutralité pèse sur les agents de l’État, des collectivités territoriales et des établissements publics administratifs. Elle pèse également sur les personnes privées chargées d’un service public, particulièrement dans leurs relations avec le public. Par contre, la loi de 1905 ne régit pas le secteur privé.
Il faut donc souligner la différence entre les obligations de neutralité applicables aux agents publics et celles éventuellement applicables au personnel des entreprises privées :
- Dans le premier cas, l’exigence de neutralité s’impose de façon générale et absolue. Elle trouve son fondement dans la loi de 1905 qui, sur ce point, a valeur constitutionnelle ;
- Dans le second cas, la neutralité n’est pas un impératif légal. Elle ne peut juridiquement se réclamer du principe de laïcité. Elle ne peut être imposée que dans la mesure justifiée par les intérêts légitimes (commerciaux, moraux…) de l’entreprise, ou par la « tendance » à laquelle elle se rattache (associations liées à une sensibilité politique, philosophique), ou encore par des circonstances particulières (clientèle connaissant des tensions intercommunautaires…).
La nature d’une activité privée peut justifier une obligation de neutralité, comme le montre le dénouement judiciaire de l’affaire Baby-Loup (Cour cass, 25 juin 2014). La prohibition du voile faite au personnel de cette association a été finalement jugée légale par la Cour de cassation eu égard au caractère très ouvert de la crèche aux familles d’un quartier marqué par une grande diversité ethnique et religieuse. La neutralité était une condition de l’ouverture.
Notons hélas que, dans cette affaire, le comité des droits de l’Homme de l’Onu vient de désavouer la France8… Si les positions du comité n’ont pas de force juridiquement contraignante, le danger réside dans un nouveau revirement de la Cour de cassation. Comme si ses collègues n’avaient plus qu’à faire amende honorable, ce revirement a été annoncé par avance et publiquement par son premier président, lors du discours d’installation des nouveaux magistrats à la Cour le 3 septembre 2018 (« Le comité, expose M. Louvel, a constaté que notre assemblée plénière avait elle-même méconnu les droits fondamentaux reconnus par le Pacte international des droits civils et politiques dans l’affaire connue sous le nom de Baby-Loup »). Une nouvelle volte-face de la Cour de cassation aboutirait à une solution beaucoup plus défavorable à notre culture laïque nationale que celle adoptée à ce jour, en matière d’ostentation religieuse, par les cours de Luxembourg et de Strasbourg. Elle remettrait en cause notre législation sur les signes religieux à l’école (le comité de l’Onu estime en effet que le port du foulard islamique ne saurait en soi être regardé comme un acte de prosélytisme). Elle appellerait une réaction ferme du législateur.
Insistons y : dans le secteur privé, l’institution d’une obligation de neutralité ne peut se fonder, comme dans l’administration, sur le principe de laïcité. Pour autant elle peut trouver d’autres justifications légales.
RPP – Qu’en est-il des particuliers dans leurs relations avec l’administration ?
Jean-Éric Schoettl – Symétriquement à l’obligation de neutralité faite aux personnes publiques à l’égard des religions, la décision du Conseil constitutionnel de 2004 s’oppose à l’institution d’un droit des individus ou des groupes à se voir appliquer une norme ou à se voir prêter un service en fonction de leur croyance. Un tel droit est en revanche reconnu par la loi américaine sans que la Cour suprême y ait trouvé à redire, ce qui donne la mesure de la spécificité française par rapport à la notion américaine de neutralité religieuse des personnes publiques.
Dans les services publics, la règle générale, édictée dans l’intérêt de la collectivité et pour le bon fonctionnement du service, s’impose donc aux usagers comme aux agents. Il n’y a pas de droit, par exemple, des étudiants d’une université à ce que les horaires d’examen tiennent compte de prescriptions de repos religieuses.
Mais une chose est de ne pas pouvoir exciper de sa croyance pour s’affranchir de la règle générale ou exiger que celle-ci soit adaptée, autre chose est d’être tenu à une obligation de discrétion religieuse.
En règle générale, contrairement aux agents des services publics, les usagers de ceux-ci ne sont pas tenus par l’obligation de neutralité instituée par la loi de 1905.
Toutefois, dans les services publics où séjournent les usagers et où l’apprentissage de la coexistence revêt une importance particulière, on peut considérer que le principe de neutralité – lorsqu’il peut être combiné à ceux d’ordre public ou de bon fonctionnement du service – permet à la loi ou au service concerné (sans les y obliger) d’imposer aux usagers eux-mêmes des obligations de non ostentation religieuse et, a fortiori, de non prosélytisme.
Ainsi, la loi de 2004 interdisant le voile à l’école ne semble encourir de foudre d’aucune cour suprême, nationale ou supranationale. Le Conseil constitutionnel n’a pas eu l’occasion de le juger puisque cette loi n’a donné lieu ni à saisine a priori, ni à « question préjudicielle de constitutionnalité ». En revanche, la loi de 2004 n’a pas été jugée contraire à la liberté de religion proclamée par l’article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme par la Cour de Strasbourg9.
Celle-ci a tiré au demeurant (du moins jusqu’ici) de l’article 9 de la Convention, en ce qui concerne la neutralité des États à l’égard des croyances religieuses, des conséquences proches de celles qui, en France, découlent de la loi de 1905 (2 février 2010, Sinan Isik c/ Turquie : une carte d’identité ne doit ni faire mention de la religion, ni comporter de case à renseigner à ce sujet, même si le remplissage de cette case est facultatif).
L’obligation de poser tête nue pour l’établissement du passeport, de la carte d’identité ou du permis de conduire ne contrevient pas davantage à la liberté de manifester sa croyance religieuse proclamée par l’article 9 de la Convention (Conseil d’État, 289946, 15 décembre 2006).
Le port obligatoire d’un uniforme scolaire ne contreviendrait pas non plus, me semble-t-il, aux principes constitutionnels et conventionnels.
RPP – La loi de 1905 pourrait-elle être durcie dans le sens d’une laïcité plus exigeante ?
Jean-Éric Schoettl – Dans ce sens aussi, les limites seraient vite atteintes, du moins si les exigences nouvellement envisagées étaient trop « transversales », opposables de façon trop générale.
Pour bien le comprendre, il faut :
- D’une part, mesurer ce qui, dans notre conception de la laïcité, tient aux mœurs plutôt qu’au droit,
- D’autre part, prendre conscience de ce que la loi ne peut aujourd’hui venir au secours des mœurs sans se heurter à la « barrière des droits fondamentaux » érigée par les textes constitutionnel et conventionnels, et plus encore par la jurisprudence construite sur leur base.
Le contenu juridique du principe de laïcité couvre, on l’a vu, l’obligation de neutralité des services publics à l’égard du fait religieux (article 2 de la loi de 1905) et la règle jurisprudentielle, symétriquement posée par le Conseil constitutionnel en 2004, selon laquelle nul ne peut se prévaloir de ses croyances religieuses pour s’affranchir de la règle commune.
Toutefois, ce noyau juridique, si dense soit-il, n’épuise pas la notion de laïcité telle que l’ont entérinée nos mœurs. Je veux parler des disciplines collectives qui se sont cristallisées en France depuis le début du XXe siècle autour de cette notion. Ces disciplines tiennent en une consigne, opportunément rappelée par Jean-Pierre Chevènement en accédant à la présidence de la nouvelle fondation de l’Islam français : la discrétion. Discrétion de l’appartenance religieuse dans l’espace public et dans les lieux ouverts au public (autres que les lieux consacrés à la pratique religieuse).
Un modus vivendi s’est enraciné autour de l’idée que la religion se situe dans la sphère privée et dans les lieux de culte et qu’elle ne doit « déborder » dans l’espace public que dans de strictes limites (aumôneries, processions traditionnelles, sonneries de cloches selon un horaire et une intensité encadrés, crucifix de nos carrefours et de nos cimetières, musées et expositions…). Au point que les ecclésiastiques et religieuses catholiques circulent en civil sur la place publique…
Un pacte de non ostentation s’est donc tacitement noué en France dans ce cadre. Il a permis d’enterrer la hache de guerre entre l’Église dominante et l’État. Il a garanti la cohabitation paisible de la croyance et de l’incroyance. Il a autorisé agnostiques et fidèles de diverses religions à « faire société » dans une respectueuse retenue mutuelle. Chacun y a trouvé son compte.
Dans mon enfance, au Lycée Carnot, au début des années 60, nous enlevions et dissimulions nos médailles religieuses lors des classes de gymnastique, car nous avions intériorisé le pacte de discrétion. C’était, ressentions-nous, une question de courtoisie envers nos petits camarades qui étaient peut-être incroyants ou d’une autre religion. Nous ignorions d’ailleurs le plus souvent ces appartenances et ne cherchions pas à les connaître, alors qu’elles sont souvent aujourd’hui revendiquées dans les collèges et lycées de certains quartiers, chaque élève s’y voyant malheureusement assigné à un compartiment ethnico-religieux.
Ce pacte de discrétion faisait l’objet d’une adhésion si unanime, il était tellement porté par les mœurs qu’il n’avait pas besoin, pour s’imposer, de s’inscrire dans le droit. C’est cette unanimité que viennent briser le passage sur la place publique d’un niqab10ou d’un hijab11, ou la prolifération des foulards islamiques, ou les prières de rue. L’ostentation déchire le pacte. Et, pour ne rien arranger, cette déchirure est en lien direct avec l’installation récente et importante, sur notre territoire, d’une culture religieuse dont une partie seulement se dissout dans la République et dont l’ordre symbolique diffère du nôtre au point de souvent s’y opposer.
La rupture du pacte de discrétion suscite le haut-le-coeur que provoque toujours un attentat contre les mœurs, surtout sur fond d’attentats tout court. Nous attendons alors du législateur (ou de l’arrêté du maire ou du règlement intérieur de l’entreprise) qu’il donne force normative aux codes comportementaux. Mais ce n’est guère possible dans le cadre juridique actuel, ce que nous appelons l’État de droit.
RPP – Pourquoi ?
Jean-Éric Schoettl – Les disciplines découlant de nos us et coutumes, si consensuelles qu’elles aient pu être jusqu’ici, ne pourraient se traduire dans le droit positif sans être regardées par les juridictions gardiennes des droits et libertés garantis par la Constitution, par le droit européen et par les traités relatifs aux droits fondamentaux, comme des « ingérences » dans les droits et libertés des personnes. Et l’adéquation, la nécessité et la proportionnalité de ces ingérences (ce qu’on appelle le « triple test ») seraient fortement questionnées.
Les prohibitions auxquelles on pense (le port de certains vêtements notamment) ne seraient en effet jugées adéquates, nécessaires et proportionnées que dans des circonstances particulières (impératifs d’hygiène ou de sécurité, nécessités objectives de bon fonctionnement d’un service) ou dans des champs très particuliers (prohibition de la dissimulation du visage dans l’espace public), et devraient se fonder sur d’autres principes que la laïcité (droit des tiers, exigences du vivre ensemble, ordre public au sens strictement matériel du terme…).
