Nos rêves n’ont de force et de valeur que si l’on se bat pour qu’ils deviennent réalité ». Pierre Bottero, l’auteur de cette citation, a été mon instituteur à l’école primaire (CM2) avant de devenir une figure majeure de la fantasy jeunesse avec la saga d’Ewilan vendue à plusieurs millions d’exemplaires. Il avait, comme M. Beltzung mon professeur de mathématiques en terminale, ce « quelque chose » qui distingue les professeurs qui marquent le parcours de leurs élèves. Chacun à sa manière m’a donné envie d’étudier, de partager et de transmettre. Je veux leur rendre hommage. A mon tour, aujourd’hui, avec la pédagogie TouKouLeur et son lieu d’expression, la SalleOuverte 4LaB, de marquer la vie de plusieurs milliers d’élèves.
TouKouLeur, une histoire personnelle
Nous avons tous une identité plurielle (culturelle, sociale et professionnelle). Pour moi, elle se passe dans le sud de la France. Des amis de toutes les couleurs me permettront de vivre dans un melting-pot extraordinaire même si je ne voyage pas beaucoup. Je grandis à Port-Saint-Louis du Rhône aux portes de la Camargue, petite ville des Bouches-du-Rhône. On dira que je suis originaire de Marseille… Comme je le dis souvent, j’ai eu « la chance » d’être un « bon élève » car sans exploiter entièrement mes capacités ou sans que l’on me pousse vraiment à les exploiter, je file tout droit vers une terminale S. Comme tout élève qui ne sait pas vraiment ce qu’il peut faire, une discussion anodine m’orientera vers la Faculté des sciences de Luminy à Marseille quand certains iront en Classe prépa. Je le sais, il m’a manqué quelque chose… au cours de ma scolarité.
Le diplôme du Bafa en poche à 17 ans, je commence également mon aventure dans l’animation jusqu’à encadrer des séjours à l’étranger. Je suis également surveillant d’externat au sein du collège de mon adolescence. Ces expériences compléteront parfaitement mon apprentissage relationnel et éducatif avec les adolescents. Elles seront la clé de ma future vie d’enseignant. La diversité des idées, des personnes et des parcours m’ouvrira l’esprit tout au long de ces années.
Un bac + 5 plus tard, je deviens chimiste chez Coca-Cola, mais mon envie de transmettre mon expérience et mes compétences personnelles me feront revenir vers l’Éducation nationale. Donner l’accès à l’environnement culturel proche des élèves tout en valorisant leurs compétences personnelles seront les éléments fondateurs de la pédagogie TouKouLeur (TKL) pour laquelle j’ai été retenu dans le Top 50 du Global Teacher Prize 2018.
Je passe le concours en 2007 et comme tout enseignant, je n’ai jamais oublié la joie ressentie lors de ma réussite. Ce sentiment est la force dont je m’efforce de me souvenir dans les moments difficiles.
Ma première expérience en tant que stagiaire près de Lille, puis néo-titulaire à Sainte-Marie aux Mines en Alsace ont été le terrain d’expérimentation de ma première création avec le « Rallye des métiers ». J’avais déjà pour idée de rendre les élèves 100 % acteurs du projet et de promouvoir les filières professionnelles afin de les valoriser sur le fond et éviter ainsi tout « élistime ».
Ma dernière mutation me ramène dans le Sud. Elle se fera au collège Les Bréguières en tant que professeur d’hygiène alimentation et services pour les élèves de Segpa (section d’enseignement général et professionnel adapté), élèves en grande difficulté scolaire et aux besoins éducatifs particuliers. Mon statut de professeur de lycée professionnel implique en Segpa une équipe réduite de 5 collègues sur 40 et seulement 30 élèves sur 600… Ma volonté de m’investir dans un projet visant, cette fois, à partager les différences culturelles et les compétences personnelles donnera officiellement naissance à TouKouLeur.
Désormais, je le sais. TouKouleur est le reflet de mon Histoire personnelle dans le système scolaire et de ma volonté de partager mes compétences.
Naissance d’une pédagogie : la volonté d’éduquer au partage de ses compétences
La première journée TouKouLeur (2011) a pour objectif de valoriser les cultures inscrites dans le patrimoine personnel de chaque élève et membre de la communauté éducative. Aidés par les personnes ressources de leurs choix, les élèves confectionnent sur leurs temps libres un ou plusieurs ateliers pédagogiques. Ils s’appuient sur les savoirs et savoir-faire développés en classe : création de décors en mathématiques et géométrie, réalisation d’exposés retraçant l’histoire de leurs origines, présentations orales… dans le seul et unique objectif de partager leurs différences au sein du collège et ainsi se valoriser en tant qu’individus.