C’est ainsi que le Conseil d’État censure les arrêtés municipaux interdisant le port du burkini sur les plages au motif que cette restriction à la liberté de s’habiller ne trouve pas de justification dans la sauvegarde de l’ordre public. Celui-ci ne saurait comprendre, juge le Conseil d’État, de dimension immatérielle liée par exemple à la dignité de la femme, ou à l’égalité des droits entre l’homme et la femme, ou à la non ostentation religieuse dans un espace de sports et de loisirs, ou à la sensibilité particulière du public à l’égard du fondamentalisme musulman au lendemain et au voisinage de la tuerie de Nice.
Ainsi encore, la Cour de cassation juge qu’un employeur privé ne peut, au nom des principes de neutralité et de laïcité, interdire de façon générale le port de signes religieux dans son entreprise (Chambre sociale, n° 536, 19 mars 2013).
Pour la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), le droit de manifester sa religion – et non pas seulement la liberté de croyance et de culte – ne peuvent être restreints qu’au nom d’un autre droit ou principe reconnu par la Convention. Ne fait pas le poids à cet égard l’« image commerciale » de l’entreprise, même s’agissant d’une compagnie aérienne interdisant le port de signes religieux à ses hôtesses de l’air (Eweida c/ Royaume Uni, 15 janvier 2013).
En revanche, la CEDH, prenant en compte les droits d’autrui et le caractère particulier des rapports entre l’État et les cultes en France, admet (à ce jour) que l’obligation de neutralité pesant sur les services publics français justifie l’interdiction du port du voile faite à une assistante sociale travaillant dans un hôpital psychiatrique public et en contact par fonction avec les patients et leurs familles (Ebrahimian c/ France, 26 novembre 2015).
Plus récemment, dans une décision du 10 janvier 2017 rendue à propos d’un refus des autorités scolaires du canton de Bâle d’exempter de cours de natation, pour des raisons religieuses, deux écolières de 7 et 9 ans, la CEDH juge que l’intérêt des enfants à une scolarisation complète, « permettant une intégration sociale réussie selon les mœurs et coutumes locales », doit prévaloir sur le souhait des parents, qui pratiquent un islam rigoriste, de voir leurs filles dispensées des cours de natation mixtes. À l’unanimité, les juges de Strasbourg soulignent le rôle intégrateur de l’école et la place qu’y tient le sport scolaire, lequel réside aussi « dans la pratique d’une activité en commun avec tous les autres élèves, indépendamment de la religion et du sexe ». Pour justifier, au regard de l’article 9 de la Convention, la fermeté des autorités scolaires, la Cour croit cependant devoir relever que cette fermeté fait suite à leur attitude conciliatrice, l’école ayant sans succès proposé aux parents, en guise d’« accommodement raisonnable », que les fillettes suivent le cours de natation… en burkini12.
RPP – Et que dit l’autre cour suprême européenne, la Cour de justice de l’Union européenne ?
Jean-Éric Schoettl – La CJUE a aussi son mot à dire sur la question, notamment au titre d’une directive du 27 novembre 2000 créant « un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail », fidèlement transposée dans la loi française, qui proscrit les discriminations sur les lieux de travail (publics ou privés), notamment en raison de la religion.
La directive de 2000 a recours à la redoutable notion de « discrimination indirecte » qui prohibe toute règle générale (sauf exceptions strictement et objectivement justifiées), fût-elle neutre, si elle entraîne un désavantage pour un groupe religieux. C’est faire la part belle aux pratiques religieuses les plus exhibitionnistes, qui seront toujours les plus incommodées par une règle non dérogeable et seront donc les premières à faire valoir un désavantage indirect.
La notion de discrimination indirecte méconnaît l’identité constitutionnelle de la France, au moins dans la sphère publique, en prenant le contre-pied du principe, tiré par le Conseil constitutionnel de l’article 1er de la Constitution (n° 2004-505 DC, Traité établissant une Constitution pour l’Europe), qui « interdit à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers ».
Dans une affaire Bougnaoui (France), le droit de manifester sa croyance religieuse (par le port du voile) prévaut, aux yeux de l’avocate générale Sharpston (conclusions du 13 juillet 2016 devant la CJUE), sur le préjudice financier subi par l’entreprise, même dans le cas où l’intéressée, dont les fonctions la conduisaient à se rendre dans les locaux des entreprises clientes, s’était contractuellement engagée à enlever son voile lorsque son port compromettrait la relation avec la clientèle et avait refusé d’honorer son engagement alors qu’une entreprise cliente s’était plainte de sa tenue.
En revanche, dans une affaire belge Achbita, jugée le même jour, l’avocate générale Kokott estime que l’interdiction faite à une travailleuse de religion musulmane de porter au travail un foulard islamique ne constitue pas une discrimination directe fondée sur la religion, dès lors que cette interdiction s’appuie sur un règlement général de l’entreprise interdisant les signes politiques, philosophiques et religieux visibles sur le lieu de travail. La magistrate reconnaît, certes, que l’interdit « pourrait constituer une discrimination indirecte fondée sur la religion ». Mais « cette discrimination pourrait être justifiée afin de mettre en œuvre, dans l’entreprise concernée, une politique légitime de neutralité fixée par l’employeur (…) pour autant que le principe de proportionnalité soit respecté ». Il revient à la Cour de cassation belge, conclut l’avocate générale (qui insiste également sur la prise en compte des traditions juridiques de chaque pays membre et met en garde contre toute surcharge organisationnelle imposée aux entreprises), de juger du respect de ce principe, puisque les autorités nationales disposent d’une marge d’appréciation en droit.
Dans ses arrêts du 14 mars 2017 Achbita et Bougnaoui, la Cour de justice de l’Union européenne invite à vérifier si une règle interne prohibant le port visible de signes religieux – qui risque d’aboutir en fait, juge la CJUE, à un désavantage particulier pour certaines croyances (c’est-à-dire à une discrimination indirecte) – est justifiée par un objectif légitime « tel que la poursuite par l’employeur, dans ses relations avec ses clients, d’une politique de neutralité politique, philosophique ou religieuse » et, dans l’affirmative, si un licenciement constitue le moyen approprié et nécessaire de réaliser cet objectif. La seule volonté d’un employeur de tenir compte des souhaits du client de ne plus voir ses services assurés par une travailleuse portant un foulard islamique ne saurait être considérée, précise la CJUE, comme une « exigence professionnelle essentielle et déterminante » au sens de la directive (d’où condamnation de la France dans l’affaire Bougnaoui)…
La solution adoptée, plus proche des conclusions Kokott que des conclusions Sharpston, est satisfaisante dans la mesure où est qualifié de légitime (à condition d’avoir un support réglementaire) l’objectif de poursuite par l’employeur, dans ses relations avec ses clients, d’une politique de neutralité religieuse. Mais, même ainsi, elle ne « colle » pas aux exigences, plus strictes, de la loi de 1905 dans les services publics. On voit où nous conduit la notion de discrimination indirecte.
Pour sa part, le Défenseur des Droits, dans le cadre de sa mission de lutte contre les discriminations, a fait un usage immodéré de la notion de discrimination indirecte, estimant par exemple que le règlement d’un organisme privé de formation professionnelle qui interdit « le port de tout vêtement, accessoire vestimentaire ou autre signe distinctif, marquant une appartenance à un mouvement syndical, à un parti ou une religion » caractérise un « délit de subordination d’une prestation de service à un critère discriminatoire »13.
RPP – Qu’apporte le principe de laïcité dans ces débats jurisprudentiels ?
Jean-Éric Schoettl – Face à ces évolutions du droit, qui donnent souvent l’impression de favoriser le communautarisme (elles ont, sinon certes cet objet, du moins cet effet, comme le montre l’activisme contentieux déployé au titre de la répression de l’injure, de la diffamation et de l’incitation à la discrimination de caractère islamophobe), le principe juridique de laïcité est d’un secours relatif.
Ce n’est d’ailleurs pas sur la laïcité que se sont fondés le Conseil constitutionnel, puis la CEDH, pour admettre (la seconde non sans réticence) la loi française interdisant l’occultation du visage dans l’espace public. Le législateur français ne s’était pas non plus placé sur ce terrain, car, même si était visé le port de la burka, le débat parlementaire invoquait principalement non la laïcité, mais les règles du vivre ensemble et la dignité de la personne humaine, particulièrement de la femme.
La nécessaire conciliation entre liberté d’expression religieuse et dignité de la femme a été reconnue par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 7 octobre 2010.
Quant à la CEDH, c’est au titre des exigences du « vivre ensemble » qu’elle a jugé la loi française non contraire à la Convention. La CEDH admet la primauté du « vivre ensemble » sur plusieurs droits conventionnels, mais fait mine de rester dans la conciliation entre droits en voyant dans ce « vivre ensemble » non pas une exigence d’ordre public, mais un droit des tiers « à évoluer dans un espace de sociabilité propice aux échanges »14 : « La Cour peut admettre que la clôture qu’oppose aux autres le voile cachant le visage soit perçue par l’État défendeur comme portant atteinte au droit d’autrui d’évoluer dans un espace de sociabilité facilitant la vie ensemble ».
Comme l’a montré cette affaire, l’intervention du législateur, concevable dans l’absolu, indispensable en dernier recours, n’en est pas moins toujours délicate en matière de liberté d’expression religieuse.
Lorsque l’opinion demande à ses élus de faire barrage au communautarisme par une application intransigeante du principe de laïcité, elle se réfère à une notion large de la laïcité qui est celle de la coutume, celle de l’histoire vécue de la séparation, mais non exactement celle du droit. Les chartes de laïcité diffusées dans les établissements publics souffrent de la même fragilité lorsqu’elles s’efforcent d’imposer des obligations de discrétion aux usagers.
RPP – Le législateur ne peut-il au moins intervenir, en matière de laïcité, pour resserrer quelques écrous ?
Jean-Éric Schoettl – Des lois ponctuelles sont en effet possibles, par exemple :
- Pour la prohibition du voile à l’école en 2004 ;
- Ou pour la réaffirmation générale, par la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, de l’obligation de non ostentation religieuse (« Le fonctionnaire (…) exerce ses fonctions dans le respect du principe de laïcité. À ce titre, il s’abstient notamment de manifester, dans l’exercice de ses fonctions, ses opinions religieuses) ;
- Ou pour les dispositions introduites dans le code du travail (article L. 1321-2-1) par la loi du 8 août 2016 (dite « loi El Khomri ») – dont on soulignera qu’elles n’ont encore subi l’examen ni du juge constitutionnel, ni de la CEDH, ni de la CJUE – selon lesquelles : « Le règlement intérieur peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché ».
Toutefois, pour « regonfler » la notion juridique de laïcité jusqu’à lui faire atteindre ses contours historiques et intuitifs (discrétion dans l’espace et les lieux publics), il faudrait rien moins qu’une révision constitutionnelle.
Celle-ci se heurterait aux controverses qu’on imagine et susciterait un conflit entre la Constitution et nos engagements européens et internationaux.
En tout état de cause, à supposer politiquement et juridiquement possible le confinement de la religion dans la sphère privée, ce confinement aurait des effets disproportionnés sur les religions historiquement implantées en France ou sur l’islam tempéré, alors que le seul problème qu’on entend traiter est celui de l’islamisme.
Ce qui semble éminemment souhaitable à une grande partie de nos concitoyens est donc hors de portée de leurs élus sauf à renverser les colonnes du temple de cette véritable nouvelle religion officielle que sont devenus les droits fondamentaux.
RPP – Et si nos concitoyens l’exigeaient ?
Jean-Éric Schoettl – Encore faudrait-il qu’ils aient conscience que leur désir de laïcité forte impose un « changement de paradigme » et que celui-ci ne peut être simplement exaucé par un arrêté du maire ou par une loi ordinaire.
Encore faudrait-il que les hommes politiques qui promettent de faire respecter une laïcité sans concession disent non seulement qu’ils veulent le faire, mais comment et à quel prix, notamment sur le plan diplomatique. Nous sommes loin du compte.
Plus généralement, la demande de limites juridiques face à la montée de l’islam politique se heurte à l’incapacité de notre droit, à institutions et engagements européens et internationaux inchangés, d’assurer (autrement qu’en « rusant ») une protection normative à un ordre symbolique qui s’était jusque-là passé d’une telle protection parce que consensuel.
RPP – Comment définir cet ordre symbolique ?
Jean-Éric Schoettl – Disons : le système de représentations sous-tendant notre code comportemental contemporain. Un système dans lequel la religion ne s’exhibe pas et dans lequel la femme donne à voir (notamment au travers de la visibilité de sa personne) qu’elle n’est ni asservie, ni reléguée et que ce n’est pas à elle, mais à l’homme, de contrôler la libido masculine.
Cela n’a pas toujours été ainsi : voir les accoutrements de nos arrière-arrière-grands-mères sur les cartes postales des stations balnéaires de la Belle Époque. Mais, précisément, la non occultation du corps féminin nous est devenue d’autant plus coutumière qu’elle est l’aboutissement d’un processus de maturation séculaire de notre psychisme collectif. La stricte observance islamique débarque là-dedans comme un éléphant dans un magasin de porcelaine. Sa pudeur obsessionnelle nous prend à rebrousse-poil. L’émoi que nous ressentons naît d’une angoisse de régression, du sentiment vertigineux que nous sommes en train de réimporter le moyen-âge. Le scandale réside pour nous dans l’occultation, alors qu’il se trouve dans le découvrement pour la culture religieuse nouvellement implantée. Paradoxe qui donne la mesure du choc culturel en cours.
De l’autre côté, l’impossibilité – ou la grande difficulté – pour notre système juridique, de protéger cet ordre symbolique, de consolider l’identité culturelle nationale, s’est installée au cours des trente dernières années. À l’échelle de l’Histoire, même dans les sociétés démocratiques, cette impuissance, assumée au nom des droits et libertés individuels, est une nouveauté dont les peuples n’ont pas pris conscience. Le droit étayait l’ordre symbolique. C’est d’ailleurs ainsi que cela se passe toujours dans les sociétés musulmanes, même officiellement non intégristes : le blasphème et l’apostasie y sont le plus souvent pénalement sanctionnés.
En Occident, le droit refuse désormais de prêter main forte aux mœurs. Apparaissent comme des reliques anthropologiques, à cet égard, des infractions françaises comme l’outrage au drapeau tricolore ou à l’hymne national (article 433-5-1 du code pénal15), ou comme l’exhibition de sa nudité dans un lieu « accessible aux regards du public » autre qu’un camp de nudistes (article 222-32 du code pénal). Dans les deux cas, c’est l’ordre symbolique que défend la loi pénale contre certaines expressions de la liberté personnelle.
Cette restriction de la liberté au nom des « bonnes mœurs » se heurte désormais à la barrière des droits dès lors qu’elle affecte un droit sans pouvoir se réclamer ni de la défense d’un autre droit, ni du respect de l’ordre public au sens étroit que donne de celui-ci, dans ses ordonnances burkini, le Conseil d’État.
Ce dernier est désormais peu disposé à rattacher l’ordre public à quelque ordre symbolique que ce soit, comme il l’avait pourtant fait jusque là en se fondant :
- sur la dignité de la personne humaine, dans son arrêt d’assemblée sur les « lanceurs de nains » (27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orge) ou dans l’ordonnance de référés Dieudonné du 6 février 2015 ;
- ou encore sur une « immoralité » susceptible de troubler la tranquillité publique, eu égard aux circonstances locales, dans sa jurisprudence sur les spectacles (Films Lutetia, 18 décembre 1959 ; Ville d’Aix en Provence, 26 juillet 1985).
Ainsi, dans l’affaire du « Pull-over rouge » de 1985, il jugeait que « Le maire, responsable du maintien de l’ordre dans sa commune, peut interdire sur le territoire de celle-ci la représentation d’un film dont la projection est susceptible de provoquer des troubles sérieux ou d’être, en raison du caractère immoral du film et de circonstances locales particulières, préjudiciable à l’ordre public ».
Fort éloignée de ces jurisprudences – et aux antipodes de la définition presque anthropologique que propose François Terré (« L’ordre public est d’abord celui d’un peuple qui s’affirme et se perpétue malgré les vicissitudes, les aventures, les heurs et les malheurs de son histoire ») – est la notion d’ordre public, exclusivement matérielle, que retiennent les ordonnances burkini.
Certes, dans une affaire « Association islamique Ibn Anas » (6 décembre 2016), le juge des référés du Conseil d’État semble retrouver l’inspiration de l’ordonnance Dieudonné en rejetant la demande de suspension de l’arrêté de fermeture de la mosquée d’Ecquevilly où sont tenus des prêches appelant à la discrimination des femmes et à la lutte contre les confessions chrétiennes et juives.
Il se fonde cependant, pour ce faire, non sur la sauvegarde de l’ordre public, mais sur les dispositions expresses de l’article 8 de la loi du 3 avril 1955 (relative à l’état d’urgence) permettant au préfet de fermer un « lieu de culte au sein duquel sont tenus des propos constituant une provocation à la haine ou à la violence ». Le Conseil juge en effet que les « exhortations à des comportements violents, sectaires ou illégaux », alors même qu’ils n’inciteraient pas à la pratique d’actes de terrorisme, constituent, en l’espèce, des motifs tels que « c’est sans erreur d’appréciation que le préfet a pu décider de faire usage des pouvoirs qu’il tient de l’article 8 de la loi du 3 avril 1955 »16. La solution ne vaut donc que dans le cadre de l’état d’urgence.
En dehors de l’état d’urgence, la fermeture administrative d’un lieu de culte n’est possible, en vertu du code de la sécurité intérieure, qu’ « aux fins de prévenir la commission d’actes de terrorisme »17. Un discours de haine ne suffit pas, moins encore un discours obscurantiste comme celui tenu par l’imam de Brest aux enfants tentés par la musique (« Si vous faites de la musique, vous serez transformés, en enfer, en petits cochons »).
La situation relevée par le Conseil d’État en décembre 2016 pour la mosquée d’Ecquevilly ne suffirait plus à justifier sa fermeture.
De plus, la fermeture ne peut excéder six mois. Une nouvelle fermeture ne peut intervenir que pour des faits nouveaux survenus après réouverture. Aussi les fermetures de mosquées intégristes se comptent-elles sur les doigts d’une main depuis la levée de l’état d’urgence.
L’article 35 de la loi de 190518 fournit à première vue une base pour sanctionner pénalement un ministre du culte ayant tenu un discours de haine, mais il serait difficile à appliquer en l’absence de « révolte, de sédition ou de guerre civile » consécutive à ce discours et prêterait le flanc à une QPC en raison de son défaut d’encadrement.
Une base législative expresse et claire est nécessaire pour permettre aux autorités publiques de contrer légalement le fanatisme religieux.
Ainsi, c’est sur le fondement des 6° (provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence envers un groupe de personnes en raison de leur appartenance ou non-appartenance à une religion) et 7° (agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France) de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure que, le 23 décembre 2016, le juge des référés du Conseil d’État rejette la demande de suspension d’un décret du 24 novembre 2016 prononçant la dissolution d’une association19.
RPP – L’accès à la nationalité française ne peut-il être refusé à ceux qui professent des vues religieuses radicales ?
Jean-Éric Schoettl – Oui si ces vues sont contraires aux valeurs de la République ou, plus généralement, si elles traduisent un « défaut d’assimilation ».
Les dispositions relatives à la naturalisation ou à l’acquisition de la nationalité par mariage sont claires. Ainsi, aux termes de l’article 21-4 du code civil : « Le Gouvernement peut s’opposer par décret en Conseil d’État, pour indignité ou défaut d’assimilation, autre que linguistique, à l’acquisition de la nationalité française par le conjoint étranger dans un délai de deux ans à compter de la date du récépissé prévu au deuxième alinéa de l’article 26 ».
Encore faut-il que les pouvoirs publics soient résolus à les appliquer, suffisamment en alerte pour identifier un défaut d’assimilation et réagir en temps utile, puis non désavoués par le Conseil d’État.
Une affaire récente illustre un certain ressaisissement à cet égard. Lors de la cérémonie d’accueil dans la nationalité française organisée dans une préfecture, une ressortissante algérienne refuse expressément de serrer la main du secrétaire général de la préfecture ainsi que celle d’un élu d’une commune du département venus l’accueillir. En estimant qu’un tel comportement, en un lieu et à un moment symboliques, révélait un défaut d’assimilation et justifiait qu’il s’oppose à l’acquisition de la nationalité française par l’intéressée, le Premier ministre a correctement appliqué l’article 21-4 du code civil, juge le Conseil d’État20.
La même solution s’impose si le postulant à la nationalité française prône le confinement de la femme au foyer, ou se déclare prêt à faire exciser ses filles, ou se montre favorable à la mise à mort des apostats, ou tient des propos haineux à l’égard des incroyants, des chrétiens ou des juifs.
En pareil cas, le caractère religieux des motifs ou le « modèle culturel » qui inspirent le postulant ne sont nullement atténuants : ils sont au contraire constitutifs du défaut d’assimilation, car contredisant les conceptions, codes comportementaux et valeurs qui tiennent ensemble la société française.
De fait, les dispositions du code civil relatives à l’accès à la nationalité et aux raisons possibles de son refus sont, dans notre « droit positif », ce qui se rattache de plus près à l’ordre public symbolique dont nous parlions il y a un instant.
RPP – Ne peut-on mieux contrôler administrativement le culte musulman ?
Jean-Éric Schoettl – L’idée a été émise de contraindre les musulmans à se constituer en associations cultuelles (titre IV de la loi de 1905). En effet, le cadre de l’association cultuelle assure plus de transparence financière et pourrait faire barrage aux financements étrangers si la loi les interdisait.