Le temps d’une journée, en écho avec la Journée mondiale de la diversité culturelle de l’Unesco, les élèves réalisent un « pas sur le côté » et deviennent les professeurs d’un jour. Ils accueillent des classes entières, présentent à leurs pairs l’histoire de leur pays d’origine et toutes leurs caractéristiques qu’ils souhaitent mettre en avant. Acteurs de leur réussite, ils comprennent, très vite, que leur diversité ne se résume pas seulement à leur culture mais également à leurs aptitudes artistiques, scientifiques et tant d’autres à valoriser.
Nous avons tous des compétences autres que celles pour lesquelles nous sommes dans l’Éducation nationale.
Que je sois un élève, un professeur de mathématiques, de sports, etc., j’ai une identité et des passions qui me définissent en dehors du système scolaire et de ma « fonction », de mon étiquette.
La rencontre déterminante et l’analyse partagée en continu avec Mélanie Duval, enseignante spécialisée en Segpa, ainsi qu’avec l’équipe du Pôle académique de soutien à l’innovation (Pasie Nice) permettront l’évolution et l’adaptation de TouKouLeur au fil des années. La confiance et le soutien du recteur de l’Académie de Nice, nous pousseront dans la conceptualisation de la pédagogie TouKouLeur.
Née de l’idée de partager ses idées, ses envies et ses compétences, la pédagogie TKL repose sur la reconnaissance des aptitudes individuelles au sein du système et des établissements scolaires avec l’ambition de pousser notre créativité le plus loin possible.
Basée sur l’empathie et la pédagogie de projet positive et coopérative, elle permet :
- à l’élève, dans le développement des différents parcours (EAC, Avenir, civique et citoyen), de participer à la validation des compétences du socle sans notes dans et en dehors du temps de classe ;
- le développement professionnel des enseignants.
Comment faire plus et mieux chaque année tout en répondant aux difficultés et aux contraintes du système ?
Une remise en question perpétuelle associée à la détermination et à la volonté de ne pas fermer la porte au changement sont les éléments clés de l’adaptation de TouKouLeur à son environnement (interne, réformes, système…) au fil des années. Elle a permis au projet de développer les grands enjeux de TouKouLeur qui ont donné naissance aux valeurs de la pédagogie TKL :
- rendre les élèves acteurs de leurs apprentissages par la démarche et le développement des actions TKL. En effet les élèves ont la possibilité d’imaginer, de créer ou de participer à des activités autour des thématiques qu’ils choisissent, ils s’impliquent dans l’organisation des événements et dans la valorisation de ceux-ci ;
- une éducation artistique et culturelle à l’environnement de proximité : familiariser les élèves avec le patrimoine culturel de proximité, leur donner envie d’avoir une vie culturelle personnelle en facilitant, tout au long de l’année, le contact avec des artistes et des œuvres ;
- ouvrir le collège sur l’extérieur et développer des partenariats par la mise en relation et la collaboration de tous les acteurs du réseau TKL (élèves, professeurs, professionnels et acteurs associatifs, culturels, artistiques et institutionnels) ;
- un accompagnement des élèves dans l’évolution et l’évaluation de leurs apprentissages : transformer les compétences personnelles et transversales des élèves en compétences scolaires par un système de validation sans notes ;
- faire connaître et reconnaître le collège comme un lieu de vie agréable et dynamique auprès des familles, institutions et environnement proche du collège pour améliorer le respect et la tolérance de chacun dans le principe de laïcité.
La pédagogie TKL, complémentaire de l’enseignement traditionnel, permet d’effectuer un pas sur le côté que beaucoup d’enseignants ont déjà réalisé :
- projet académique innovant depuis 2014 ;
- sélection au Top 30 de la Journée nationale de l’innovation de l’Éducation nationale en 2017 ;
- présentation au Salon européen de l’éducation Educatec Educatrice 2017;
- présentation à la journée de l’innovation 2018 ;
- reconnue par la Fondation de France comme pédagogie luttant contre le décrochage scolaire 2017 et 2018 ;
- sélection de son fondateur au top 50 du Global Teacher Prize 2018.