Contrairement aux églises historiquement établies en France, depuis longtemps organisées sous forme de congrégations et d’associations cultuelles, l’islam français recourt peu aux associations cultuelles. La grande majorité des mosquées présente la forme soit d’associations de droit commun (loi de 1901), ce que permet la loi du 2 janvier 1907 sur l’exercice des cultes, soit de groupements de fait. Le statut d’association de droit commun offre aux musulmans deux principaux avantages sur l’association cultuelle : il permet de combiner plusieurs objets sociaux (culte, activités culturelles, lieu d’échanges et de sociabilité) ; il impose des obligations comptables moins contraignantes.
L’idée d’obliger les associations musulmanes à se soumettre au titre IV de la loi de 1905 peut paraître séduisante, mais elle serait très difficile à mettre en œuvre. Son exécution susciterait beaucoup de tensions locales car la remise à plat des statuts n’irait pas de soi. En pratique, les préfets ne seraient en mesure ni d’obliger les associations musulmanes existantes à scinder leurs activités cultuelles et culturelles, ni même de recenser complètement l’ensemble des groupements d’inspiration religieuse islamique. Cette difficulté apparaîtrait également pour d’autres cultes minoritaires, comme les évangéliques.
Aussi est-il difficile de contraindre les musulmans à adopter le statut des associations cultuelles sans élargir en même temps l’objet de ces associations, ce qui a été également évoqué. La seconde mesure serait la condition de la première, car l’exclusivité cultuelle ne correspond pas à la tradition musulmane. L’extension de l’objet des associations cultuelles bénéficierait à toutes les religions.
RPP – Ne tient-on pas là une bonne piste ? Pourquoi ne pas envisager en effet un double réaménagement des lois de 1905 et 1907 ?
Jean-Éric Schoettl – Il serait irresponsable d’ouvrir la boîte de Pandore de la révision de la loi de 1905, surtout sur un point aussi fondamental que l’exclusivité de l’objet cultuel des associations cultuelles.
Cette remise en cause permettrait-elle d’ailleurs d’inciter, voire d’obliger (en abrogeant l’article 4 de la loi de 1907), les associations de 1901 (dans le cadre desquelles se pratique le culte musulman) à se couler dans le moule de la loi de 1905 et de son encadrement administratif plus rigoureux (notamment sur le plan de la transparence financière) ? Il est permis d’en douter.
En outre, la mesure aurait des répercussions sur les autres cultes. Elle impacterait par exemple les obédiences marginales telles que les évangéliques ou les Loubavitch. Se poserait notamment la question des mouvances auxquelles la qualité d’association cultuelle a été refusée pour des considérations d’ordre public (Mandarom), qui se verraient privées de personnalité morale.
L’élargissement de l’objet des associations cultuelles ne serait pas non plus sans conséquences fiscales (article 200 CGI).
Surtout, ce basculement de statut associatif resterait sans effet sur les groupements de fait qui sont nombreux et dont on peut penser qu’ils abritent les pratiques les plus intégristes.
L’objectif recherché (changement de statut de l’association) n’est pas négligeable en soi, mais il n’apporte pas un surcroît de garantie contre les dérives obscurantistes assez fort pour justifier la remise en cause de la loi de 1905.
Plus généralement, en l’absence de hiérarchie dans l’islam sunnite, toute tentative de créer une interface institutionnelle avec l’Islam de France, dans l’espoir de l’acclimater à la République, sera par définition sans effet sur les milieux islamistes qui sont totalement autonomes et campent en dehors de tout cadre légal.
La partie de l’Islam de la France qui jouera le jeu du dialogue institutionnalisé n’aura aucune prise sur la mouvance radicale.
RPP – Cette généralisation de l’association cultuelle n’est-elle pas cependant possible juridiquement ?
Jean-Éric Schoettl – Qu’il y ait ou non extension de l’objet des associations cultuelles, le basculement obligatoire du statut de 1901 (ou du groupement de fait) vers le statut de 1905 se heurterait en tout état de cause à divers obstacles :
a) L’obligation de se couler dans le moule de la loi de 1905 suppose l’abrogation, explicite ou implicite, de l’article 4 de la loi du 2 janvier 1907 sur l’exercice public des cultes21 qui ouvre la possibilité d’exercer le culte dans un autre cadre que celui de l’association cultuelle, y compris dans celui du droit de réunion « sur initiatives individuelles ». Cette abrogation d’une disposition ancienne, faisant corps avec la loi de 1905, qu’elle corrige dans un sens libéral, serait contestable, aux plans constitutionnel et conventionnel, sur le terrain de la liberté religieuse. Elle interdirait en effet en principe aux cultes de s’exercer en dehors du cadre « contrôlé » du titre IV de la loi du 9 décembre 1905 (associations cultuelles) et obligerait les cultes organisés dans le cadre de la loi de 1901 ou inorganisés à migrer vers le statut de l’association cultuelle.
b) À supposer surmonté cet obstacle sérieux, se posent des questions de faisabilité : comment contrôler et sanctionner la méconnaissance de l’obligation d’adopter le statut d’association cultuelle ? Le contrôle serait impossible ou inopérant pour les groupements de fait. La sanction prévue par la loi de 1905 (article 2322) serait soit inefficace (amende, dissolution judiciaire pour un groupement de fait), soit impraticable parce que disproportionnée (dissolution judiciaire pour une association de la loi de 1901 ayant « pignon sur rue », peines de prison en cas de tentative de reconstitution).
c) Ce serait une opération de chirurgie lourde dans un domaine doublement délicat (liberté d’association et liberté religieuse). Pour atteindre un objectif illusoire (la régulation administrative de la mouvance islamique radicale), on déstabiliserait sans nécessité l’ensemble des cultes (le culte catholique se trouvant lui-même en porte-à-faux du fait de la nature sui generis des associations diocésaines, fondées sur un échange de lettres entre l’État français et le Saint-Office s’échelonnant de 1921 à 1924).
d) La circonstance que l’objet de l’association cultuelle soit désormais élargi ne serait pas toujours un adjuvant, car certains groupes religieux (au premier rang desquels les musulmans) sont réfractaires par principe au contrôle lié au statut d’association cultuelle et relativement insensibles à ses avantages (déduction fiscale des dons, libéralités testamentaires). Cette répugnance à adopter le statut d’association cultuelle serait d’autant plus forte que ce statut serait assorti d’obligations légales nouvelles.
Au regard de ces difficultés, l’intérêt d’imposer à tous les cultes le statut d’association cultuelle semble bien limité.
RPP – On évoque également l’interdiction des financements étrangers
Jean-Éric Schoettl – L’interdiction faite aux États étrangers de financer le culte ne semble constitutionnellement pouvoir emprunter qu’une voie : étendre à ces États l’interdiction prévue à l’article 19 de la loi de 1905 (« Elles ne pourront, sous quelque forme que ce soit, recevoir des subventions de l’État, des départements et des communes »).
Mais cette interdiction ne toucherait que les associations cultuelles. Elle serait sans effet sur les groupes religieux organisés dans le cadre d’associations de la loi de 1901. On répondra qu’il « n’y a qu’à » obliger les cultes à se couler dans le moule de la loi de 1905 en abrogeant la loi du 2 janvier 1907. Mais on vient de dire quelles difficultés à la fois juridiques et matérielles on rencontrerait alors. Par ailleurs, il est hors de question, juridiquement et diplomatiquement, d’interdire le financement de toutes les associations par un État étranger.
L’interdiction du financement des associations cultuelles (et, a fortiori, des associations de la loi de 1901) par des personnes privées se heurterait à des obstacles juridiques et diplomatiques encore plus sérieux.
Dans tous les cas, ces mesures d’interdiction seraient sans effet sur les initiatives individuelles et les groupements de fait. Or c’est là que se trouve le cœur du problème.
RPP – Malgré la loi de 1905, l’État ou les collectivités locales peuvent-ils subventionner la construction de mosquées ou, plus généralement, apporter des aides au culte musulman ?
Jean-Éric Schoettl – La prohibition du subventionnement des cultes n’est pas mentionnée par le Conseil constitutionnel lorsqu’il définit, au niveau constitutionnel, le contenu du principe de laïcité.
La prudence s’impose toutefois car :
- il serait audacieux de voir un a contrario déterminant dans le fait que, dans sa décision de 2013, le Conseil constitutionnel mentionne expressément que la République ne reconnaît, ni ne salarie aucun culte, mais ne dit rien du subventionnement ;
- sans interdire absolument le subventionnement, le principe de laïcité ou d’autres principes constitutionnels pourraient en limiter drastiquement les possibilités.
Ainsi, le principe constitutionnel de laïcité, dès lors qu’il interdit à la République de salarier un culte, devrait également interdire d’attribuer des aides publiques permettant de tourner cette prohibition, telle une subvention de fonctionnement.
C’est à cette impossibilité de subventionner les cultes que se heurterait la fameuse « taxe halal » dont la classe politique parle beaucoup. Si on en comprend bien l’idée, cette taxe serait en effet un prélèvement obligatoire, assis et recouvré par l’État, et dont les recettes, transitant par un compte d’affectation spéciale, seraient affectées au culte musulman.
De même, l’obligation de traiter également toutes les religions ne permettrait pas à une collectivité publique de moduler librement ses concours, notamment en contrepartie d’une attitude modérée, républicaine etc.
Une subvention de fonctionnement, outre qu’elle ne doit pas permettre de salarier un culte, devrait, pour rester conforme au principe d’égalité de traitement entre croyances, être calculée selon des critères objectifs, du type de ceux mis en œuvre pour le financement des partis.
En outre, le principe d’égalité devant les charges publiques pourrait être considéré comme enfreint par une aide financière aux cultes (en tant que cultes), car les non croyants seraient mis à contribution en tant que contribuables, sans en tirer de bénéfice (au contraire, pour les plus athées d’entre eux).
On peut en revanche imaginer de déroger à la prohibition du subventionnement public des édifices du culte par la loi en visant des hypothèses spéciales, telles que le développement urbain, sans traitement préférentiel de tel ou tel culte.
Le pas a déjà été franchi, puisque l’article L. 2252-4 du code général des collectivités territoriales permet aux communes de « garantir les emprunts contractés pour financer, dans les agglomérations en voie de développement, la construction, par des groupements locaux ou par des associations cultuelles, d’édifices répondant à des besoins collectifs de caractère religieux ». À défaut d’une telle autorisation législative, la garantie apportée par une collectivité publique à une association cultuelle, pour la construction d’un édifice du culte, se heurterait à l’article 2 de la loi de séparation (CE, 9 octobre 1992, commune de Saint-Louis).
De même, l’article L 1311-2 de ce code permet à un bien immobilier appartenant à une collectivité territoriale de faire l’objet d’un bail emphytéotique, en vue notamment de son « affectation à une association cultuelle d’un édifice du culte ouvert au public ».
D’autres dérogations à la prohibition des subventions publiques aux cultes résident dans la possibilité donnée à une collectivité territoriale ou à l’État d’attribuer ponctuellement à une association cultuelle (ou à tout autre organisme confessionnel) une aide (financière ou matérielle) fondée sur des considérations d’intérêt général extra religieuses.
De telles hypothèses ont déjà été traitées dans un sens libéral par la jurisprudence (en particulier par une série de décisions de juillet 2011 du Conseil d’État) ou sont susceptibles de l’être à l’avenir.
Ainsi :
- Le Conseil d’État juge qu’une personne publique peut, dans l’intérêt de la protection de la salubrité publique et de la santé publique, prendre en charge des travaux d’aménagement de locaux appelés à être utilisés comme abattoir pour ovins afin d’y permettre l’exercice de pratiques à caractère rituel (CE, 19 juillet 2011, Communauté urbaine du Mans – Le Mans Métropole, n° 309161) ;
- De même, une collectivité publique peut participer au financement de la construction d’un ascenseur destiné à faciliter l’accès des personnes à mobilité réduite à un lieu de culte (en l’espèce la basilique Notre‐Dame de Fourvière) compte tenu de l’intérêt public local, lié notamment à l’importance de l’édifice pour le rayonnement culturel ou le développement touristique et économique (CE, 19 juillet 2011, Fédération de la libre pensée et de l’action sociale du Rhône et P., n° 308817) ;
- L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie ne peut légalement refuser l’octroi d’une subvention à une association au seul motif qu’elle se livre à des activités cultuelles, alors que le projet au titre duquel le financement est sollicité ne présente pas lui‐même un caractère cultuel et que le versement des subventions s’accompagne de la conclusion de conventions permettant de garantir que ces subventions seront exclusivement affectées au financement du projet (CE, 26 novembre 2012, Ademe, n° 344379).
En revanche, les subventions se rapportant à des cérémonies cultuelles sont jugées contraire à la loi de séparation, quand bien même elles présenteraient un intérêt culturel et économique et que, en marge de ces processions, seraient organisées des manifestations à caractère culturel, historique ou touristique (CE, 15 février 2013, Association Grande confrérie de Saint Martial et autres, 347049, à propos des ostensions septennales dans le Limousin).
S’agissant des associations cultuelles, leur confinement à l’activité cultuelle, souvent dénoncé, n’interdit pas d’apporter des aides publiques ou de reconnaître l’utilité publique (avec le statut fiscal avantageux qui s’y attache) à des associations qui, bien qu’en lien avec une communauté religieuse, n’ont pas de caractère cultuel.
RPP – Les lieux de culte musulmans ne sont-ils pas moins bien traités que les autres par la loi de séparation ?
Jean-Éric Schoettl – Le financement public des travaux sur les édifices du culte existant en 1905 confère objectivement un « avantage comparatif » aux religions anciennement implantées par rapport aux plus récemment établies, l’Islam en particulier.
Cet avantage justifierait-il un « rattrapage législatif » en faveur des nouveaux cultes ?
Ce serait méconnaître que, si « avantage comparatif » il y a en faveur de l’Église catholique et des autres cultes traditionnellement pratiqués en France, cet avantage résulte non d’une disposition pérenne (qui se heurterait au principe d’égalité de traitement entre cultes), mais d’une mesure transitoire de la loi de 1905.
C’est un transitoire qui dure parce que la situation devant laquelle s’incline la loi de 1905 est millénaire, que la plupart de nos églises existaient déjà en 1905 et que les pierres résistent au temps. Mais cela reste juridiquement une mesure transitoire (les nouvelles églises n’en bénéficiant pas) et la nature des mesures transitoires est de bénéficier aux situations antérieurement acquises.
Au moins en droit, l’avantage comparatif dont disposent les églises catholique, réformée et luthérienne, ainsi que le culte israélite ne peut donc être regardé comme une rupture d’égalité entre croyances justifiant, par compensation, des mesures de discrimination positive telles que la construction sur fonds publics des seuls sanctuaires dédiés au culte musulman et aux églises évangéliques d’implantation récente.
La loi de 1905 rassemble des règles intervenues à un moment historique donné et dans une société donnée. Elle a nécessairement conféré un certain « privilège de moyens » aux quatre cultes installés (catholique, réformé, luthérien et israélite). Elle photographie une situation. Il est dès lors anachronique de la présenter comme inéquitable envers l’Islam.
Sur le plan politique – et compte tenu des limitations budgétaires – le « rattrapage » est difficilement concevable, car il devrait logiquement prendre la forme de la transformation en mosquées d’églises inutilisées. L’idée en a d’ailleurs été lancée par un représentant éminent et modéré de l’Islam français. On ne peut imaginer meilleure façon d’alimenter le « syndrome de remplacement » chez nos concitoyens…
RPP – Le principe de neutralité est-il amendable ?
Jean-Éric Schoettl – C’est exclu à Constitution constante. Le principe de neutralité est expressément mentionné par le Conseil constitutionnel lorsqu’il définit en février 2013 le contenu du principe constitutionnel de laïcité.
Toutefois, le législateur, et le juge lui-même dans le cadre de son pouvoir d’interprétation de la loi, peuvent opérer une conciliation entre exigences constitutionnelles contraires ou même entre exigence constitutionnelle et impératif d’intérêt général, dès lors qu’ils n’en sacrifient aucun.
RPP – Peut-on donner des exemples de telles conciliations ?
Jean-Éric Schoettl – Le législateur pourrait par exemple admettre la présence de signes religieux dans les manifestations publiques et dans les locaux publics dès lors que leur présence a un caractère traditionnel ou présente un intérêt culturel, social ou touristique et qu’elle n’a pas d’intention prosélyte (serait à cet égard amendé l’article 28 de la loi de 1905).
De plus, comme pour le subventionnement d’organismes religieux au titre de finalités non religieuses, des efforts jurisprudentiels sont possibles dans le sens de la conciliation.
Ainsi, s’agissant de la tenue vestimentaire des accompagnatrices bénévoles des sorties scolaires des écoles publiques, le juge administratif pourra estimer que, sous réserve de considérations d’ordre public ou d’autres impératifs d’intérêt général tenant aux circonstances, le port du voile par certaines mères n’est pas contraire au principe de neutralité religieuse de l’État. L’expérience montre que le seul port du foulard islamique (s’il demeure discret) n’est nécessairement révélateur ni de refus d’intégration, ni d’intégrisme. Autre chose est le port de l’ample manteau noir ne laissant apparaître que la figure de l’intéressée par ailleurs gantée, car une telle tenue est en soi provocatrice. Les circonstances locales peuvent en outre justifier plus de sévérité : il est difficile d’accepter que toutes les accompagnatrices soient voilées, surtout lorsqu’on a des raisons de soupçonner une pression communautariste sur les mères. Ce serait prêter la main aux radicaux. Dans de telles circonstances, s’il est impossible d’obtenir une proportion raisonnable de mères non voilées, mieux vaudrait renoncer aux sorties.
Autre exemple d’effort jurisprudentiel, même si on peut le trouver contourné : les décisions rendues le 9 novembre 2015 par le Conseil d’État à propos des crèches de Noël.
Le Conseil d’État y juge que l’article 28 de la loi de 1905, qui met en œuvre le principe de neutralité, interdit l’installation, par des personnes publiques, de signes manifestant la reconnaissance d’un culte ou marquant une prédilection religieuse.
Toutefois, en raison de la pluralité de significations des crèches de Noël, qui sont aussi des éléments des « décorations profanes installées pour les fêtes de fin d’année », leur installation temporaire à l’initiative d’une personne publique, dans un emplacement public, est légale si elle présente un caractère culturel, artistique ou festif et n’exprime pas la reconnaissance d’un culte ou une préférence religieuse.
Comment appliquer cette règle hic et nunc ? C’est ici que la solution débouche sur une casuistique subtile, comme la jurisprudence sur le voile à l’école dans les années 1990.
Tout d’abord, le Conseil juge qu’il convient de tenir compte, dans chaque espèce, du contexte dans lequel a lieu l’installation, des conditions particulières de cette installation, de l’existence ou de l’absence d’usages locaux et du lieu de cette installation. Cette appréciation s’avèrera déjà délicate en pratique.
Qui plus est, mettant en exergue le lieu de l’installation, le Conseil distingue les bâtiments des autres emplacements publics :
- Dans les bâtiments publics, sièges d’une collectivité publique ou d’un service public, la règle est qu’une crèche de Noël ne peut être installée. Elle pourra cependant l’être, par exception, si des circonstances particulières attestent que cette installation présente un caractère culturel, artistique ou festif ou s’inscrit dans un usage local ;
- La règle et l’exception s’inversent dans les autres emplacements publics. Compte tenu du caractère festif des décorations de fin d’année, l’installation d’une crèche de Noël y est présumée légale. La présomption tombe si l’installation constitue un acte de prosélytisme ou de revendication d’une opinion religieuse.
Cette jurisprudence est loin de dissiper les incertitudes23.
Sa complexité pourrait conduire le législateur à intervenir, comme il l’a fait pour le voile à l’école. Estimant que le principe constitutionnel de neutralité n’interdit pas par lui-même l’installation de crèches « non prosélytes » dans un bâtiment public, il pourrait par exemple inscrire à l’article 28 de la loi de 1905 la règle plus simple et plus libérale (à laquelle s’était rangée la Cour administrative d’appel de Nantes le 13 octobre 2015 à propos de la crèche installée dans le hall du conseil général de la Vendée) selon laquelle « Ne constituent pas un signe ou emblème religieux contraire au présent article, en l’absence de tout élément de prosélytisme ou d’adhésion officielle à une croyance, les décorations installées dans les bâtiments et autres emplacements publics à l’occasion des fêtes traditionnelles ».
On peut aussi se demander si le Conseil d’État n’aurait pas mieux fait d’appliquer strictement les termes clairs de l’article 28 de la loi de 1905. Sa demi acceptation des crèches dans les bâtiments publics fait à la France chrétienne un cadeau doublement empoisonné : folklorisation de la nativité et porte ouverte à des demandes reconventionnelles au nom de l’égalité entre cultes.
Il faut exclure que sa position soit dictée par le souci de ne pas paraître « être contre les crèches et pour les burkinis ». En réalité, elle s’inscrit dans la continuité de sa jurisprudence sur les manifestations publiques du religieux, depuis une trentaine d’années. Cette jurisprudence est inspirée par une vision tolérante de la laïcité, tempérant l’esprit et même (comme ici) la lettre de la loi de 1905. En manifestant pareille ouverture à l’autre, apporte-t-il malgré lui une caution légale à l’intégrisme ? C’est un risque.
RPP – Précisément, comment s’opposer aux tentatives d’affaiblissement des règles forgées en 1905, notamment dans le cadre de la révision constitutionnelle en cours ?