La SalleOuverte 4LaB : lieu d’expression de la pédagogie TouKouLeur
Pierre Bottero disait : « Enfant, je rêvais d’étourdissantes aventures fourmillant de dangers, mais je n’arrivais pas à trouver la porte d’entrée… ! J’ai fini par me convaincre qu’elle n’existait pas. J’ai grandi, vieilli, et je me suis contenté d’un monde classique… jusqu’au jour où… J’avais trouvé la porte »1.
Trouver une porte ouverte à nos idées ! C’est la vision que je porte sur le rôle de l’Éducation nationale. Celle de nous faire découvrir un lieu nouveau laissant place à la créativité et à chacun de nos rêves d’enfant et d’élève. Or tout peut se jouer à des détails : une rencontre avec la bonne personne ou le bon professeur, la hiérarchie, une étiquette qui nous colle à la peau, être bien né ou le contraire… qui sont autant de raisons qui peuvent ou non embraser cette petite étincelle.
La création de la SalleOuverte 4Lab a pour objectif de tenir ce rôle.
Une porte ouverte à un laboratoire de création et d’expérimentation accessible à tous.
Elle donne naissance aux projets TKL issus des idées et des envies de ses protagonistes. Le volontariat et l’intérêt des engagements proposés agissent en levier de motivation, l’investissement s’inscrit sur un temps ajustable, d’un mois à davantage, en fonction des thématiques proposées et des équipes constituées. La transversalité des compétences engagées incite les élèves à établir des liens entre les disciplines, entre les enseignements scolaires et la connaissance de leur environnement proche.
Ainsi TKL a vu naître différents projets, notamment :
- le jTKL : qui a reçu un prix aux Assises du journalisme en 2017 remis par la Fondation TF1, permet la formation des élèves aux métiers de l’audiovisuel et la création d’une équipe de reportage (journaliste reporter d’images – JRI). Il donne les outils aux collégiens pour la création, la réalisation et la présentation du premier journal Tv 100 % élèves ;
- l’émission Paroles d’élèves : première émission nationale réalisée par des élèves et diffusée sur France Tv Éducation 2018 ;
- la TKL Run : première course scolaire d’obstacles où les élèves peuvent courir en équipe avec leurs parents ou leurs professeurs ;
- TKLaicité : sélection nationale 2017 pour le prix Éducation à la citoyenneté et la solidarité de la Fondation SEVE.
Ce sont des projets pour et par les collégiens, qui favorisent aussi l’inclusion des élèves de Segpa très engagés dans l’organisation des évènements. « Les enseignants sont de plus en plus nombreux à rejoindre TouKouLeur pour y développer, avec l’aide et l’accompagnement de l’équipe conceptrice, un projet pour le collectif. Le développement professionnel est très largement amorcé ! Les unités d’enseignement intéressées par le projet, ou par un volant du projet, sont de plus en plus nombreuses, créant ainsi un réseau TKL dynamique et productif »2.
Cependant et de façon plus générale, une grande question revient sans cesse dans le débat ces dernières années.
L’éducation est censée préparer la jeune génération à l’avenir. Mais nombreux sont ceux qui se pose la question suivante : le fait-elle encore ?
La SalleOuverte 4Lab, quatrième lieu de l’école du XXIe siècle ?
Aujourd’hui, notre société est confrontée à son plus grand défi. Il suffit d’associer dans n’importe quel moteur de recherche école et XXIe siècle pour se rendre compte de la cristallisation des débats sur l’avenir de notre école et des compétences à y développer.
Plusieurs études, depuis le forum de Davos en janvier 2018, s’accordent à dire que la grande majorité des métiers du futur n’existe pas encore. Alors comment former les générations futures à quelque chose qui n’existe pas ?
Pour certains l’école doit s’adapter au XXIe siècle3 car « l’école ne permet plus aux jeunes générations de faire face à leur avenir ». Pour d’autres, il s’agit de développer les compétences du XXIe siècle pour préparer les élèves aux défis qui les attendent ? D’après l’OCDE, ces compétences sont principalement les 4C. Ces compétences cognitives à enseigner pour permettre la résolution de problèmes complexes : créativité, critical thinking (pensée critique), communication, coopération, en plus de la résilience, de l’empathie et de la capacité à appréhender les différentes cultures.
En 2012, Geneviève Fioraso, secrétaire d’État française chargée de l’Enseignement supérieur et de la Recherche regrettait déjà que « notre système, notre organisation, notre mode de pensée même ne favorisent pas suffisamment la créativité, la confiance, l’agilité, l’interdisciplinarité et l’ouverture au monde ».