Jean-Éric Schoettl – En expliquant que ces tentatives sont inutiles ou inopportunes :
- Inutiles, parce que les dispositions de la loi de 1905 elle-même, des textes spéciaux ultérieurs et la jurisprudence offrent déjà beaucoup d’ouvertures dans le sens de relations positives entre pouvoirs publics et religions ;
- Inopportunes, parce que le principe de laïcité, tel que codifié jusqu’ici par la Constitution et par la loi de séparation, fait l’objet d’un très large consensus national, y compris de la part de l’Église catholique (voir la lettre ouverte des évêques de France pour le centenaire de la loi de séparation).
Personne n’est vraiment demandeur d’aggiornamento (sinon les mouvances activistes de l’Islam, afin de revendiquer un « rattrapage » par rapport aux cultes historiquement implantés en France).
Un système concordataire ne règlerait pas les problèmes spécifiquement posés par l’émergence d’une forte minorité musulmane, ne serait-ce que par défaut de représentation structurée et de hiérarchie ecclésiastique dans l’islam sunnite ou par répugnance des intéressés à s’insérer dans un cadre ressenti comme officiel et compromettant…
Depuis des années, nous multiplions les tentatives d’institutionnalisation de l’islam de France, sans réussir à faire émerger, en dehors d’une minorité de clercs éclairés, cet « islam des lumières », cette spiritualité musulmane tempérée dont nous rêvons qu’elle soit suffisamment rayonnante pour damer le pion à la tentation intégriste. Ce sont au contraire le salafisme et l’idéologie des frères musulmans qui conquièrent le haut du pavé, pour ne pas évoquer la pulsion djihadiste qui touche des milliers de jeunes, et pas seulement dans les prisons.
Tout indique hélas que s’est installée une épreuve de force entre nos valeurs et la lecture littérale et sélective du corpus coranique que promeuvent les fondamentalistes, lesquels mettent en exergue des passages comme les fameux versets 29 et suivants de la sourate IX (qui exhortent les croyants à combattre les chrétiens et les juifs qui ne se soumettent pas) ou invoquent à satiété le hadith du Rocher et de l’Arbre (à connotation franchement génocidaire).
Nous savions qu’il existait des territoires perdus de la République, mais c’est tout son espace qui est à présent exposé.
Le marquage du territoire par la multiplication des signes visibles d’appartenance, la mise au pas des croyants trop tièdes, la relégation des femmes sont les manifestations les plus visibles de cette sécession.
Elle se prolonge, dans les établissements scolaires « sensibles », avec le complotisme, le dénigrement du récit national, le refus de la mixité, la judéophobie et la récusation d’une partie des enseignements, à commencer par celui des sciences de la vie.
Dans la rue comme à l’école, l’islamisme répand l’hostilité à l’égard de la société d’accueil. Cette hostilité trouve un allié objectif dans un gauchisme qui a troqué la révolution prolétarienne contre l’ « intersectionnalité des luttes », l’antisionisme radical et la dénonciation d’un « racisme d’État » dont la laïcité serait une arme de domination.
Elle trouve aussi ses idiots utiles :
- Parmi les apôtres du « droit à la différence » et de la contrition postcoloniale qui, comme le dit très bien Elisabeth Lévy, célèbrent les différences culturelles, mais les occultent ou les minimisent (le voile n’est qu’un bout de tissu, la représentante de l’Unef en hijab « a bien le droit de s’habiller comme elle veut ») dès qu’elles posent problème ;
- Ou parmi les tenants d’une vision intransigeante et abstraite des droits fondamentaux s’opposant à toute limitation de l’affirmation religieuse dans l’espace public, comme à tout renforcement des moyens de la police administrative ou de la répression pénale dans la lutte contre le radicalisme.
L’hostilité islamiste, sourde ou manifeste, à l’égard de la société occidentale produit l’islamophobie, au sens propre du suffixe « phobie » : la peur d’une société redoutant de voir disparaître toute frontière (matérielle ou morale) entre ce qu’elle est encore et ce qu’elle craint de devenir à son corps défendant. La peur de ne pouvoir persévérer dans son être, doublée de la peur physique de l’attentat.
Il est vain de vouloir conjurer une telle peur en se contentant de nier la réalité de son fait générateur ou de dénoncer le populisme ou la xénophobie : ces derniers sont non la cause de l’islamophobie, mais une conséquence de l’islamisme. Les extrémistes peuvent tirer profit de cette peur, ils peuvent souffler sur les braises, mais elle existerait sans eux. On ne conjurera la peur qu’en s’attaquant par les actes à ses causes objectives.
On ne voit pas en quoi un aggiornamento concordataire serait le remède à ce mal. Au-delà du dialogue et de l’utilisation de la boîte à outils actuelle des lois de 1905, 1907 et autres normes pertinentes (article 200 CGI, baux emphytéotiques, formation des imams, statut des aumôniers pénitentiaires etc), l’institutionnalisation d’un « Islam de France » n’est pas la panacée contre la montée de l’islamisme.
La solution se trouve dans l’affirmation des valeurs de la République, dans la lutte contre le djihadisme et les discours de haine et dans le fait de s’adresser aux personnes de culture musulmane comme à des personnes, sans les fondre dans une communauté de croyance.
Il importe également de faire connaître plus précisément la portée des notions de laïcité et de séparation.
Leur invocation brouillonne, parfois même dans des enceintes réputées sérieuses, conduit, on l’a vu :
- soit à l’exagérer (l’interdiction du voile à l’université ne paraît pas pouvoir être fondée sur le seul principe de laïcité ; l’interdiction du voile intégral dans l’espace public n’a d’ailleurs pas ce fondement) ;
- soit à la sous-estimer (un menu de cantine scolaire publique peut être diversifié et personnalisé selon les goûts, mais il n’y a pas de « droit au repas halal » à l’école publique).
Le principe de laïcité peut être combiné avec le bon sens et la bienveillance (crèches de Noël municipales, accompagnatrices voilées des déplacements scolaires), mais il doit aussi l’être avec l’ordre public et le bon fonctionnement des organismes publics et privés (compte tenu de leur objet et des circonstances).
À cet égard, il ne faut jamais négliger le contexte de certaines affaires (un peu vite réduites par une certaine bien-pensance à des « querelles de bouts de tissu »). Il convient de prendre garde à ne pas désavouer les responsables locaux sans examen attentif des faits.
Les préoccupations de l’opinion doivent être également prises en considération, sans démagogie, mais sans dédain moralisateur. Celui-ci ne peut que creuser le fossé entre le peuple et les élites, au profit des extrémistes.
La façon lapidaire dont les ordonnances burkini nient toute justification d’ordre public aux arrêtés des maires (y compris celui d’une ville ensanglantée la veille) ne calme pas le jeu entre une population anxieuse et une élite qui, du haut de ses hautaines certitudes morales, ne voit dans l’inquiétude des gens ordinaires – dans ce domaine comme dans d’autres – que des motivations « déplorables », pour reprendre l’expression de la candidate malheureuse à l’élection présidentielle américaine.
RPP – Que faire en dehors de la loi de 1905 ?
Jean-Éric Schoettl – Les ajustements empiriques et ponctuels (par la pratique ou la jurisprudence), fussent-ils souhaitables dans leur principe, peuvent parfois être difficiles à gérer sur le terrain.
La préservation de la coexistence harmonieuse, voire de la paix civile, peuvent appeler du législateur l’énoncé d’une règle claire. En pareil cas, la proportionnalité, corollaire de l’État de droit, ne devrait pas être regardée comme incompatible avec le tracé d’une « ligne rouge » nette, aisée à comprendre, simple à contrôler et effectivement sanctionnée (prohibition de la dissimulation du visage dans l’espace public, interdiction des signes religieux à l’école).
Jusqu’à la loi de 2004, la jurisprudence a erré, dans les affaires de voile à l’école, par crainte de la stigmatisation, en imposant aux responsables des établissements un « réglage fin » au coup par coup, trop difficile à assumer localement et inintelligible par le public.
En matière de « police administrative », l’urgence, l’intérêt public ou la limitation des moyens de contrôle justifient parfois des interdictions générales et absolues.
L’univers scolaire appelle lui-aussi des règles claires, d’application non problématique (le port d’un uniforme nous éviterait bien des arguties et aurait le mérite supplémentaire de gommer les inégalités sociales au niveau vestimentaire).
Pour ce faire, les pouvoirs publics ne sont nullement obligés – comme le montre l’affaire de la prohibition de l’occultation du visage dans l’espace public – de se situer sur le terrain de la laïcité.
Mais il leur faudra composer avec l’imperium des droits individuels…
RPP – Sur la laïcité et l’intégrisme, quelle est l’approche d’Emmanuel Macron ?
Jean-Éric Schoettl – L’actuel président de la République n’a pas encore présenté de discours général sur ces questions. Il va le faire, dit-on, à la fin de l’année 2018. Nous ne savons pas encore ce qu’il va dire et lui peut-être non plus tant le sujet est délicat, tant il semble lui glisser entre les mains. C’est même un des grands angles morts de sa campagne présidentielle, avec la question, évidemment corrélée, de l’immigration.
Ses prises de position ont été contradictoires jusqu’ici :
- Dans un premier temps, il semble attribuer l’islamisme à des causes socio-économiques (« Les terroristes prospèrent sur la misère », tweete-t-il après l’attentat de Manchester en mai 2017), voire climatiques (« On ne peut pas prétendre lutter efficacement contre le terrorisme, si on n’a pas une action résolue contre le réchauffement climatique » déclare-t-il au G20 en juillet 2017) ;
- Mais, au vu de l’évidence des faits (l’intégrisme et les attentats islamistes, qui progressent partout dans le monde musulman, par exemple en Indonésie, sont difficiles à tous rattacher à la pauvreté des banlieues occidentales ou au réchauffement climatique !), il dénonce l’hydre islamiste après Trèbes, dans le bel hommage qu’il rend au Colonel Arnaud Beltrame.
Il n’est donc pas étonnant que la prise de parole d’Emmanuel Macron sur ce sujet ait été reportée à plusieurs reprises.
À quoi s’attendre ?
Le discours des Bernardins ne peut guère être extrapolé car, s’il est déjà discutable d’exhorter les catholiques à prendre position en politique en tant que catholiques, inciter les musulmans à faire de même serait contre-indiqué s’agissant d’une religion dont le tropisme est précisément de régir la Cité.
Dans son allocution du 22 mai 2018 sur les banlieues, le Président Macron est resté bien vague sur le communautarisme et l’islamisme, évoquant la montée de l’antisémitisme de façon englobante, comme si elle était le fait de l’ensemble de la société française. Quant à la référence oiseuse aux « mâles blancs », qui semble « racialiser » et « genrer » la politique de la Ville (en suggérant que les Français de souche de sexe masculin seraient illégitimes à en traiter), nous ferons l’effort de considérer qu’elle est à mettre au compte d’une intention humoristique maladroite.
Le chef de l’État compte sans doute s’inspirer du rapport que Hakim El Karoui lui a remis le 9 septembre 2018 sur « La fabrique de l’islamisme ». Il envisage sûrement aussi d’ exploiter ce qui remontera de ces « assises départementales de l’Islam de France » que les préfets ont été priés en juin 2018, un peu en catastrophe, d’organiser à la rentrée.
Notons que les instructions du ministre de l’Intérieur, dans le cadre de ces assises, sont d’élargir la représentation de la communauté musulmane aux personnalités de culture musulmane ayant connu de brillants succès professionnels (entrepreneurs, intellectuels, artistes etc ), aux « premiers de cordée » musulmans en quelque sorte, ce qui soulève au passage une question : ne cède-t-on pas là à la tentation d’ « essentialiser » les personnes d’origine maghrébine en les dissolvant dans une communauté définie par la religion ?
Il serait aventureux d’inférer du rapport El Karoui (lui-même premier de cordée) ou de l’ordre du jour de ces assises ce que seront les propositions d’Emmanuel Macron sur la question de la laïcité et de l’Islam.
Nous entrevoyons cependant, au travers du rapport comme des consignes données par Gérard Collomb aux préfets pour ces assises, les grandes lignes d’une approche présidentielle se voulant bienveillante et novatrice, sans proposer pour autant un « new deal » entre l’État et les cultes :
- travailler à la bonne entente entre l’Islam et la République, en se concertant avec ses représentants pour régler toute une série de problèmes concrets (financement des lieux de culte, abattage halal, aumôneries musulmanes, formation des imams) ;
- promouvoir l’usage du français dans les prédications ;
- trouver dans l’enseignement public la « bonne attitude », alliant la fermeté du ministre de l’Éducation pour ce qui est de la scolarité proprement dite et la souplesse pour le périscolaire (cantines comprises), les salles de prière ou la relation avec les parents (accompagnatrices voilées, congés exceptionnels).
Dans la mesure où elle serait clairement approuvée par le chef de l’État et traduite dans les faits par le système scolaire, l’approche personnelle de Jean-Michel Blanquer (selon laquelle il ne faut ni pousser les problèmes sous le tapis, ni laisser les incidents sans suite) serait le seul élément pouvant s’apparenter à un changement de paradigme.
Pour le reste, le programme précédemment énoncé, si c’est celui qui est présenté, consisterait à persévérer dans la volonté (qui a été celle de ses deux prédécesseurs) d’organiser un « Islam de France ».
Cette idée n’est pas nouvelle et n’est évidemment pas à combattre en soi. Que l’État ait un dialogue avec les représentants des musulmans, comme il en a avec l’Église catholique, qu’il fasse le point périodiquement des problèmes pratiques qui se posent aux uns comme aux autres, n’a rien que de très naturel.
Il faut toutefois bien mesurer, comme on l’a dit plus haut, les deux limitations majeures d’une telle approche :
- Tout d’abord, l’organisation de l’Islam de France se heurte à l’absence d’interlocuteurs représentatifs de leur communauté de croyance ;
- Ensuite et surtout, cette approche ne règle pas le problème essentiel qui est celui de la « résistible ascension » du communautarisme et de l’intégrisme.
Répétons-le : l’idée d’organiser le culte musulman, afin de donner à l’État un interlocuteur capable d’engager la communauté des fidèles et d’intégrer l’islam dans la République, butte – comme l’expérience du CFCM l’a montré – sur les divisions multiples de l’islam de France et l’absence de hiérarchie dans l’islam sunnite.
C’est ce que rappelle très bien l’exposé des motifs de la proposition de loi déposée en octobre 2017 par le groupe Union centriste du Sénat : « les pouvoirs publics, en dépit de leur volonté d’ouverture, ont du mal à établir et à entretenir un dialogue efficace avec les représentants de cette introuvable « communauté musulmane », si tant est que la pratique de l’islam suffise à déterminer l’existence d’une véritable communauté ».
L’État ne peut pas inventer une église qui n’existe pas.
Surtout, ce projet d’organiser l’islam de France ne répond pas au problème posé par le fondamentalisme islamique. Ni l’État, ni aucune organisation suscitée par lui n’auront jamais prise sur les groupes radicaux.
Dans le détail, certaines des réponses susceptibles d’être évoquées par le chef de l’État peuvent avoir leur intérêt (formation des imams au sein d’une faculté de théologie musulmane à créer à l’Université de Strasbourg ; revalorisation du statut des aumôniers en milieu carcéral).
D’autres manquent leur cible (l’usage de l’arabe dans le culte musulman est inévitable et non corrélé au fondamentalisme), posent des problèmes de constitutionnalité (taxe halal, interdiction des financements étrangers) ou peuvent se révéler contreproductives, soit en stigmatisant, par des contraintes renforcées, les fidèles qui respectent nos valeurs, soit en ouvrant la porte à des accommodements qui, au prétexte de républicaniser l’islam, islamiseraient la République.
RPP – Que peut l’État régalien ?
Jean-Éric Schoettl – D’abord se ressaisir, sans excès, mais sans états d’âme. Une guerre sainte, les pires de toutes, nous a été déclarée : il faut faire front.
Pour cela, il nous faut renforcer nos moyens de lutte contre le radicalisme et le terrorisme (fermeture de mosquées où se tiennent des discours de haine, expulsions des étrangers radicalisés, assignations à résidence plus strictes des radicalisés dangereux…). En sortant de l’état d’urgence, nous avons perdu des moyens d’action alors que le péril est le même.
Les questions migratoires sont incontournables car bien évidemment liées, compte tenu des cultures d’origine des migrants, à la sauvegarde du modèle républicain. À cet égard, il faut réduire le flux d’entrée (visas, regroupement familial, reconduite à la frontière, relations avec les pays d’origine).
Dans l’état du monde contemporain, avec la montée du fondamentalisme comme phénomène géopolitique durable et l’explosion démographique en Afrique, une immigration massive en provenance d’outre Méditerranée est ingérable. À court terme, elle déborde nos dispositifs d’accueil ; à moyen terme, elle compromet l’intégration ; à plus long terme, elle expose la société française à de graves déchirements.
Bien sûr, une partie de ce flux s’intègrera tant bien que mal et parfois très bien. Mais notre devoir à l’égard des générations futures est de regarder en face les évidences quantitatives et la prégnance des facteurs culturels. Mamoudou Gossama (sauveteur du petit garçon coincé sur son balcon) ne doit pas être le héros qui nous cache la forêt des ghettos.
En matière d’asile, il faut prendre en compte les capacités d’assimilation et le risque pour l’ordre public non seulement de ceux qui ont commis ou participé à des actes terroristes, mais également de ceux qui professent l’idéologie qui en constitue le terreau.
Enfin, il faut imposer, dans tous les cas d’accès à la nationalité, une vérification de l’assimilation et, lorsque cette condition est d’ores et déjà prévue par le code civil, l’appliquer plus rigoureusement qu’aujourd’hui.
Ces modifications du droit peuvent se heurter à des obstacles constitutionnels ou conventionnels. Il ne faut pas s’interdire par avance de « renverser la table » par des lits de justice ou par la résistance aux jurisprudences inacceptables des cours supranationales (par exemple l’opposition de la CEDH à l’expulsion des terroristes en fin de peine au motif qu’ils seraient exposés, dans leur pays d’origine, à un procès inéquitable).
Un traité se renégocie. La Constitution se révise.
Il ne faut transiger avec le communautarisme ni à l’école, ni dans les autres services publics. Il faut soutenir les entreprises qui prennent des règlements intérieurs pour couper court à ce type de revendication. Il y a un combat culturel à mener dans lequel chacun a un rôle à jouer (l’instituteur devant sa classe) pour affirmer les valeurs de la République et pour inspirer le sentiment d’appartenance à la Nation.
Personne ne doit se sentir seul. J.-M. Blanquer le dit excellement dans l’entrevue qu’il a accordée à l’Express en mai 2018 : « Il faut fournir aux enseignants un corpus d’éléments clairs, portant à la fois sur le contenu, et sur l’attitude à adopter, par exemple, lorsqu’une assertion scientifique est contestée au nom de la religion. Deuxièmement, il ne faut pas que les professeurs se sentent seuls. Nous sommes une institution d’un million de personnes, et je veux que chaque professeur sente qu’il y a un million de personnes derrière lui pour résoudre les problèmes qu’il rencontre. »
RPP – Justement, cette guerre n’est-elle pas avant tout culturelle ?
Jean-Éric Schoettl – Bien sûr. Aussi la réponse à l’islamisme ne doit-elle pas seulement être policière et pénale. Il s’agit aussi et surtout de reconquérir, ou de conquérir, les cœurs.
Les études sociologiques commandées par les services de police et de renseignement démontrent que la première raison de l’engagement salafiste, et la première qui conduit cet engagement à déboucher sur des actes terroristes, c’est la quête de sens collectif, d’appartenance et de reconnaissance. Les causes purement socio-économiques (chômage, précarité) sont secondaires. Le nombre des convertis n’est pas négligeable parmi les djihadistes condamnés ou surveillés.
L’islamisme offre une réponse, certes mortifère, à cette quête de transcendance. Nous dédaignons, pour ce qui nous concerne, par individualisme libéral, tout « surplomb » à nos chères autonomies personnelles. Or nous sommes perdus si nous ne savons opposer au modèle d’appartenance communautaire un modèle d’appartenance républicaine attractif.
Il nous faut, pour cela, tous réapprendre à aimer la France, car comment les nouveaux venus aimeraient-ils un pays qui ne s’aimerait plus lui-même ?
Les actions à mener sur ce terrain sont d’abord éducatives.
L’école doit réapprendre à raconter la Nation avec tendresse. Je rêve par exemple de voir ressusciter ce livre de lecture qui a accompagné encore les plus âgés d’entre nous dans les petites classes : le « Tour de France par deux enfants » ? Pourquoi André et Julien, les deux petits orphelins lorrains héros de cette histoire, ne seraient-ils pas campés aujourd’hui par deux petits frères nigérians découvrant la France après avoir fui les persécutions de Boko Haram ?
Il est urgent de renforcer la pédagogie de la laïcité, en appelant de la façon la plus ferme et la plus claire les établissements publics d’enseignement à leurs obligations de neutralité à l’égard des cultes : l’appartenance à un culte ne doit jamais faire l’objet d’une différence de traitement, qu’elle soit positive ou négative (congés, sports, tenue vestimentaire, mixité, enseignements de l’histoire ou des sciences naturelles…).
L’école doit être un havre contre le communautarisme, le sexisme, la judéophobie et le radicalisme. Elle doit participer à la reconquête des territoires perdus de la République. La tradition de l’école républicaine est que les assignations communautaires et religieuses doivent être laissées au vestiaire pour que l’enfant se construise de façon autonome et en bonne intelligence avec ses semblables, c’est-à-dire accède à la condition de citoyen. L’école doit être le lieu de l’apprentissage de la raison, de l’esprit critique et de la tolérance.