Un constat partagé par Ken Robinson, spécialiste mondialement reconnu du développement de la créativité dans l’éducation et les entreprises. Sa conférence TED intitulée « Comment l’école tue la créativité ? », l’une des plus visionnées au monde, indique en quoi nos systèmes scolaires inhibent la créativité au lieu de la stimuler. Il explique qu’être créatif consiste à établir de nouvelles connexions avec notre environnement afin de voir les choses de façon différente et sous d’autres angles4. Selon lui, nous aurions tous un potentiel de créativité important à notre naissance et la créativité serait comparable à la lecture et à l’écriture : le tout est de l’apprendre et de savoir la développer.
Le changement au sein de l’Éducation nationale est en cours même si le modèle actuel convient au plus grand nombre. Tout changement doit se faire progressivement et en complément de l’enseignement traditionnel. Il doit susciter l’envie et la curiosité au travers de ses projets fédérateurs et de ses scénarios pédagogiques pré-établis jusqu’à l’appropriation de la démarche par les enseignants avec une répercussion sur le système de formation des ESPE. Ce pas sur le côté peut favoriser un épanouissement de la pensée créatrice et innovatrice au sein de l’Éducation nationale et participer à la recette de la réussite scolaire avec l’école de la confiance.
Certaines solutions s’attaquent également à l’aménagement de la salle ou à repenser le mobilier. A-t-on les moyens financiers d’agrandir ou de changer l’ensemble des salles de classes ? La réponse économique est évidente même si plusieurs études montrent l’impact positif de celles-ci.
Un nouveau lieu ouvert à tous et à tout moment.
Un lieu où ce n’est plus la matière ou la classe qui rassemble, mais le projet ou l’idée. Un lieu permettant la création d’une multitude de projets pédagogiques favorisant la coopération et la mobilisation des compétences personnelles de tous les acteurs dans une équipe quelle que soit son étiquette. Un lieu utilisant une nouvelle démarche pédagogique permettant de développer les compétences du XXIe siècle pourrait être une réponse.
Il ne s’agit pas de l’école de demain, mais celle d’aujourd’hui avec la pédagogie TouKouLeur et son lieu d’expression : la SalleOuverte 4Lab. L’Éducation nationale est en mouvement et ce laboratoire de création et d’expérimentation apporte déjà quatre nouveaux regards sur l’école d’aujourd’hui :
- un nouveau regard sur le lieu d’apprentissage après la salle de classe, le CDI et la salle de permanence, et ouvert à tous ;
- un nouveau regard sur le temps : ouvert à tout moment, il permet la rencontre des différents protagonistes afin de créer une équipe où chacun apportera ses compétences et sa créativité ;
- un nouveau regard sur la posture des différents acteurs où l’enseignant est capable de dire « je ne sais pas » tout en restant l’expert pédagogique et où les compétences personnelles des élèves sont transformées en compétences scolaires sans note et sans peur de l’échec ;
- un nouveau regard sur l’aménagement de la salle et du matériel mis à disposition permettent d’expérimenter, de faciliter la rencontre des acteurs et l’émulation des idées.
En écho avec le monde de l’entreprise, les connaissances des collaborateurs constituent l’atout le plus précieux des entreprises. Il en est de même dans l’Éducation nationale. Alors pourquoi le partage de connaissances entre collaborateurs n’est-t-il pas plus répandu ? s’étonne-t-on en évoquant les freins au partage de la connaissance dans l’entreprise5. Une présentation de la SalleOuverte 4LaB lors de la Matinale du changement en juillet 2018 chez Mazars Alter&Go montre l’intérêt de ce concept pour les entreprises et les collectivités. Elle est un formidable moyen de faciliter la diffusion de changements et apporte une réponse aux freins du partage de la connaissance et des compétences personnelles.
Comme évoqué au début de cet article, j’ai eu la chance d’être un bon élève, mais il m’a manqué quelque chose au cours de ma scolarité. TKL et la SalleOuverte sont l’école et le lieu que j’aurais aimé rencontrer au cours de ma scolarité. Mon objectif aujourd’hui est d’en faire profiter mes enfants et les enfants d’ici et d’ailleurs.
C’est ainsi que la pédagogie TouKouleur et la SalleOuverte ont été créées.
Patrick Saoula
Professeur au collège des Bréguières à Cagnes-sur-Mer
Fondateur de TouKouLeur
Patrick Saoula a été sélectionné pour le Global Teacher Prize 2018, un concours international récompensant l’innovation pédagogique
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