À cet égard, la fermeté du ministre de l’Éducation actuel doit être saluée, que ce soit lorsqu’il se prononce pour l’obligation d’assiduité et le refus des certificats médicaux de complaisance, lorsqu’il met en place un soutien des enseignants confrontés à la contestation des cours au nom de la religion ou lorsqu’il fait diffuser (fin mai 2018), sous l’égide d’un conseil de sages, un vade mecum qui contraste avec le robinet d’eau tiède qu’étaient jusque là les « chartes » et autres « guides pratiques » de la laïcité diffusées par l’Éducation nationale.
On ne peut qu’approuver Jean-Michel Blanquer lorsqu’il déclare à l’Express qu’il faut « sanctionner si besoin, dans les cas où les atteintes à la laïcité sont manifestes et n’ont pu être empêchées par la prévention. Sur ces questions, comme sur les questions d’égalité hommes femmes, par exemple – qui sont parfois corrélées –, il faut annoncer clairement ce qu’on attend et ce qui est du domaine de la sanction, de sorte que les règles de vie soient posées ».
Mais l’appareil éducatif suivra-t-il Jean-Michel Blanquer ? Et ne faut-il pas aller plus loin que lui, notamment en imposant le port de l’uniforme scolaire ?
La lutte contre le communautarisme passe également par l’aménagement du territoire (lutte contre l’agglomération de communautés autarciques, cartes scolaires réservant un quota supplémentaire, au sein de chaque lycée de zones favorisées, aux élèves provenant de Zup voisines) et à l’ordre public (renforcement de la lutte contre les comportements sectaires et l’abus de confiance ou de faiblesse.
Il nous faut promouvoir et soutenir, parmi les personnes issues de l’immigration, toutes celles qui illustrent le succès de l’intégration ou cherchent à se libérer des pressions communautaristes.
Il nous faut nous doter de nouveaux instruments d’intégration (pensionnats ; symboles républicains ; participation à des tâches d’intérêt général ; service national ; articulation de celui-ci avec l’accès à la nationalité, afin de concrétiser la condition d’assimilation des jeunes étrangers ; bourses d’excellence).
Des coups de pouce sont possibles sans sacrifier la méritocratie. Il faut valoriser les réussites.
Le champ de bataille principal de la guerre entre le fondamentalisme et la République est la population d’origine immigrée elle-même.
La politique de la Ville est à poursuivre, mais elle est aussi à repenser dans un sens moins angélique : oui aux clubs de sport, sans oublier qu’ils peuvent être des foyers de radicalisation… Il faut savoir choisir les acteurs associatifs, les animateurs, les moniteurs et les assistants d’éducation et savoir aussi s’en défaire en cas de contamination.
Enfin, au-delà des politiques publiques, s’impose une obligation d’attitude : nous devons apprendre à nous adresser aux personnes de culture musulmane (dont beaucoup pratiquent un islam occasionnel ou sont carrément agnostiques) comme à des personnes autonomes, sans les « essentialiser » dans une croyance.
Jean-Éric Schoettl
Ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel
Propos recueillis par Mario Guastoni et Florence Delivertoux
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- Pour prendre la mesure de la violence matérielle et symbolique que subit l’Église catholique du fait de la séparation, on pourra se reporter au rappel historique présenté par Didier Leschi, dans le numéro des Cahiers du Conseil constitutionnel consacré à la laïcité, n° 53, p 23 et 24. ↩
- Ainsi, dans un avis du 24 octobre 1997 (Témoins de Jéhovah de Riom), le Conseil d’État définit l’exercice d’un culte comme la « célébration de cérémonies organisées en vue de l’accomplissement, par des personnes réunies par une même croyance religieuse, de certains rites ou de certaines pratiques ». ↩
- Le Traité UE rappelle, lui-même en son article 4, que « l’Union respecte l’égalité des États-membres devant les traités ainsi que leur identité nationale, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles (…). Elle respecte les fonctions essentielles de l’État, notamment celles qui ont pour objet d’assurer son intégrité territoriale, de maintenir l’ordre public et de sauvegarder la sécurité nationale ». ↩
- Règle inopposable, en revanche, à un candidat à une élection exprimant ses convictions religieuses et étayant par celles-ci ses choix programmatiques. Le candidat à une fonction publique n’est par définition pas dans la position décisionnelle que lui confèrera l’accès à celle-ci. ↩
- Même solution pour la rémunération des ministres du culte en Guyane (n° 2017-633 QPC du 2 juin 2017, cons 7 et 8). ↩
- Le juge des référés considère, dans cette décision, que le refus opposé à une association cultuelle de lui accorder la location d’une salle municipale, surtout lorsqu’il est consécutif à d’autres refus de même nature opposés à des associations identiques et annulés précédemment par le juge administratif, porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de réunion, qui est une liberté fondamentale, dès lors que la commune ne fait état d’aucune menace à l’ordre public, mais seulement de considérations générales relatives au caractère religieux de l’association, ni d’aucun motif tiré des nécessités de l’administration des propriétés communales ou du fonctionnement des services. ↩
- C’est en ce sens que s’est prononcé le Conseil d’État dans une étude réalisée en décembre 2013 à la demande du Défenseur des droits (« L’application du principe de neutralité religieuse dans les services publics »). ↩
- Fatima Afif, 10 août 2018. Le Comité considère que l’obligation imposée à Fatima Afif de retirer son foulard lors de sa présence à la crèche constitue « une restriction portant atteinte à la liberté de religion » de la salariée, en violation du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. ↩
- Dogru c/ France, 4 décembre 2008 ; Tuba Aktas c/ France, 30 juin 2009. ↩
- Voile intégral ne laissant découverts que les yeux. ↩
- Voile enveloppant le corps mais laissant découvert l’ovale du visage. Littéralement : « Le paravent » en arabe. ↩
- Faut-il comprendre qu’aurait dû être agréée une « simple » demande parentale de port de burkini pendant les cours de natation mixtes et que le rejet d’une telle demande eût violé l’article 9 car sacrifiant par trop la liberté religieuse aux normes scolaires ? Espérons que non, car en affublant d’une tel accoutrement les deux fillettes devant leurs petits camarades, on compromettrait, plus sûrement encore que par leur absence en natation, la réussite de leur « intégration sociale selon les mœurs et coutumes locales ». ↩
- N° 2011-34 du 21 mars 2011. ↩
- CEDH, Grande Ch., 1er juillet 2014, S.A.S. c. France, n° 43835/11, §121. ↩
- La répression de l’outrage au drapeau ou à l’hymne national au cours d’une manifestation réglementée (jusqu’à 7 500 euros d’amende et six mois d’emprisonnement) a été regardée comme une restriction légitime de la liberté d’expression par le Conseil constitutionnel (2003-467 DC du 13 mars 2003, cons 104). Par 5 voix contre 4, elle a été jugée contraire au premier amendement par la Cour suprême des USA (Texas v Johnson, 1989). ↩
- Le Conseil d’État souligne notamment que, si l’hostilité aux juifs et aux chrétiens est présentée par l’association requérante comme à replacer dans son contexte, « les fidèles de ces confessions restent néanmoins dénoncés comme falsifiant les textes sacrés et appelés à se convertir sur un ton menaçant, dont la circonstance que la substance soit extraite de versets du Coran ne diminue pas la violence ». ↩
- Article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction issue de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. Dans sa décision n° 2017-695 QPC du 29 mars 2018 (§ 37 à 43), le Conseil constitutionnel se fonde sur cette restriction pour conclure à la constitutionnalité de l’article L 227-1 CSI. Il la renforce même : « lorsque la justification de cette mesure repose sur la provocation à la violence, à la haine ou à la discrimination, il appartient au préfet d’établir que cette provocation est bien en lien avec le risque de commission d’actes de terrorisme ». ↩
- « Si un discours prononcé ou un écrit affiché ou distribué publiquement dans les lieux où s’exerce le culte, contient une provocation directe à résister à l’exécution des lois ou aux actes légaux de l’autorité publique, ou s’il tend à soulever ou à armer une partie des citoyens contre les autres, le ministre du culte qui s’en sera rendu coupable sera puni d’un emprisonnement de trois mois à deux ans, sans préjudice des peines de la complicité, dans le cas où la provocation aurait été suivie d’une sédition, révolte ou guerre civile ». ↩
- Pour écarter l’atteinte manifestement illégale à la liberté d’association, le juge des référés relève, à la lumière des indications circonstanciées apportées par l’administration dans le cadre de l’instruction, qu’au travers de ses principaux dirigeants, comme de certains de ses membres, l’association est liée avec de nombreuses personnes fortement engagées dans l’islam radical et que, sous couvert d’une assistance morale, logistique ou de bienfaisance aux détenus de confession musulmane, l’association développe, au travers de ses activités, un important réseau relationnel en lien avec l’islam radical. Ainsi, de nombreux détenus qui bénéficient de son assistance sont poursuivis pour des activités en lien avec le terrorisme ou appartiennent à la mouvance radicale. Son influence peut conduire certains à se radicaliser. ↩
- 11 avril 2018, n° 412462, 2e et 7e chambres réunies. ↩
- « Indépendamment des associations soumises aux dispositions du titre IV de la loi du 9 décembre 1905, l’exercice public d’un culte peut être assuré tant au moyen d’associations régies par la loi du 1er juillet 1901 (1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 12 et 17) que par voie de réunions tenues sur initiatives individuelles en vertu de la loi du 30 juin 1881 et selon les prescriptions de l’article 25 de la loi du 9 décembre 1905 ». ↩
- « Seront punis d’une amende prévue par le 5° de l’article 131-13 du code pénal pour les contraventions de la 5ème classe, et, en cas de récidive, d’une amende double, les directeurs ou administrateurs d’une association ou d’une union qui auront contrevenu aux articles 18,19,20,21 et 22. Les tribunaux pourront, en outre, dans tous les cas prévus au paragraphe 1er du présent article, prononcer la dissolution de l’association ou de l’union ». ↩
- Comme en attestent les positions prises par les juges de référés de divers tribunaux administratifs en décembre 2016 en réponse aux demandes de retrait de crèches présentées par la Ligue des Droits de l’Homme (dont l’acharnement contentieux en la matière laisse perplexe) : – Rejet pour défaut d’urgence par juge des référés du TA de Montpellier le 14 décembre (hôtel de ville de Béziers) et par le juge des référés du TA de Lyon le 17 décembre (grand hall du conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes) ; – Rejet au fond par le juge des référés du TA de Nîmes le 21 décembre, au motif que l’installation d’une crèche à l’hôtel de ville de Beaucaire ne constitue pas un acte de prosélytisme et qu’elle s’insère dans un ensemble d’évènements traditionnels, culturels et festifs propres à la période de Noël dans la localité (organisation depuis plus de dix ans de l’exposition « les Santonales »…) ; – Ordre de retrait, le 23 décembre, par le juge des référés du TA de Dijon (pour une petite crèche, installée à l’hôtel de ville de Paray-le-Monial, fabriquée par une association d’insertion pour handicapés regroupant chrétiens et musulmans de Bethléem, ville jumelée avec Paray-le-Monial). ↩